Ils marchent dans la rue, côte à côte, sous les réverbères blafards de Fuyushima. Le silence entre eux est lourd, mais pas hostile. Pas vraiment. Jada garde les bras croisés, les yeux fixés droit devant elle, comme si chaque pas l’éloignait un peu plus du chaos de l’épicerie. Jake, lui, traîne légèrement derrière, les mains dans les poches, comme un gamin puni.

Il hésite à parler. Les mots tournent dans sa tête. Il en a tant à dire, mais rien ne semble assez juste. Trop tardif, trop fragile. Puis, dans un souffle à peine audible, il laisse tomber :

— Tu m’as manqué, Jada.

Elle ne réagit pas tout de suite. Continue de marcher comme si elle n’avait rien entendu. Mais Jake voit ses épaules se crisper légèrement, un infime changement, presque imperceptible.

— Jada… je parle pas juste de tes blagues pourries ou de tes coups dans les côtes quand je disais une connerie. C’est… toi. Ta voix. Ton regard. Même quand tu me détestes, t’es plus vraie que n’importe qui d’autre dans ce monde.

Elle s’arrête. Lentement.

Jake s’immobilise à son tour, à deux pas derrière elle.

Elle reste là, sans bouger, le dos droit, le visage caché à son regard. Puis elle tourne la tête, juste assez pour qu’il voie son profil éclairé par la lumière orangée d’un lampadaire.

— T’es vraiment un connard, tu sais ?

Il sourit, doucement.

— Je sais.

— Tu veux que je fonde en larmes, c’est ça ? Que je te saute dans les bras comme une héroïne de drama à la con ?

— Non. Je veux juste que tu saches.

Un silence.

Elle détourne les yeux, les lèvres légèrement tremblantes. Mais elle ravale tout. Fierement.

— J’ai pas besoin de savoir, Jake. T’as dit ce que t’avais à dire, et maintenant tu fermes ta gueule jusqu’à ce qu’on arrive chez moi. C’est clair ?

— C’est clair.

Ils reprennent leur marche, sans un mot. Mais dans ses yeux, à elle, quelque chose a changé. Un éclat fragile, à peine visible. Une faille dans l’armure. Elle l’aime encore. Elle le sait. Elle le hait pour ça.

Et lui, il vient de planter une graine. Rien de plus. Mais elle a pris racine.

***

Sur le canapé de Jada, Jake se laisse emporter par ses pensées. Dans le silence feutré de la pièce, il repense à cette époque, il y a plus de dix ans, où leur amour semblait inébranlable, où chaque moment passé ensemble était une promesse d’éternité. Il se souvient des longues soirées où ils parlaient pendant des heures, des rires partagés et des silences complices qui en disaient long sur leur intimité. À cette époque, il se sentait vivant, complet, comme si le monde entier s’ouvrait à lui dès qu’il croisait le regard de Jada.

Il ferme les yeux un instant, et dans le creux de son souvenir, il revoit ces instants précieux. La lumière tamisée d’un crépuscule sur un balcon, les mains qui se frôlaient timidement, et ce sentiment de bonheur pur qui le transportait. Il se souvient de la façon dont Jada souriait quand elle riait, de l’éclat de ses yeux, et de la chaleur de ses bras qui le rassuraient contre l’adversité du quotidien. Ces souvenirs, aussi doux qu’amers, se déroulent en lui comme un film dont chaque scène est gravée dans sa mémoire.

Assis là, sur le canapé usé par le temps, Jake ressent la force de ce passé qui continue de hanter son présent. Il se rappelle à quel point il était heureux, insouciant, et combien il avait l’impression de pouvoir tout surmonter avec elle à ses côtés. Même si le temps a laissé des cicatrices, l’empreinte de cet amour reste indélébile, comme une lumière vacillante qui refuse de s’éteindre malgré les tempêtes.

Le contraste entre ce bonheur d’antan et le présent tumultueux lui serre le cœur. Il sait pertinemment que les erreurs du passé l’ont éloigné de cet idéal, mais en même temps, il refuse de croire que tout est irrémédiablement perdu. Chaque souvenir, chaque sourire échangé, devient pour lui une motivation pour reconstruire ce qui fut, pour espérer à nouveau retrouver cette complicité qui les avait jadis unis.

Il inspire profondément, laissant l’émotion l’envahir, et se promet de ne plus jamais laisser la peur ou la douleur effacer la beauté de ces instants. Même si le chemin vers la rédemption est encore semé d’embûches, il est déterminé à raviver la flamme de leur passé, à la transformer en un avenir où le bonheur pourrait renaître. Dans ce silence lourd de nostalgie, Jake comprend que malgré tout ce qui a été brisé, l’espoir subsiste, fragile mais tenace, comme le plus précieux des trésors.

***

Allongée dans son lit, Jada fixe le plafond, les yeux embués de larmes silencieuses. Son cœur est un champ de bataille où s’affrontent des émotions contradictoires. La joie intense de revoir Jake après tant d’années se heurte à la colère brûlante qu’elle nourrit envers lui pour son absence inexpliquée.

Elle se tourne sur le côté, serrant son oreiller contre elle, cherchant un réconfort qui lui échappe. Les souvenirs affluent, ravivant des sentiments qu’elle croyait enfouis. Chaque image du passé est une blessure qui se rouvre, mêlant nostalgie et douleur.

Les larmes coulent librement sur ses joues, témoins muets de son tumulte intérieur. Elle lutte pour contenir les sanglots qui menacent de la submerger, refusant de laisser le passé reprendre le dessus. Mais son cœur, lui, sait que malgré la colère et la déception, l’amour qu’elle porte à Jake n’a jamais vraiment disparu.

Dans le silence de la nuit, Jada se sent vulnérable, partagée entre le désir de pardonner et la peur de souffrir à nouveau. Elle ferme les yeux, espérant que le sommeil apaisera son esprit tourmenté, mais les questions sans réponse continuent de hanter ses pensées. Pourquoi est-il revenu maintenant ? Peut-elle encore lui faire confiance ?

Alors que l’obscurité l’enveloppe, Jada comprend que le chemin vers la réconciliation sera semé d’embûches. Mais au fond d’elle-même, une lueur d’espoir persiste, fragile mais tenace, lui soufflant que peut-être, cette fois, les choses pourraient être différentes.