Les fantômes de Bran Du
― Des fantômes ! s'esclaffe Séverine, allons donc ! Tu nous prends vraiment pour des débiles.
Sans se démonter, Loane continue.
― Ils ont aussi parlé d'une créature qui rôderait dans le parc. Un genre de monstre. Et puis...
― Oh, ça suffit, éructe Séverine, j'en ai assez entendu de ces conneries. Moi je te dis qu'il n'y a rien là-bas. On en vient, on aurait vu. Il y a aussi le vieil Iael qui vit là-bas.
― L'avez-vous vu ?
― Non, mais Maître Quimpbert...
― … ne l'a jamais vu non plus. Personne ne l'a jamais vu. Mais je vais vous dire, il y a des écrits, un grimoire que tenait le curé de la paroisse. Il parlait déjà d'un vieil Iael, le gardien du manoir.
― Et alors ? Il est sans doute très vieux.
― C'était pendant la Révolution. À cette même époque, l'armée des républicains a voulu pénétrer le château pour faire rendre gorge au comte de Ker Loa'ch qu'ils accusaient d'être un général de l'armée des Chouans. Accusation parfaitement justifiée. Ils ont envoyé plusieurs détachement là-bas, aucune n'en est jamais revenu.
― C'était la guerre, les Chouans étaient partout.
― Le comte de ker Loa'ch avait en ce temps là déjà mauvaise réputation. Il y a eu plusieurs disparitions de jeunes filles de son temps. Des bergères pour la plupart, mais aussi des paysannes et des filles de notables, des domestiques. L'évêque du diocèse était très préoccupé par ces disparitions, d'autant qu'on a jamais revu les jeunes filles, ni vivantes, ni mortes. L'affaire est montée jusqu'à Rome. On dit que le pape en personne a même dépêché un... disons une sorte d'agent secret pour enquêter. Il faisait son rapport au curé de la paroisse qui consignait tout sur son grimoire. Il avait la certitude que le comte enlevait ces filles pour des pratiques sataniques.
― Un peu comme Gilles de Rais tu veux dire.
― Tu ne crois pas si bien dire. Le comte était un descendant de Gilles de Rais.
― Des chromosomes contaminés par la démence.
― Un jour, l'agent secret s'est approché du manoir, d'un peu trop près sans doute. On l'a retrouvé plusieurs jours plus tard, errant, dénudé... et fou. Il psalmodiait des paroles incompréhensible, mélange de breton, de latin et d'autres dialectes oubliés. Il parlait de jeunes vierges livrées à Satan, de bébé dévorés vivants. Le curé de la paroisse a tout consigné.
― Ce grimoire, est-il possible de le consulter ?
― Sans doute, il faudrait voir avec le Monsieur le curé.
― Où est-il, Monsieur le curé ? J'ai vu une pancarte sur l'église mais je n'ai rien compris. C'est du breton.
― Le français ici est une langue étrangère. En fait, nous n'avons plus de curé. Le dernier, las de cette histoire qui terrifie les gens et les poussent à s'enfermer le soir, est parti là-bas pour exorciser les lieux.
― Et alors...
Loane aspire encore une longue bouffée. Sa cigarette n'est déjà plus qu'une longue carotte de cendre sur laquelle elle s'évertuait encore à tirer.
― Et alors, rien. Il est revenu, pale comme un mort. Il a fait ses bagages, annoncé à tous qu'il partait faire retraite quelques jours et revenait bientôt, et il n'est plus jamais revenu.
― Une retraite qui dure. Depuis combien de temps est-il parti ?
― Quatre ans.
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