Frankenstein : le problème de la distance
Est-il utile de présenter ce roman de Mary Shelley ? On connaît tous l’histoire : Victor Frankenstein, un jeune et brillant scientifique se met en tête de créer la vie en laboratoire. Il y parvient, mais l’humanoïde auquel il donne la vie est si hideux qu’il en est dégoûté autant qu’apeuré. Il l’abandonne donc et la créature n’aura alors de cesse de le tourmenter.
Très intéressant pour son immense impact sur la culture populaire, ce roman souffre de son genre : il est épistolaire. Le véritable personnage principal est un marin nommé Robert Walton qui part en expédition et écrit des lettres à sa sœur restée en Angleterre. Il rencontre Frankenstein et lui sauve la vie durant ce voyage, puis il recopie le récit que lui fait le scientifique. Il se passe donc des années entre les évènements et leur récit. Alors comment s’inquiéter pour Frankenstein dont on sait qu’il va survivre ? Quant à ses proches, qui eux sont en danger, on ne les connaît que par le portrait trop idéalisé (et donc irréaliste) qu’il en fait ; autant dire qu’ils nous laissent assez indifférent. D’ailleurs, la souffrance de Frankenstein lui-même (dont il nous parle en long, en large et au travers) m’a laissé de marbre.
Honnêtement, je pense que le personnage pour lequel j’ai eu le plus d’empathie est la créature ; peut-être était-ce l’objectif de Shelley mais j’en doute.
Certains romans épistolaires sont très bon et n’ont rien à gagner avec une narration plus « classique » (je pense bien sûr aux Liaisons dangereuses de Laclos) mais pour d’autres, et je pense que c’est le cas ici, ce genre n’est pas le plus adapté à l’histoire racontée. Un récit direct aurait eu à mon avis plus d’impact émotionnel sur les lecteurs ; ce qui aurait profité également à la thématique du roman : la transgression (des règles naturelles et célestes).
Une règle bien connue en narration est le fameux « show don’t tell » : ne dis pas, montre. Si le genre épistolaire peut montrer le caractère des personnages, il est incapable d’en faire de même avec les scènes d’actions qui seront toujours rapportées. C’est là que ce roman, très bon par ailleurs, perd dramatiquement en intensité.
S’il y avait eu une narration classique, on aurait été plus proche de Frankenstein. Avec un roman épistolaire et des années d’écart entre les évènements et leur récit, la distance est trop grande pour que l’on soit réellement impliqués.
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