Idées noires
Le soir tombait et il n'avait plus vu personne depuis le départ de la reine. Elle l'avait laissé avec plus de questions que de réponses et peu d'espoir de s'en sortir quoi qu'il fasse – s'il avait pu faire quelque chose. Il avait regardé le plafond s'assombrir peu à peu, allongé à même le sol loin du lit de paille qui moisissait dans un coin de sa cellule. Le sol de pierre était froid, mais il était au moins sûr de ne pas dormir dans un nid à vermines.
Après avoir ressassé tout ce qui lui était arrivé, son entrevue avec le roi, puis la reine, il avait fini par tomber dans un état de mi-désespoir, mi-indifférence. Il aurait voulu pouvoir penser que tout cela était irréel, mais la faim qui le tenaillait l'ancrait dans cette réalité. Il ne pouvait y échapper.
Pour essayer de se changer les idées, il se mit à penser à la vie qui l'attendait ailleurs et qu'on lui avait volée. Est-ce que son frère s'inquiéterait, appellerait la police ? Ce n'était même pas sûr. Il pourrait très bien se dire que son petit frère s'était encore éclipsé pour aller faire la fête. Si seulement il avait fait exactement ça avant de se retrouver dans ce grenier. Il en serait à son second rendez-vous avec cette fille, à moins d'avoir déjà pu conclure ce premier soir, le soir où il avait disparu. Elle n'avait probablement pas apprécié de se faire poser un lapin, et il ne serait sans doute pas facile de la convaincre qu'il n'y était pour rien... S'il revenait un jour.
Il y aurait d'autres filles. Une version plus jeune de la reine par exemple. Il lui donnait la quarantaine bien tassée, mais avec de beaux restes. Si cela avait pu le faire sortir, il n'aurait pas été contre coucher avec elle, quoi qu'il n'aurait pas été judicieux de cocufier celui qui devait décider de son sort.
Quand il se prit à repenser à ce qui l'attendait, il réalisa que ses pensées tournaient en rond et le tourmenteraient ainsi jusqu'à ce qu'il parvienne à s'endormir. Malheureusement, il avait peur, il avait faim, froid, et il n'avait pas sommeil, ce qui n'arrangeait rien.
Alors que la nuit avançait, le froid se fit plus intense, tombant de la lucarne, montant de la pierre. Il n'avait rien pour se couvrir et il portait des vêtements un peu trop légers, d'autant qu'on lui avait volé sa veste. Une chemise, c'était très bien pour un mois de mai, pas pour ce qui ressemblait plutôt à novembre. Avait-il changé d'hémisphère ? Si seulement c'était vrai, mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il se trouvait bien plus loin de chez lui.
Il se recroquevilla pour garder au maximum sa chaleur, mais il eut beaucoup de mal à calmer ses tremblements. Il aurait tué pour une bonne couverture. Et un lit bien douillet. Mieux encore si cela pouvait être son propre lit, bien au chaud dans sa chambre.
Ce rêve éveillé ne le réchauffait guère, mais il pouvait presque s'y voir. Quand la fatigue l'assaillit finalement, il lutta d'abord, de peur de succomber au froid dans son sommeil, puis il se laissa aller peu à peu, souhaitant alors qu'il s'endormait que le rêve deviendrait réalité et qu'il se réveillerait enfin de ce cauchemar.
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