Chapitre 18
J'avais besoin de bras autour de moi.
J'avais besoin d'un regard bienveillant et indulgent sur moi.
J'avais besoin de tes bras chauds, de tes yeux qui m'acceptent telle que je suis, de ton attention bien réelle. Enfin.
Pendant de longues années, je m'étais enivrée de l'amour de mon fils. Comme son soleil m'avait fait du bien ! Comme sa vie m'avait portée ! J'étanchais ma soif de bonheur à son rire, à ses jeux, à ses joies.
J'échangeais avec lui, le rassurais alors qu'il n'avait encore que le statut de fœtus, lui expliquais mes activités et mes projets, cela m'était indispensable. Mes yeux s'émerveillaient lorsque, contre mon sein, il s'endormait après la tétée. Je le berçais quand la fatigue d'une journée repoussait son sommeil. Lorsqu'il tentait ses premiers pas, mes applaudissements l'encourageaient.
Ses devoirs retenaient mon attention, les notions devaient être bien acquises. Je comparais la scolarité à un escalier : chaque marche doit être solide pour que l'escalier tienne le coup et mène à un futur plus sûr. Heureusement, son intelligence le servait favorablement et lui permettait d'avancer sans trop de difficultés.
Lorsque mes occupations me le permettaient, je jouais avec lui. Peut-être devrais-je dire que je passais du temps avec lui. En effet, je n'étais pas à l'aise dans ces jeux d'enfants que je n'avais pas connus. Ce genre de distractions représentait des moments que je n'avais jamais partagés avec personne. Ma capacité de projection n'avait pas eu la possibilité de s'exprimer vraiment et se trouvait toujours bloquée. Pour gommer ma maladresse, il aurait fallu que j'apprenne. Apprend-on à jouer ?
Ses premiers amours déçus m'ont peinée, j'étais près de lui pour l'écouter et le consoler. Je cherchais les mots qui tenteraient d'adoucir son chagrin sans occulter la réalité de cette situation difficile. Cependant, je lui rappelais qu'il ne devait pas pour autant écarter ce qu'il pourrait vivre dans les années qui suivraient. L'amour maternel, dans ce cas, ne représentait qu'un support, pas une perspective d'avenir.
Je m'efforçais, tant bien que mal, de l'aider à construire sa vie. Je voulais pour lui, le contraire de ce que j'avais eu.
Et je ne pouvais le lui donner.
Que de baisers je lui ai donnés parce que j'en avais besoin ! Combien de fois j'ai serré mes bras autour de ses épaules alors qu'il m'expliquait comment il avait vaincu le dragon de son jeu vidéo ! Quelle attention enthousiaste j'ai mobilisée, soucieuse de ses projets, ses envies d'avenir ! Que d'espoir j'ai fondé sur ses facilités à l'école, sur son travail consciencieux, sur ses talents, sur ses amitiés profondes et vraies !
J'ai vécu cette vie de Maman avec une joie intense, enveloppée de l'affection de mon enfant, exaltée par notre énergie.
Ce long chemin, je l'ai assumé sans aucun regret, bien au contraire. Plutôt avec ardeur et ravissement. Même si je rencontrais parfois des difficultés. Même si cette responsabilité m'inquiétait par moments, parce que je craignais de ne pas être à la hauteur.
L'amour qui m'avait ainsi entourée, m'avait permis de me sentir vivante, de me tenir droite et d'avancer.
Quelques ombres masculines étaient passées fugitivement sans que je souhaite les retenir puisqu'elles ne correspondaient pas à mes attentes. Nouveaux espoirs, nouvelles désillusions. Frêles étincelles très vite essoufflées faute de compatibilité, faute de sincérité trop souvent.
J'avais besoin de recoller les deux extrémités du ruban de ma vie, de ne faire qu'un de mes espoirs et ma réalité.
J'ai attendu. Attendu tellement longtemps.
C'est tellement bête. J'avais seulement besoin d'amour.
L'amour d'un homme. Un être humain qui saurait voir et entendre. Qui comprendrait.
J'avais besoin de gestes simples.
Certains soirs, lorsque mon lit me paraissait trop grand, je posais ma propre main sur mon épaule ou sur mon flanc pour me donner l'impression que quelqu'un me tenait dans ses bras. Pendant quelques instants, un petit carré chaud instillait à mon corps une douceur espérée. Les yeux clos, je me forçais à croire que l'illusion fonctionnait, au moins quelques secondes. Aucun visage ne la matérialisait. Compagnie imaginaire simulant une affection, trop éphémère. Illusion d'une présence, d'une bienveillante chaleur qui s'évaporait très vite dans la déception. Rapidement, le désert réapparaissait, plus vide, plus immense, plus froid, plus mordant.
En attendant.
Combler ce vide.
C'en est presque risible.
J'espérais sentir une peau sous mes doigts. Une chaleur. Venant du cœur, venant du corps. Qui me ferait exister un peu.
Enfant, et même adolescente, je n'étais pas Juliette. Pour la plupart des gens, j'étais "la petite". Pour certains professeurs, j'étais "la mirgue[1]". Une petite chose insignifiante que l'on voyait à peine.
En y réfléchissant, ces termes étaient peut-être gentils mais ils s'avéraient si lourds, humiliants.
Je n'étais qu'une ombre, un souffle.
À la maison, je ne devais pas déranger, pas faire de bruit. Je devais filer droit, respecter les codes, répondre aux attentes des adultes. Obéir à la seconde sans répliquer, avoir un langage châtié, bien travailler en classe.
Fluette, effacée, à l'école, on savait tout juste que j'étais là parce que, au moment de l'appel, je répondais "présente". Et encore, pas trop fort. Je n'osais pas m'exprimer. Je craignais sans cesse de me tromper, de dire des bêtises. Et que l'on se moque de moi.
Même si personne ne faisait vraiment attention à moi.
Alors je me repliais sur moi-même. Étouffée par ma timidité et mes peurs.
Pendant des années, j'ai tenté de combler le vide. Avec des artifices. Gommer des manques.
Pendant des années, j'ai accumulé des sacs. Des sacs à main, des sacs à ouvrage, des sacs de voyage, des sacs de plage, des pochettes de toutes tailles, de différentes matières. J'en avais besoin encore et encore. J'amassais sans fin.
Jusqu'au jour où, très tard, j'ai réalisé pourquoi.
Rien, malgré cette profusion, ne pouvait répondre vraiment à ma recherche. Rien ne parvenait à satisfaire correctement mon attente. Le premier engouement passé, il m'apparaissait que l'objet n'était pas suffisant, sans que je puisse en expliquer la raison. Aucun ne parvenait à calmer mon besoin. À le stopper. À étancher une soif dont l'origine m'était inconnue. La déception prenait place très peu de temps après l'acquisition.
Pourquoi avais-je cette fringale de ce genre d'articles ?
Et puis, un matin, une solution m'était apparue. Tellement évidente.
"Si la pilule avait existé, tu ne serais pas née." m'étais-je entendu dire, adolescente.
Je cherchais le ventre de ma mère. Un ventre accueillant. Qui m'attendrait. Qui me protègerait. Qui ressentirait du bonheur du fait de ma présence et qui m'en donnerait.
Des bras aimants remplissent un rôle si apaisant.
Depuis notre rencontre, je n'ai plus besoin de simulacre de gestes, ni ce besoin insatiable de sacs. Je suis vraiment Juliette.
Une larme descend sur ma joue. Je peine à contenir mon émotion si forte, profonde.
En cette fin de journée où le soleil a brillé, où la chaleur m'a engourdie de bien-être, je te regarde à la dérobée. Tu siffles en offrant ton visage aux derniers rayons. Tu observes les arbres qui nous entourent avec un sourire, ils sont nos amis.
[1] Mirgue : petite souris, en dialecte toulousain.
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