S’il est un film qui me fait pleurer à chaque fois que je le regarde, c’est bien Cyrano de Bergerac. Réalisé par Jean-Paul Rappeneau, ce film a remporté dix oscars en 1990, ainsi que le prix d’interprétation masculine pour Gérard Depardieu au festival de Cannes. Bref, il n’y a pas que moi qui l’ai aimé.

 Pour résumer l’histoire rapidement, Cyrano de Bergerac est amoureux de Roxane, sa cousine, mais s’estime trop laid pour avoir la moindre chance avec elle. Pour enfoncer le clou, elle vient le voir et lui annonce qu’elle aime Christian, un jeune baron qui vient de rejoindre son régiment, et lui demande de le protéger. Cyrano a le cœur en miette, d’autant plus qu’il avait songé à cette entrevue avec espoirs, mais il accepte et promet également que Christian lui écrira. Le problème… c’est que celui-ci ne sait pas parler d’amour. Cyrano lui propose donc d’écrire à sa place. Le stratagème fonctionne, Roxane et Christian se marient. Et puis, les hommes doivent partir à la guerre. Tandis que Christian et les autres soldats souffrent des privations, Cyrano continue d’écrire à Roxane et prend des risques pour poster ses lettres. Christian l’apprend et lui prend la dernière lettre, dans laquelle il fait ses adieux, prévoyant l’assaut qu’ils allaient subir. En route pour aller la poster, il tombe sur Roxane venue avec un chariot de provisions. Il la ramène dans leur camp et elle lui dit que ses lettres étaient trop belles et qu’elle ne pouvait rester loin de lui plus longtemps. Elle s’excuse même de l’avoir aimé pour son physique plutôt que son âme et lui dit que désormais, son amour resterait inchangé quand bien même il serait défiguré. Christian n’est pas très content, vous vous en doutez bien, et contraint Cyrano à avouer la vérité tandis qu’il part se battre désespérément, l’attaque ayant commencé. Tandis que Cyrano, plein d’espoir, prend son courage à deux mains, Roxane aperçois Christian mortellement blessé. Elle se précipite pour l’aider et découvre sur lui la lettre de Cyrano. Celui-ci dit alors au mourant qu’il a avoué et que Roxane l’aime toujours. Christian meurt. Des années plus tard, Cyrano se fait piéger dans un simulacre d’accident, pour des pamphlets violents contre des nobles de la cour. Sa blessure ne l’empêche pas de rejoindre Roxane dans le couvent où celle-ci s’est retirée après la mort de Christian. Sentant sa mort proche, il lui demande de pouvoir lire la dernière lettre de Christian, ce qu’il fait à voix haute pour lui faire ses adieux. Roxane se rend compte qu’il la connaît par cœur alors qu’il est censé la découvrir, elle comprend tout. Cyrano meurt.

 Bon, et alors ? Outre les qualités évidentes de ce film qui lui ont valu tous ces prix, pourquoi est-ce que la dernière scène me laisse toujours avec des larmes plein les joues ? Et bien en grande partie pour le personnage de Cyrano en lui-même. Mais avant d’aller plus loin, un peu de théorie sur l’élaboration d’un personnage.

 Un personnage quel qu’il soit possède deux types de traits : les traits d’empathie (oh mais je fais comme lui, on se ressemble !) et les traits d’admiration (ouah il est trop fort, j’aimerais être lui !). Généralement, votre objectif va être de créer un personnage qui ressemble assez à vos lecteurs afin qu’ils puissent avoir de l’empathie pour lui, cependant un personnage trop « normal » peut lasser ; ne serait-ce que parce que nos vies sont souvent plates et qu’il n’y a pas grand-chose à en dire. Votre héros, bien que bourré de traits d’empathie, va donc avoir des capacités supérieures au commun des mortels, un destin incroyable ou au minimum la capacité de s’améliorer en tant qu’individu.

 Revenons à Cyrano. Pour ce qui est de ses traits d’admiration, c’est évident : il est poète et extrêmement doué, ainsi qu’un épéiste hors-pair ; et il a énormément de panache. De manière générale, un bon adjectif pour le décrire serait « grandiose ». Enfin, ça c’est si on reste en surface. Il a en effets deux traits d’empathie principaux : il est laid et, surtout, ne s’aime pas. Comme le dit le réalisateur dans une interview : « Son nez, il l’a autant à l’intérieur qu’à l’extérieur ».

 Tous ces traits me parlent, j’aime ce personnage. Comme lui, je ne me trouve pas très beau, comme lui je ne m’aime pas beaucoup, et comme lui j’en oublie trop souvent de belles qualités qui compensent largement le reste ; et puis, j’aimerais être aussi grandiose que lui.

 Quand il enterre définitivement ses espoirs, après que Roxane lui a parlé de Christian, il fait en sorte que cela marche entre eux. Il en profite pour pouvoir exprimer à Roxane tout son amour et ce sans qu’elle le sache, bien sûr, mais voyez-vous la scène du balcon ? Après avoir dit de la poésie à Roxane en profitant de la nuit pour se faire passer pour Christian, il laisse celui-ci monter la rejoindre sur son balcon et part, seul et triste, tandis qu’ils s’embrassent. L’amour qu’il porte à Roxane est bien plus fort que son désir d’être aimé en retour, même si le fait qu’il ne s’aime pas et s’estime indigne d’être aimé joue grandement aussi. Il n’hésite pas à se sacrifier pour qu’elle soit heureuse.

 À la fin, on apprend que Cyrano provoque des puissants avec ses pamphlets, ce qui cause sa mort. En revanche, il se moque bien de s’être fait plagier par Molière (qui a réellement volé des vers au véritable Cyrano, soit dit en passant). Plus que jamais, sa liberté qu’il défend depuis le début, et notamment en refusant le poste prestigieux de mousquetaire, s’apparente à de l’auto-sabotage.

 Cyrano est un homme grandiose, qui pourrait tout avoir mais y renonce car il s’en estime indigne. Voilà, je pense, pourquoi est-ce que ce film me touche autant.