La maison

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A peine entrés, ils s'arrêtèrent pour regarder autour d'eux. Le papier peint était fichu, moisi, le revêtement de sol complètement gondolé se décollait par endroits, il y avait des traces d'humidité un peu partout et on devinait le jardin en friche à travers des volets de guingois. Un vrai carnage.

« C'est magnifique ! »

« Oh je t'en prie, Fred, n'en rajoute pas. »

« Faut te préparer psychologiquement frangin, c'est exactement ce que dira ta femme en mettant les pieds dans cette bicoque. »

« Oui, c'est bien ce qui m'inquiète, » maugréa-t-il en faisant demi-tour.

« Tu te sauves déjà ? »

« Il faut que je lui fasse changer d'avis, même si je dois la supplier à genoux ! »

Frédéric le regarda partir en se disant que son pauvre frère était tombé bien bas, puis continua la visite, le sourire aux lèvres.

Les autres pièces étaient dans le même piteux état, aussi bien au rez-de-chaussée qu'à l'étage. Il nota aussi que l'antique réseau électrique était bon à refaire. Cependant, à la décharge de sa belle-sœur, il devait avouer que, sous ses airs défraîchis, cette vieille maison n'avait pas que de mauvais côtés. Des murs de pierre épais qui avaient su résister aux assauts du temps, de nombreuses et larges fenêtres ouvrant sur un vaste jardin qui manquait simplement d'entretien. Comme le tout tenait encore debout, on pouvait même espérer que les fondations étaient solides. Tout cela réuni contribuait au charme de la demeure sur laquelle la chère et tendre de son frère avait jeté son dévolu, d'autant plus que sa mère y était née.

Quand il eut fini d'explorer l'étage, il continua par le grenier, où il découvrit un amoncellement de vieilleries de toutes sortes, parsemé ça et là de tuiles brisées. Il leva les yeux et ne put s'empêcher de soupirer en voyant l'état de la toiture : c'était encore pire vu d'ici que de l'extérieur. La plupart des tuiles étaient cassées ou manquantes, il faudrait donc toutes les remplacer. Seule la charpente semblait encore en bon état, mais c'était déjà ça.

Après ce rapide examen, il s'approcha d'une fenêtre pour jeter un coup d'œil dehors. Il y vit les deux tourtereaux plongés dans une conversation animée au milieu des hautes herbes du jardin. Tous deux faisaient de grands gestes en direction de la maison, mais apparemment avec des points de vue différents. Finalement, il sut qu'elle avait gagné quand il vit son frère baisser les bras et acquiescer, tandis qu'elle lui sautait au cou, satisfaite.

Joëlle et Philippe, mariés pour le meilleur et pour le pire. Il les regarda quelques instants, mais il ne les enviait pas, loin de là. Il s'était même juré de ne pas faire la même bêtise que son grand frère, si bien qu'il était libre de butiner toutes les belles fleurs de la région, sans contrainte. Non c'était certain, jamais il ne serait l'esclave d'une femme en cédant à tous ses caprices !

Et c'est sur cette bonne pensée qu'il se dirigea vers l'escalier, histoire d'entendre ce que son frère avait à dire pour sa défense. En chemin, son regard tomba par hasard sur quelque chose de brillant. En s'approchant, il vit que c'était une vieille bague, probablement sans grande valeur. Il n'y accorda pas plus d'attention – il préférait laisser les fouilles à son ensorceleuse de belle-sœur –, jusqu'à ce qu'il arrive à côté. Là, il s'arrêta net. Il baissa les yeux et ne put freiner la curiosité qui le poussait à ramasser cet objet pour l'étudier.

Il était fait d'un serpent de métal qui se mordait la queue en formant un cercle. L'homme était fasciné, non seulement par le motif, mais aussi par la finesse de l'ouvrage. Celui qui avait fabriqué cet anneau était un véritable génie artistique.

Était-ce son étrange beauté qui lui donna l'envie irrésistible de le passer à son doigt ? Toujours est-il qu'il prit l'anneau dans sa main droite pour l'enfiler sur son annulaire gauche, avec une facilité telle qu'on aurait pu croire qu'il avait été fait pour lui.

D'abord, il ne se passa rien. Puis un sentiment de malaise grandit peu à peu en lui. Sa vue se brouillait et il fut pris de vertige, tout, autour de lui, se fondait peu à peu en une ombre de plus en plus opaque, jusqu'à ce qu'il ne distingua plus rien. Se sentant perdre pied, il tenta de se raccrocher au hasard, mais le hasard ne pouvait plus rien pour lui, c'était comme si rien n'existait plus. Alors il voulut crier, mais aucun son ne pouvait sortir d'une bouche inexistante.

Presque aussitôt, ses sens revinrent petit à petit, mais tout était confus. Il était assourdi par un bruit continu entrecoupé de craquements secs, si bien qu'il entendit à peine le cri qui sortit de ses lèvres à retardement. Il était bombardé de milliers de projectiles qu'il sentait ruisseler sur sa tête. Quand sa vue s'éclaircit enfin, il se découvrit en pleine campagne, sans autre mur qu'une pluie battante, et au dessus de lui plus de toit sinon de lourds nuages noirs.

« Philippe ! »

Son cri, inutile, se perdit dans le fracas de l'orage, tandis qu'il restait là, hébété.

Soudain, une brusque rafale de vent le fit chanceler et la pluie lui cingla le visage, le ramenant à la réalité. Il regarda autour de lui et, apercevant une forme vague au loin, courut de toutes ses jambes dans cette direction. Il arriva bientôt au pied d'une petite falaise, qu'il longea à la recherche d'un abri, et se précipita dans la première grotte qu'il trouva.

A bout de souffle, transi de froid et trempé jusqu'aux os, il regardait avec stupeur le rideau gris qui tombait du ciel, devant un paysage qu'il ne reconnaissait pas. Mille questions se pressaient dans sa tête, mais la seule explication lui venant à l'esprit était qu'il nageait en plein cauchemar. C'était sûrement ça : il était tombé et avait perdu connaissance, il n'avait donc plus qu'à attendre que son frère vienne le réveiller pour le tirer de ce mauvais rêve.

Il cria quand même plusieurs fois son nom, espérant que son frère l'entendrait l'appeler dans la réalité, puis attendit quelques minutes, sans résultat.

Cependant, il tremblait tellement qu'il se décida finalement à enlever sa chemise trempée. Il venait de la jeter par terre quand il reçut un terrible coup sur la tête. Il ne se sentit même pas tomber... il avait déjà basculé dans les ténèbres.

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