Son dernier regard

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Au petit matin

Nous sommes le 03 juillet 2020. C'est une magnifique journée d'été. A notre réveil, un ciel bleu azur et un soleil de plomb nous emplissent l'âme de joie. Nous discutons, nous faisons des petits projets, nous sommes très heureux mais… Les enfants jouent sous la couette à cache-cache tandis que nous prenons notre petite tasse de café de joyeuse humeur comme si…

Soudain, la sonnerie du téléphone retentit; nos menottes se serrent immédiatement, nos regards se croisent sans un mot. Une fraction de seconde qui paraît une éternité : qui va décrocher? J’y vais… C'est l'infirmière des soins palliatifs au bout du fil. Mon coeur bat la chamade, mes lèvres tremblent, ma vue se brouille... alors qu'elle vient uniquement de se présenter. Une multitude de flashs défile devant mes yeux puis enfin, elle s'explique.

Mon âme se brouille de larmes mais elles ne roulent pas sur mes joues, je dois réagir, prévenir mon conjoint, mon beau- père, préparer les enfants… Je ne peux pas craquer maintenant... Non, pas tout de suite… Je ne peux vraiment pas…

Audric me regarde, aucun son ne sort de ma bouche mais il a compris: sa maman est sur le point de nous quitter; ses reins viennent de la lâcher, et les transfusions sanguines ne suffisent plus. L'hémorragie interne est trop importante, elle se vide de son sang par les voies urinaires et gynécologiques. Il faut se dépêcher, elle risque de sombrer dans le coma d'un instant à l'autre…

Nous lui téléphonons, elle décroche difficilement mais elle nous parle, d'une petite voix très faible, elle raisonne, nous réclame, regrette de ne pas avoir tenu plus longtemps. Elle semble malgré tout apaisée et nous la supplions de tenir le coup jusqu'à notre arrivée avec les enfants.

Le silence s'abat ensuite sur notre maison: personne ne pipe mot, les éclats de rires des petites ont cessé brusquement, elles ont compris à notre regard envahi par la tristesse, la peur, le doute et cette douleur qui nous submerge … Aucun son ne parvient à franchir notre gosier sec noué par l'émotion, pourtant chacun voudrait crier, hurler à gorge déployée: "Pourquoi? Non, pas déjà ! Pas maintenant, il est encore trop tôt ! c'est injuste...".

C'est dans cet état d'esprit que nous nous engouffrons dans notre voiture et que nous nous dirigeons vers l'hôpital. Pourtant nous savions, nous pensions être prêts pour cet instant mais… Durant le trajet, je me souviens des longues conversations que nous avions eues au cours de ces dernières semaines, de ses désirs quant à la cérémonie, le lieu de ses funérailles, de ses instructions pour le choix du caveau et de sa dernière demeure…

Cinq jours plus tôt.

Nous pénétrons dans sa chambre ; elle est assise dans son fauteuil et nous accueille avec un grand sourire, les filles courent se blottir dans ses bras puis nous l'embrassons. Elle s'est faite toute jolie, le coiffeur vient de lui laver, recouper les cheveux et de lui réaliser un beau chignon… Elle a enfilé sa plus belle chemise de nuit.

Aussitôt, elle donne à Lydie la collection de cartes du soir Magazine comme chaque semaine; quant à Eve, elle plonge par habitude sur la boîte de biscuits danois... Je l'observe d'un œil admiratif: ses petits- enfants lui donnent l'envie formidable de s'accrocher un peu plus chaque jour à la vie… Elle regarde fièrement les notes de Lydie, elle les attendait avec tellement d' impatience.

Une promesse tenue des deux côtés: elle a promis à sa petite fille de tenir le coup jusqu' à son bulletin. Lydie avait en contrepartie juré de donner le meilleur d'elle- même en guise de cadeau à sa mamy adorée, le dernier mais le plus touchant des présents. Elle paraît tellement heureuse, regarde avec attention les pitreries des petites, en rigole alors que nous savons tous son départ imminent, elle en premier lieu... Incroyable !

Cet après-midi.

A notre arrivée, elle est consciente. Elle murmure dans un souffle court ses derniers mots à notre attention. J’approche mon oreille contre ses lèvres et je perçois : « C’est l’heure, je dois partir… Oh mais... Maman ? »

Elle plonge ensuite dans l’inconscience, nous lui tenons la main comme ultime au- revoir. Elle semble si sereine alors que la mort insatiable lui ravit pourtant son âme…

Durant la nuit Yves, certainement sous le choc de la mort de son épouse, est victime d’un AVC et dégringole l’escalier. Emmené à l’hôpital, il y subit divers examens assez approfondis. Les mauvaises nouvelles se succèdent alors: non seulement, son accident vasculaire cérébral lui laisse des séquelles mais en plus, il souffre d’un cancer métastatique du pancréas inopérable dans l' immédiat. Pour couronner le tout, il ne garde aucun souvenir du décès de Aline, il la réclame sans arrêt !

C’est vraiment beaucoup à encaisser en une seule journée. Pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, Audric compte sur mon aide pour préparer l’enterrement de sa maman dans les moindres détails. Je ne sais même plus si, à ce stade, j’éprouve encore quelque sentiment que ce soit…

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