Chapitre 23

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La petite fille avait grandi, c'était maintenant une adolescente.

L'entrée au lycée représentait une étape importante de la scolarité. Depuis longtemps, elle connaissait l'ambiance de ce genre d'établissements et tentait de se préparer à ce nouveau bouleversement.

Le trajet jusqu'au lycée exigeait une longue marche que l'adolescente choisissait, la plupart du temps, à l'autobus.

Après le pont au-dessus du canal, elle descendait l'avenue Honoré Serres. Parfois, elle obliquait et remontait le boulevard d'Arcole puis le boulevard de Strasbourg, tous deux bordés de grands immeubles haussmanniens, des bâtiments cossus semblables aux hôtels particuliers du centre ville. D'autres jours, elle traversait le quartier Arnaud Bernard, le quartier arabe. Quand elle y passait, elle se régalait des effluves émanant des épices orientales, elle découvrait les oscillations sophistiquées des musiques maghrébines, quelques échoppes ouvertes sur le trottoir proposaient des tissus colorés, des articles en cuir et autres accessoires. Un peu plus loin, au bout d'une ruelle, s'ouvrait la place Saint Sernin dominée par la basilique. À quelques pas, la rue du Périgord accueillait l'établissement scolaire dans lequel elle étudiait.

Sur son parcours, la jeune fille marchait sous le soleil cherchant l'abri des platanes qui abritaient sa frêle silhouette. Au printemps, leurs fruits échevelés parsemaient l'air de duvets légers qui chatouillaient le nez et picotaient les yeux.

Tantôt, elle hâtait le pas, tantôt, elle ralentissait, envahie par une certaine langueur. Le bourdonnement des voitures saturait l'air d'une onde lourde, alors elle regagnait au plus vite les artères plus calmes. À certaines périodes, le chahut du vent d'Autan qui charriait les feuilles et les jetait en désordre en travers des trottoirs finissait par lui brouiller les idées. Sa marche s'avérait parfois difficile mais elle la préférait à la fréquentation des autobus où l'on s'entassait et où des hommes en profitaient pour avoir des gestes choquants.

Ce cheminement lui donnait l'opportunité de penser. Son cerveau se trouvait souvent en ébullition, qu'il s'agisse de ses lectures, de ses aspirations, de ses projets ou de son quotidien, une multitude d'idées dansaient dans sa tête. Tristes, heureuses, pleines de doutes et de questionnements. Elle réfléchissait, décortiquait les faits et les actes, la réalité et les éventualités. Elle souhaitait ardemment comprendre cette vie, en décoder les tenants et les aboutissants.

Sa solitude se peuplait aussi de mélodies, souvent mélancoliques, qui alimentaient ses songes et ses espoirs. Elle ne se retenait pas toujours de chantonner dans les rues, pourtant, ces ritournelles ne reflétaient nullement sa joie. Juste un besoin de laisser libre cours à ses cordes vocales. Au fond d'elle, elle sentait ce qu'elle souhaitait, ce qu'elle attendait de son avenir. Pourtant, sa vie restait désespérément vide. Atteindrait-elle un jour ce bonheur dont elle rêvait ?

Malgré tout le soleil de la région, seule la grisaille peuplait les jours de l'adolescente. Qu'elle soit en cours ou retirée dans sa chambre, le temps laissait couler sa chaleur dans l'indifférence.

De très anciens bâtiments se répartissaient en trois blocs qui accueillaient les salles de classe, les bureaux mais aussi un internat. Le cadre s'avérait strict, les couloirs restaient mornes malgré les hautes fenêtres, les boiseries sombres. Lors des récréations, le flot d'élèves entraînait un bourdonnement sonore qui s'étouffait entre les murs. La discipline, toutefois, se trouvait moins tranchante que les années précédentes.

Parmi les exigences les moins contraignantes figurait le port de la blouse. Les blouses bleues obligatoires, en synthétique, devaient être brodées aux nom, prénom et classe des élèves et dans un état toujours correct sous peine de sanction. Suspendues aux patères des couloirs, elles étaient décrochées lors des bousculades puis piétinées, parfois emportées et abandonnées plus loin. Il fallait alors partir à leur recherche. Les pliages désordonnés les froissaient rudement au fond des sacs. Les week-ends et vacances leur accordaient un répit et l'occasion d'un bon lavage et de réparation. Quelle que soit la température, seule la blouse était acceptée. Aussi, lorsqu'il faisait froid et que la jeune fille gardait son manteau, un professeur finissait par la réprimander. Elle se retenait pour ne pas répliquer et s'exposer à une punition. Au moins, cette teinte correspondait-elle à ses goûts.

Malgré l'enthousiasme et la gaieté des jeunes gens, les religieuses persistaient dans leur tristesse et leur sévérité. Les sourires des enseignants, très majoritairement des femmes, restaient rares et fugitifs. L'ambiance avait pourtant évolué puisque les robes des nonnes ne tombaient plus jusqu'aux pieds, mais leur voile enserrait toujours leurs visages contrits. Certains mots ne devaient pas être prononcés comme s'il s'agissait d'inconvenance ou d'obscénité - s'il ne s'adressait pas à Dieu, le mot "amour" était banni du langage et devait être remplacé par "amitié" pour ne laisser place à aucune dérive. Croyaient-elles qu'éviter l'usage d'un terme permettrait d'éloigner une réalité de la vie ?

Les classes secondaires s'étiraient dans l'ennui, ponctuées de contrariétés et de déceptions. Le décompte des mois et des années rythmait ses études dont elle n'entrevoyait pas l'issue.

Ses espoirs d'avenir stagnaient dans une attente interminable et stérile.

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