Chapitre 11

4 minutes de lecture

Depuis toujours, la fillette passait ses vacances avec ses parents dans une vieille bicoque au fin fond d'une campagne sauvage.

Le confort y était plus que spartiate : pas de salle d'eau, pas de toilettes. Trois pièces sans aucun chauffage, si ce n'était une cheminée qui fumait, les rendant inhabitables en hiver.

Sous les fenêtres, coulait l'Aveyron, tantôt nonchalante, tantôt impétueuse, sautant d'une pierre à l'autre. Dans l'eau transparente, se reflétait une abondante végétation. Des noisetiers, des châtaigniers, des chênes, libres de toute contrainte, bordaient le chemin de terre et parfois même, se rejoignaient au-dessus en un baldaquin naturel. Des franges de mousse créaient des guirlandes pendant le long des branches entremêlées. La nature faisait preuve de folie, s'étalait, s'élançait à flanc de colline, contournant la roche, recouvrant les brèches, comblant les sentiers creusés par les passages répétés des troupeaux et des promeneurs.

En contrebas, un moulin détournait une partie du flot. Il avait dû jouer un rôle important il y a bien des années mais, à cette époque, il servait d'habitation au propriétaire des lieux. En haut de quelques marches en pierre, un lourd vantail de bois d'un ton bordeaux fermait le logement. Dans la cour, une imposante porte double donnait accès à une zone où l'eau, partiellement retenue, permettait la baignade. Le chuintement de la chaussée où la rivière coulait en cascade, berçait les journées et les nuits d'un accompagnement apaisant. Dans le courant rejeté par la roue, la fillette aimait observer les poissons et les têtards, les algues et les morceaux de bois charriés par le fleuve, la diversité de leurs formes et de leurs couleurs la fascinait. Elle repliait sous elle ses jambes aussi frêles que les branchages et pouvait rester des heures à examiner ce foisonnement curieux.

Les promenades étaient fréquentes, les baignades joyeuses, les jeux d'enfant pleins de surprises et de découvertes. Les araignées d'eau claquaient leurs X au gré de leur nage syncopée. Les libellules voletaient d'un morceau de bois à une touffe d'herbe, qu'elles ressemblent à une allumette ou soient plus volumineuses, couleur de brindille, bleues ou vertes, elles semblaient jouer une farandole incessante. Les petits crapauds bruns se laissaient attraper, ils restaient dans le creux de ses mains de petite fille, gentils compagnons d'un instant.

Régulièrement, un couple de fermiers du hameau voisin conduisait ses vaches dans la prairie environnante, elles broutaient toute la journée avant de remonter le soir pour la traite. Les parents de la fillette cherchaient un terrain pour y construire une maison. Le dialogue s'installa naturellement puisque leurs âges, aux environs de la cinquantaine, les rapprochaient. Justement, les éleveurs disposaient d'une parcelle qu'ils ne pouvaient exploiter mais qui conviendrait au projet.

Des échanges s'instaurèrent, aboutissant à un accord. Peu de temps après, la nouvelle bâtisse commença à sortir de terre. Dans l'après-midi, souvent, la petite se rendait sur place avec son père pour surveiller l'avancement des travaux puis participer à la collecte du lait. La dame offrait toujours un bol du breuvage tout chaud à la fillette qui s'en régalait.

Ce soir-là, aucun bol ne se trouvant à portée de main, elle l'envoya à l'étage pour en prendre un.

Une fois engagée dans l'escalier de bois, la fillette entendit derrière elle, le pas lourd du mari. Dans la cuisine, elle n'eut pas le temps de s'approcher du buffet. Il la poussa dans la chambre adjacente, la força à s'allonger sur le lit. De tout son poids, il pesa sur elle. Sa bouche se fit insistante, elle osa serrer les dents, repoussant sa salive. Malgré ses efforts, elle ne parvint pas à tourner sa tête pour échapper à cela. Le souffle de l'homme devint rauque, ses mouvements plus saccadés et brusques. Les grosses mains calleuses parcouraient son corps d'enfant. Impatiemment, il explora et pétrit son buste à la recherche de seins qui n'existaient pas encore. Déçu, il glissa plus bas d'un mouvement pressant, il palpa son ventre aux muscles tétanisés. Ses doigts cherchaient à écarter ses cuisses. Terrifiée, immobile, rejetant ses gestes par la pensée, les niant faute de mieux, elle attendit qu'il arrête. Elle ne se débattit pas, elle avait trop peur. De l'endroit où elle était, elle fixait le tiroir du buffet où se trouvaient les couteaux. Elle était persuadée qu'il irait en chercher un et la tuerait. Pourtant, il se releva soudain et la lâcha. Aucun mot, aucun regret. Restaient l'effroi, le silence, le vide. Comme une somnambule, elle traversa la pièce à la hâte et se précipita vers l'étable. Arrivée là, elle ne voyait plus rien, n'osait plus rien regarder ni personne.

Sur le chemin du retour, elle en parla à son père. Il la questionna, cherchant à comprendre, les yeux braqués sur la route, droit devant lui. Même s'il n'éleva pas le ton, ne s'énerva pas, cela lui fit mal, sans aucun doute. Il en parla à sa femme. À la fermière. À qui d'autre ?

La vie reprit comme si rien ne s'était passé. Le fermier continua à rire bruyamment, sa femme restait toujours aussi accueillante, leur chienne grognait à l'approche de son maître maltraitant.

Le sujet ne fut plus jamais abordé. Enterré, nié. Il ne fallait pas faire de scandale dans le petit village.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maude ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0