1. Δ Bébert
Δ
Elle ne le sait pas encore mais elle est déjà condamnée, déjà morte, démembrée. Déjà dans mon estomac. La Proie. J’ai appris à ne pas trop me réjouir par avance, on ne sait jamais ce qui va attirer son attention au dernier moment, ce qui pourrait la détourner de son destin funeste. Mais mon estomac, lui, il apprend rien, alors il gronde. Il digère par avance. J’essaie de ne pas l’écouter, son boulot et le mien, c’est pas la même finesse, ce qui m’intéresse c’est ce qu’il se passe avant. Bien avant, jusqu’à la mastication. Après ça, je décroche. La Proie gagne du temps, enfin c’est ce qu’elle croit, pauvre innocente, alors j’en profite pour dire salut.
Déjà, je m’appelle Bébert. C’est un surnom, en quelque sorte, mais on m’appelle comme ça depuis toujours alors je peux pas dire que je me souvienne de mon vrai nom. Je sais que j’en ai plein. Bernard ou Hubert, qui sait ?
Ensuite, ce qu’il faut savoir c’est que je suis un Chasseur, vous voyez. Majuscule volontaire. Le meilleur, sans doute. Je ne me repose pas vraiment. Quand je ne chasse pas c’est pour leur donner une chance de se reproduire. Je ne dors que pour laisser mon inconscient chasser à son tour. Il est excellent. Presque le meilleur. Presque. Donc mon but c’est de ne jamais laisser mes rêves me battre. Un genre de compétition avec moi-même.
Les petits m’intéressent pas vraiment mais je les bouffe quand même. J’aime bien commencer par les membres. Les voir convulser comme si ça servait à quelque chose. Leurs mouvements sont grotesques, exacerbés, un peu comme une comédie au temps du cinéma muet. Alors je les regarde perdre leur sang quelques secondes et puis je conclus. Plus de l’ennui que de la pitié. Le goût m’indiffère mais mastiquer me procure du plaisir. La véritable récompense, c’est de savoir que j’ai gagné un peu d’énergie. Pour en bouffer un autre. La chasse, vous voyez, c’est simple, c’est question d’énergie. Dépenser, manger, régénérer et dépenser encore. Être chassé, c’est pareil mais en moins marrant.
Ce que je préfère, c’est chasser ceux qui pensent qu’ils peuvent me battre. Ma taille, c’est ma chance : comme je suis assez courtaud, ça augmente le nombre de cons sur la planète. Ceux qui me prennent pour rien et que je dévore très lentement, sans les achever. Bon, je les mange pas tous, évidemment. Il y en a qui demanderaient bien trop d’efforts pour les mettre à nu et les dépecer. Parfois, je les plante et ça me suffit. Je passe à autre chose. Faut pas oublier l’énergie, les niveaux, et le temps de recharge. Faut pas perdre de vue l’objectif. C’est un calcul à faire, mais je n’ai plus à me creuser la tête, suffit de suivre mon instinct. Donc je ne bouffe pas tout mais je chasse n’importe quoi. N’importe qui. N’importe quand. Dans le quartier, j’ai ma petite réputation.
Tiens, elle bouge.
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