Prologue
Le crépuscule s'étalait lentement, ses teintes ambrées venant égayer l'obscurité rampante. À cet instant, dans les entrailles sombres de sa cellule, une jeune fille d'à peine douze ans frissonnait dans l'ombre de sa geôle. Le froid s'insinuait dans ses membres, mais ce n'était rien comparé à la glace qui avait saisi son cœur. La journée avait apporté le spectacle funeste du massacre des siens. Aujourd'hui ou demain, sa propre fin viendrait. Ses yeux violet erraient d'un coin à l'autre de sa prison, scrutant tour à tour la fenêtre grillagée, cruelle sentinelle de sa captivité, et la porte verrouillée. Dans son esprit, un impératif s'imposait : fuir, survivre à tout prix, résister à l'issue fatale. L'image des têtes de ses parents, aux côtés de ses frères et sœurs, tous transpercés par un pieu de bois, hantait son esprit. Elle était désormais une héritière esseulée, unique survivante d'une lignée autrefois puissante. Cependant, la menace qui planait était si pressante que le chagrin, pour l'heure, restait étouffé par l'impérieuse nécessité de survivre.
Pendant qu'elle ourdissait encore sa fuite dans l'obscurité, une voix lointaine s'éleva dans les dédales des couloirs, brisant le silence.
– La fillette n'est pas encore une menace. Êtes-vous sûr de vouloir effectuer la cérémonie de sitôt ?
Une autre voix répliqua aussitôt :
– La Veuve attend un sacrifice digne de ce nom. Cette enfant détient en elle des entrailles royales, c’est mieux que tout ce que nous pouvions espérer.
À ces paroles, la lourde porte grinça. La petite se redressa brusquement, un air de défi masquant tant bien que mal sa terreur grandissante.
– Tu vas purger les fautes de tes aïeux.
Le vieil homme qui venait de s'adresser à elle était drapé dans la toge caractéristique des prêtres de la lune. Parmi ses longs cheveux gris, une mèche couleur bronze étincelait faiblement à la lueur tamisée provenant de la fenêtre.
Avec toute la fougue et l'audace qui caractérisaient son clan, elle lança d'un ton de défi en espérant masquer toute trace de peur dans le timbre de sa voix :
– Vous feriez mieux d'en finir maintenant avec moi !
– Ma chère enfant, la survie même de la forêt d’Éthérénia dépend de ta présence. Nous ne pouvons t'éliminer. Cependant, nous allons nous assurer que tu ne deviennes jamais un danger.
Bien qu'encore enfant, elle saisissait parfaitement le destin qui l'attendait. Il s'agissait là de la plus haute punition, la plus dégradante qui puisse être infligée aux femmes dans son monde. La mort aurait été une issue bien plus clémente que celle de la désovarisation.
Son visage se transforma alors, reflétant enfin la peur qui l'envahissait. Le prêtre semblait se délecter de cet aveux de faiblesse.
– N'aie crainte, petite. Tu ne subiras pas la stérilisation infâme réservée aux vulgaires prostituées ayant ôté la vie à leur progéniture. Tu auras droit à une cérémonie sous le regard de la déesse Veuve, une coupe propre et rapide.
Le peuple de la jeune fille vouait une haine profonde aux coutumes et aux divinités cruelles des Pélicans. Ils justifiaient continuellement leurs atrocités et leurs mythes dépravés comme étant la volonté divine.
Le vieil homme jeta un bref regard à l'extérieur et, constatant l'heure tardive, poursuivit :
– Ne perdons pas de temps. Emmenez-la.
Deux gardes, identifiables par la mèche cuivrée qui traversait leurs cheveux, la saisirent par les bras. La jeune fille se mit à hurler à en briser les tympans, se débattant avec une énergie démoniaque. Incapables de la maîtriser, l'un des gardes lui asséna un violent coup de poing au visage. L'impact laissa la jeune fille presque inconsciente, et eut pour effet escompté de la réduire au silence. Le prêtre s'écria :
– Ne l’abimez surtout pas !
Devant le filet de sang qui perlait sur le menton de la fillette, le vieil homme leva un regard glacial sur le garde qui l'avait frappée. D'un geste, il libéra une décharge d'Énergie qui se répandit dans toute la pièce. Alors que le gardien ouvrait la bouche pour présenter des excuses, ses dents, à l’instant fièrement alignées, dégringolèrent bruyamment au sol par dizaines, cliquetant contre la pierre grise de la geôle. Un hoquet de stupeur s'échappa de sa gorge alors que son visage se déformait. Des sillons apparurent, traversant son épiderme comme des crevasses sur une terre desséchée. Il paraissait vieillir à une vitesse vertigineuse, ses traits se flétrissant à une cadence infernale.
Toute matière organique disparut progressivement de son corps, ne laissant que quelques lambeaux de peau flétris sur un amas d'os. Son corps squelettique se fracassa au sol.
Le prête jeta un coup d’œil plein de mépris à la dépouille.
– Nous nous occuperons de ça plus tard. Allons-y.
La gamine, encore sous le choc du coup qu'elle avait reçu, fut soulevée du sol et emmenée de force vers l'extérieur. Sa respiration créait de petits nuages blancs s'élevant vers le ciel, où quelques étoiles commençaient à percer. Ce ciel, témoin de ses plus beaux moments de jeunesse, et sous lequel tous ses espoirs avaient pris fin aujourd’hui. À seulement douze ans, les instants les plus doux de sa vie semblaient déjà appartenir au passé.
Le cortège la conduisit au cœur de la Forêt Mère, un lieu sacré pour elle et ses ancêtres. Plusieurs prêtres s'y tenaient prêts, éclairés par la lueur vacillante des torches dans l'obscurité. Une lourde pierre trônait au centre de leur assemblée, où les gardes déposèrent le corps frêle de la jeune fille. Des mains la saisirent de toutes parts, la fixant solidement à la pierre. Elle tourna légèrement la tête et entrevit l'éclat d'un couteau rituel, étincelant à la lumière des torches. Pour la première fois depuis le début de cette journée funeste, le poids accablant de son destin sembla l'écraser si violemment qu'elle eut du mal à respirer. Ses vêtements furent déchirés, dévoilant la chair rose de son ventre, ses entrailles brûlant déjà dans l'attente de la souffrance à venir. Une larme perla au coin de son œil, solitaire témoignage de sa détresse face à l'implacable réalité qui s'imposait à elle.
Alors que le couteau rituel s'enfonçait dans son corps, transperçant son être et déclenchant ses hurlements retentissants, une colère inconnue s'empara d'elle, balayant en un seul instant sa brève nostalgie. Le sacrifice de ses proches ne serait jamais vain. La volonté inébranlable de ses ancêtres ne s'éteindrait pas avec elle.
Dans ses yeux violets, autrefois empreints de désespoir, naquirent des flammes de rage et de détermination. Erya se fit alors une promesse, une déclaration silencieuse à l'univers : elle ne mourrait jamais. Sa détermination à vivre brûlait, embrasant son esprit d'une résolution inébranlable.
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