2.
Il m'a invité à coller mon regard à l'un de ses dessins. Il insistait :
- Allez, rapproche-toi encore !
- Mais c'est bon, je le vois très bien, répondis-je sèchement. Réflexe ! Je n'aimais pas que mon coeur me donne des ordres !
Cela ne l'a pas empêché de me pousser vers le cadre. Distorsion. Mon corps s'est déformé et je me suis vu aspiré, de manière brutale. Me voilà projeté dans une scène. Celle qui était dessinée.
J'étais assis, sur un banc au milieu d'un jardin, ou d'un parc, je ne sais pas vraiment. Il y avait beaucoup de lumière, et j'avais du mal à tout distinguer. En revanche mon sens auditif fonctionnait à merveille. Le chant des oiseaux et le murmure du vent me caressaient les oreilles. J'entendais aussi l'écoulement d'un ruisseau, pas très loin. J'avais un livre dans les mains. Il était ouvert à la vingt-cinquième page. Enfin, des bruits de pas se sont intensifiés au milieu de la mélodie de la nature.
En relevant les yeux j'ai remarqué que des traits crayonnés se sont matérialisés devant moi. Une silhouette bien courbée mais sans aucun surplus, tout d'abord, puis des cheveux noirs , des yeux couleurs noisette, un peu bridés, un visage prenait forme, un beau nez légèrement relevé, une petite bouche sans artifices, des joues un peu rosées... C'était elle. Celle que mon coeur voulait, et que j'aurais peut-être. J'ai souri, elle aussi. La belle s'est assise à mes côtés, sans parler. Gênés, nos regards se sont tenus l'un dans l'autre, cinq ou six secondes. Je ne savais pas s'il fallait que je me lance, en la saluant, ou faire comme si tout était normal et retourner à ma lecture. Elle s'est décidée avant moi.
- Bonjour !
- Euh... euh... bonjour , relançais-je en rougissant. Je ne me connaissais pas si timide.
Elle se remit alors une mèche de cheveux derrière l’oreille. Avant de m'interroger :
- Pourquoi tu n'es jamais venu m'aborder ?
- Je sais pas. Je...
Évidemment, je ne pouvais pas savoir pourquoi je ne l'avais jamais abordée. C'était la première fois que je la voyais. Ce n'était pas très cohérent. Mais ce qu'elle allait me dire aller clarifier les choses.
- Cela fait des jours que je te vois ici, tu m'observes, lorsque je viens prendre l'air. Au début je t'ai pris pour un psychopathe... Haha ! Qu'est-ce que tu me veux ?
Je comprenais mieux. C'était le scénario de la scène. Mon coeur avait créé ça de toutes pièces. Mais comment pouvais-je savoir quoi répondre ? Déjà elle m'intimidait. Il fallait que j'y aille à l'improviste, et pourtant, j'avais cette intime conviction que mon coeur avait le contrôle. Qu'est-ce que je lui voulais ? Un rendez-vous peut-être ? J'ai éludé la question, pour lui dire ça :
- Oh, moi un psychopathe ? Hum... C'est peut-être le cas ? Mais si je suis dingue, je n'aurais pas plus belle raison que d'être fou, qu'en t'observant.
- Woah ! Psychopathe et beau parleur qui plus est... Un beau feeling était en train de lui tirer le coin de ses lèvres.
A ce moment-là, mon corps s'est contracté. Tout est devenu de plus en plus flou. Dans ma vision, tout se gommait. Un clignement des yeux, et je me suis de nouveau retrouvé dans la chambre capitonnée de mon coeur. Je tremblais de cette expérience. Un véritable artiste ce coeur. Même dans sa solitude, et loin de tout, il ne s'était pas contenté de son boulot le plus rudimentaire : n'être qu'une pompe, pour me maintenir en vie. Non ! Il avait imaginé toute une histoire d'amour en parallèle. Et je venais d'en vivre les premiers instants.
Il me tapa l'épaule, pour me sortir de ma réflexion.
- Alors ? Comment tu la trouves ?
- Merveilleuse ! Mais cette scène s'arrête ici ? Et la suite alors ? m'impatientais-je !
- Ne sois pas si pressé ! Rapproches-toi du dessin suivant... !
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