Visite de la reine

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Assis par terre, adossé contre les barreaux, il ruminait sur son sort quand le bruit d'une cavalcade le tira de sa torpeur. Des chevaux, en pleine ville ! Le temps qu'il se relève et arrive sous la lucarne, le claquement des sabots sur les pavés s'éloignait déjà.

Son cœur, qui battait un peu plus vite sous le coup de la surprise, fit un nouveau bond lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir. Il s'approcha des barreaux avec appréhension, et vit s'avancer un garde suivi d'une femme. Il reconnut l'homme qui l'avait amené devant le roi, le capitaine, alors qu'il se plantait face à lui de l'autre côté des barreaux. Il en oublia de respirer quelques instants.

Le capitaine le foudroyait du regard, lui faisant redouter le pire. Le jeune homme aurait voulu pouvoir se cacher dans un recoin.

« Toi ! aboya-t-il. Qu'attends-tu pour t'agenouiller devant la Reine ? »

Figé sous le coup de la surprise, il regarda instant la femme qui attendait un peu en retrait, puis il se laissa tomber à genoux, tête baissée, avant que le capitaine n'ait eu le temps d'atteindre la serrure de sa cellule. Au point où il en était, une petite humiliation de plus n'était rien si ça pouvait lui éviter de recevoir des coups. Pour une fois, il n'était pas mécontent de rester à l'abri derrière les barreaux.

« Merci, capitaine. Vous pouvez nous laisser à présent. »

Il ne releva pas les yeux en entendant la voix autoritaire de la reine. Même sans le voir, il sentait encore le poids du regard désapprobateur du capitaine.

« Majesté, » finit par dire celui-ci, « j'aimerais à nouveau insister pour ... »

Il s'était tu brusquement, ce qui poussa Frédéric à jeter un bref coup d’œil. L'autorité n'était pas seulement dans la voix de la reine, elle était aussi dans sa posture, dans son regard, un regard qui n'admettait aucune discussion.

« Bien, Majesté. J'attendrai derrière la porte. »

Le jeune homme garda la tête baissée tandis que le capitaine s'éloignait. Il ne bougea pas plus en entendant la porte se refermer, le laissant seul avec la reine. Il attendit en silence qu'elle se manifeste d'abord, ne sachant ni quoi dire, ni comment le dire. C'était bien la première fois qu'il se sentait gêné face à une femme.

Quand le silence devint inconfortable, il osa lever les yeux vers elle. Le port bien droit, elle le toisait de toute sa hauteur, le regard dur. Il n'avait voulu que jeter un coup d’œil rapide, mais il ne pouvait détourner son regard, capté par celui de la reine.

« Tu vas répondre à mes questions, » dit-elle en détachant ses mots.

« Oui, » s'entendit-il répondre dans un souffle.

Il avait l'impression de n'être plus qu'un spectateur, c'était une sensation étrange. Était-ce cela être hypnotisé ? Il n'en avait aucune idée. À son inspiration suivante, il réalisa que le temps semblait s'écouler au ralenti. Il la vit parler à nouveau bien avant que le son de sa voix ne lui parvienne.

« Qui t'envoie ? »

Comment pouvait-il répondre à cette question, alors qu'il ne savait même pas comment il était arrivé jusqu'ici ? Il aurait voulu pouvoir dire tout cela, mais les mots qui se formaient dans sa bouche échappaient à sa conscience.

« Personne, » répondit-il d'une voix distante.

Il vit qu'elle était contrariée par cette réponse. Lui-même était contrarié de ne pouvoir en dire plus, il ne pouvait qu'attendre avec impatience la question suivante.

« Pourquoi es-tu ici ? »

Encore une mauvaise question, à laquelle il n'y avait pas de bonne réponse. Il n'avait aucune idée de ce qu'était cet ici.

« Je ne sais pas, » fut la réponse qui sortit de sa bouche.

Quelle réponse stupide ! Il en eut confirmation en la voyant prendre peu à peu un air excédé.

« Où sont tes complices ? »

L'agacement filtrait dans sa voix. Une voix dure, mais agréable malgré les circonstances. Tout comme son regard. Il était dommage que cette voix et ce regard l'accusent ainsi, alors qu'il n'avait absolument rien fait.

« Je ne les connais pas. »

Sa propre voix avait interrompu le fil de ses pensées. Il ne se souvenait même plus de la question qui avait amené cette réponse, mais il soupçonnait que celle-ci ne devait pas être très satisfaisante.

Quand le regard de la reine se détacha du sien, il se mit à cligner des yeux à toute allure, en même temps qu'il sentait le sang battre contre ses tempes à un rythme rapide. Il secoua la tête pour s'éclaircir les idées. Il commençait à reprendre le contrôle de lui-même.

« C'est une perte de temps ! » gronda-t-elle avant de lui tourner le dos pour partir.

Voyant cela, il se remit sur ses pieds et se précipita contre les barreaux qu'il agrippa des deux mains.

« Attendez, je vous en prie ! Laissez-moi au moins m'expliquer ! »

Son ton désespéré contrastait avec la voix impersonnelle qui avait été la sienne juste avant. Elle se retourna d'un air impatient, croisa son regard suppliant, mais y resta indifférente. Soudain son attention se fixa sur lui, les yeux un peu écarquillés, comme surprise. En fait elle regardait sa main. Elle regardait l'anneau.

En réalisant cela, il avança sa main pour montrer l'anneau.

« Cet anneau, » implora-t-il, « vous le reconnaissez, n'est-ce pas ? »

Il regardait la reine avec intensité, la gorge serrée, guettant le moindre signe d'acquiescement. Il lui fallait une réponse, une explication, c'était sa seule chance de briser ce cauchemar.

Elle avait détourné les yeux, le mettant au supplice. Cette fichue bague allait la faire fuir. Si seulement il avait cette option. Il retint son souffle quand elle se tourna à nouveau vers lui.

« Comment l'as-tu trouvé ? »

« Je l'ai ramassé par terre, dans une maison... Je ne sais pas pourquoi je l'ai pris, et encore moins pourquoi je l'ai mis à mon doigt... Je ne comprends pas ce qui m'arrive. »

Elle garda le silence. Voyant sa réticence, il demanda encore :

« Vous l'avez déjà vu... »

« Non, » répondit-elle en soupirant. « Mais je connais ce symbole. Il représente Neyneb. »

Il attendit qu'elle ajoute quelques explications, mais comme rien ne vint, il lui demanda de quoi elle parlait. Elle était visiblement étonnée qu'il ne connaisse pas ce nom.

« C'est le dieu du Renouveau, le cycle de la vie et de la mort... Mais peut-être le connais-tu sous un autre nom ? »

Il fit non de la tête. Il ne tenait pas à se lancer dans une discussion théologique, ce n'était pas sa tasse de thé et ça ne faisait pas avancer son problème.

« Tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle soudain.

« Non, » répondit-il, « je ne sais même pas où est cet ici. »

« Pourtant tu parles parfaitement notre langue, » rétorqua-t-elle aussitôt.

Avec tous les événements qui s'étaient enchaînés sans lui laisser le temps de souffler, il n'avait plus repensé à ce détail pourtant curieux. Il se débrouillait en langues, mais sans plus, il n'était certainement pas doué au point de maîtriser un langage qu'il avait entendu pour la première fois la veille, c'était impossible.

« Je ne comprends pas comment c'est possible, » finit-il par répondre, prenant conscience de l'étrangeté des mots qu'il prononçait sans savoir d'où ils venaient.

Comme elle regardait à nouveau l'anneau d'un air spéculatif, il se demanda ce qu'elle avait en tête.

« C'est l'anneau qui est la source ? » demanda-t-il. « Vous pensez qu'il est... magique ? »

Il faillit s'étrangler sur ce mot. Il sentait idiot de parler de magie, mais dans la situation où il se trouvait rien n'avait de sens.

« Magique, oui, mais pas au sens où tu l'entends. Je dirais plutôt que c'est une malédiction. »

« D'accord, ça a l'air sérieux. Comment je fais pour m'en débarrasser ? »

« As-tu essayé de l'enlever ? »

Le prenait-elle pour un idiot ? Évidemment qu'il avait essayé.

« Oui, plusieurs fois, » répondit-il plus sobrement. « C'est comme s'il se resserrait autour de mon doigt à chaque fois que j'essaie, je n'ai pas réussi à le bouger d'un iota... Vous avez l'air de bien connaître le sujet, vous devez savoir quoi faire, non ? »

Elle hésita un peu avant de répondre, le plus sérieusement du monde :

« Si on te coupait la main, tu en serais probablement libéré, mais tu n'aurais peut-être plus moyen de rentrer chez toi. »

Il la regarda un moment, hébété, tout en se tenant le poignet, comme pour le protéger instinctivement. Non seulement il voulait rentrer chez lui, mais il tenait à rentrer en un seul morceau et avec ses deux mains.

« Non, non, non, ce n'est pas une option. Non, sans rire, il y a bien un autre moyen ? »

« Si tu n'arrives déjà plus à l'enlever par toi-même, alors c'est trop tard, tu vas devoir te soumettre à l'esprit de l'anneau en espérant qu'il te libère un jour. »

« Attendez, c'est quoi cette histoire d'esprit ? »

« L'esprit qui habite l'anneau. Il a déjà commencé à prendre possession de toi et c'est sans doute ce qui te permet de parler notre langue. »

Il lui lança un regard ahuri.

« Quoi, vous voulez dire que je suis... possédé ?... Non, c'est absurde, impossible. Ce n'est qu'un bout de métal, je suis en train d'imaginer tout ça ! »

Il ferma les yeux en serrant les paupières, espérant faire disparaître cette absurde réalité.

« Je suis désolée, il n'y a rien que je puisse faire. »

Elle commençait à partir au moment où il rouvrit les yeux. Il avait bien d'autres questions à poser, mais à présent il redoutait d'en connaître les réponses. Il lui fallait pourtant savoir.

« Que va-t-il m'arriver ? » lança-t-il dans son dos.

Elle se retourna à demi pour le regarder et réfléchit un instant avant de répondre.

« Je parlerai au Roi. Si je peux le convaincre de ton innocence, tu échapperas au moins à la corde. »

Abasourdi, il la regarda partir sans plus savoir quoi dire. Il apprenait qu'il était condamné et que son salut ne tenait qu'au talent de persuasion de cette femme.

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