La veille de l'expédition

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Eren et moi nourrissons nos montures tout en écoutant la conversation d'Erd et Gunther, assis non loin de là :

- Finalement, ils n'ont pas trouvé de soldat ayant utilisé son équipement tridimensionnel sans permission, l'informe le brun. Qui a bien pu faire ça ?

La question que nous a posée le major Erwin alors que nous observions Hansi pleurer la mort de ses précieux spécimens me revient aussitôt en tête :

"Dîtes- moi, Eren, Éléonore, qu'est-ce que vous voyez ? Est-ce que vous, vous savez où se trouve notre ennemi ?"

À ce moment, nous n'étions entourés que de soldats. Je déduis donc qu'il soupçonne l'un d'entre eux d'avoir fait le coup. Le fait qu'un équipement tridimensionnel a été utilisé pour abattre les deux titans confirme cette idée, mais quel militaire voudrait empêcher le bataillon d'exploration de percer les secrets des titans ? Ces êtres menacent toute l'Humanité, mais ils représentent une plus grande menace encore pour les soldats dont le rôle est de les combattre pour protéger la population. Ils seraient par conséquent les premiers à être soulagés de les voir vaincus pour de bon. Qui aurait donc intérêt à voir les deux spécimens mourir, entravant ainsi les recherches de Hansi ? Qui aurait intérêt à ce que nous restions cloîtrés entre ces murs à la merci des titans ?

Mes yeux bleus s'écarquillent. Je sais pour qui cela constituerait un avantage, mais serait-ce possible que. . .

La réponse du blond m'interrompt dans ma réflexion :

- Mystère, mais c'est plutôt la cérémonie de sollicitation des nouvelles recrues qui m'inquiète. Je me demance combien d'inconscients vont encore s'engager par simple curiosité.

- En fait, Eren, Éléonore ! Dans votre promo, vous savez si certains de vos camarades souhaitent venir chez nous ?

- Oui, il y en a, déclare l'adolescent en présentant un seau d'eau à son cheval. Enfin, il y en avait, quand je suis parti , ajoute-t-il sur un ton inquiet. Beaucoup de choses ont pu se passer depuis.

- Ne t'en fais pas, lui dis-je avec un sourire rassurant. Je suis certaine que tous ceux de nos camarades qui ont survécu à la bataille vont bien et je peux vous garantir au moins deux nouveaux membres.

- Rassemblement ! s'exclame soudainement Gunther en entendant des bruits de sabot se rapprocher au galop.

Le caporal-chef Livaï fait son entrée dans la cour sur sa monture noire. Ils s'arrêtent brusquement face aux deux hommes qui se tiennent désormais droits comme des piquets, poing sur le coeur.

- Préparez-vous, leur ordonne leur supérieur. On part en patrouille dans une minute.

- À vos ordres !

Nous déposons nos seaux pour nous dépêcher d'effectuer le salut militaire.

- Bonjour caporal-chef ! le saluons-nous en choeur.

- Nous sommes prêts à partir ! ajoute mon cadet.

- Ne sois jamais à plus de deux longueurs de moi, c'est un ordre, lui lance l'homme au regard gris-bleuté. N'oublie pas que si tu peux aller où tu veux, c'est parce que je surveille tes moindres faits et gestes.

- Oui, chef !

- Ne vous en faîtes pas, caporal-chef, le rassuré-je. Je ne suis jamais loin d'Eren.

- Je le sais bien, mais c'est sous ma responsabilité qu'il a été mis, rétorque-t-il, pas sous la tienne.

- Je comprends, concédé-je.

En tant que sa grande soeur, je suis naturellement plus responsable d'Eren qu'il ne l'est, mais j'ai conscience que le moindre faux pas pourrait causer préjudice au bataillon d'exploration et, surtout, à mon benjamin. La sévérité du militaire est donc parfaitement justifiée. Ce dernier semble d'ailleurs satisfait de nos réponses, car il dit :

- Alors, allons-y.

*

Suite à une longue chevauchée, nous nous arrêtons dans une pleine. Je descends de ma monture, que je gratifie d'une caresse affectueuse, puis rejoins les membres de ma nouvelle escouade, qui se réunissent autour d'un plan que Gunther explique :

- Nous, l'unité d'intervention, on sera ici, au centre du cinquième rang.

- On est vraiment très loin derrière, remarque Eren.

- C'est l'endroit le plus sûr de la formation. Même les chariots transportant le ravitaillement prennent plus de risques que nous. L'objectif est de chevaucher sans trop s'éloigner du camp, puis de revenir. Cette expédition extra-muros se fait sur une courte distance. C'est un rôdage avant de t'envoyer au district de Shiganshina.

- Oui, mais. . . Est-ce bien prudent de prévoir une expédition alors que je ne sais pas encore ce que je peux faire de toute cette force ?

- Réponds-moi franchement : est-ce que tu as compris le sens de la question du major, l'autre jour ?

- Parmi vous, certains savent ce qu'il voulait dire par là ?

- Je t'avoue que non, répond Erd.

Les deux autres secouent la tête en signe de négation.

- Je te mentirais si je te disais que j'ai tout compris aux paroles du major, ajoute Auruo, mais je crois que. . .

- S'il reste évasif, l'interrompt Gunther en repliant le plan, c'est peut-être que cette opération cache un tout autre objectif.

- Il souhaîte débusquer l'ennemi dissimulé dans nos rangs, supposé-je.

Mes mots ont pour effet de figer toutes les personnes m'entourant. Mon benjamin et les membres de l'escouade Livaï me fixent avec surprise.

- Qu'est-ce que tu veux dire, Éléonore ? demande Eren avec confusion.

- Au moment où il nous a posé cette question, nous n'étions entourés que de soldats, appartenant pour la plupart au bataillon d'exploration. J'ai remarqué que le major Erwin les dévisageait pendant qu'il nous parlait, comme on le ferait pour trouver quelqu'un au milieu d'une foule. Il cherchait probablement l'ennemi qu'il pense être dissimulé dans nos rangs, celui qui aurait logiquement tué les deux titans de Hansi.

- Tu penses que le major Erwin croit à un traître dans nos rangs ? m'interroge Petra.

- C'est l'explication la plus logique. Tous les éléments convergent vers cette idée.

Un long silence suit ma réponse, que Gunther finit par briser :

- Quoiqu'il en soit, ce n'est pas un hasard si le major nous a ordonné de ne pas en discuter avec les soldats. Il faut suivre les ordres. Nous ne devons penser qu'à chevaucher sans trop nous éloigner, puis revenir. Faîtes confiance au major, nous dit-il.

- Entendu, répond Eren.

- Il a déjà toute ma confiance, avoué-je en acquiescant.

- L'entraînement est fini pour aujourd'hui, annonce le brun en s'éloignant. Préparez-vous, nous rentrons !

En me levant pour rejoindre ma monture, je passe à côté du caporal-chef Livaï, qui caresse la tête de son cheval en silence, laissant même ce dernier lui lécher la main. Penser que la salive d'un animal ne dégoûte pas un homme aussi maniaque me fait sourire. Il doit vraiment l'apprécier pour le laisser faire sans broncher.

*

Le crépuscule tombe lorsqu'Eren et moi finissons de nettoyer l'écurie. Nous quittons celle-ci pour voir passer nos camarades de promotion dans la cour.

- Oh. . . mais. . . Qu'est-ce qu'ils font là ? demande le jeune brun à Auruo, qui sirote du thé, adossé au mur en pierre.

- C'est pourtant évident ! lui répondé-je avec un large sourire. Ils viennent nous rejoindre dans le bataillon d'exploration !

- Quoi ? ! s'étonne-t-il. Auruo ! Est-ce que nous pouvons aller parler à nos camarades de promtotion ?

- Allez-y, mais ne vous éloignez pas trop. . .

- Hé ! les interpelle aussitôt Eren pendant que nous nous précipitons dans leur direction.

- Mikasa ! Armin ! appelons-nous en choeur.

Ces derniers se retournent. Le visage du petit blond s'illumine d'un sourire lorsqu'il nous reconnaît, tandis que l'émotion se lit dans le regard gris de Mikasa, qui s'exclame :

- Ce sont Eren et Éléonore !

- J'ai l'impression qu'on ne s'était pas vus depuis des années ! déclare mon petit frère en arrivant à leur hauteur, pendant que je prends les deux adolescents dans mes bras pour les serrer tendrement contre moi.

Ils me rendent mon étreinte, puis, aussitôt que je les lâche, l'asiatique prend les mains du brun en lui demandant avec inquiétude :

- Oh ! Eren ! Rassure-moi, ils ne t'ont rien fait d'horrible ? Est-ce qu'ils ont examiné ton corps sous toutes les coutures ? Ils ne t'ont pas torturé psychologiquement ?

- Mais non ! Je n'ai rien subi de tout ça.

- Ils veillent au contraire sur Eren plus que sur leurs propres personnes, ajouté-je. Le ménage et une nuit blanche à réécouter tout ce que nous savons sur les titans sont les seules tortures que nous avons subies, plaisanté-je.

Ma blague ne semble pas atteindre la jeune femme, qui grogne :

- Ça n'a pas empêché ce nabot de se défouler sur toi ! Un de ces jours, je lui ferai payer très cher. . .

- Tu parles de ce qu'a fait le caporal-chef Livaï ?

- Je n'ai pas plus apprécié ce qu'il a fait, mais il ne s'est pas défoulé par pur plaisir, raisonné-je ma soeur adoptive. C'était leur seule façon de convaincre le juge de leur laisser la garde d'Eren en prouvant à tous qu'ils sont prêts et capables de l'éliminer si besoin. Sans ça, il aurait été disséqué par les brigades spéciales !

- Au fait, intervient Armin, pourquoi as-tu rejoint le bataillon d'exploration sans nous prévenir ?

- Oh. . . Je suis désolée pour ça, mais je savais que je pouvais compter sur vous pour rester en vie jusqu'à ce qu'on se retrouve. Eren avait besoin de moi. Je ne pouvais pas le laisser seul et je devais me dépêcher d'aller parler au caporal-chef Livaï avant qu'il ne quitte le tribunal. J'ai été pressée par le temps, mais je savais que nous nous retrouverions.

- Eren ! Éléonore ! s'exclame Christa en nous rejoignant.

- Ça faisait un bail ! ajoute Sasha.

- Attendez. . . Vous êtes tous ensemble ? leur demande mon cadet avec étonnement. Mais. . . Vous ne pouvez être ici que pour une seule raison. Vous avez intégré le bataillon d'exploration.

- Tu vois que j'avais visé juste, lui lancé-je avec un coup de coude taquin.

- Tu n'as rien perdu de ta vivacité d'esprit, remarque Conny.

- Ça veut dire que Jean et Marco ont choisi les brigades spéciales ?

Je sens mon coeur se serrer et me mords la lèvre inférieure. C'est vrai qu'Eren a été emmené trop vite pour connaître le détail du bilan humain de la bataille. Il ne sait pas encore que. . .

- Non, réplique une voix dans notre dos.

Nous nous retournons pour faire face à Jean.

- Oh ! Ça alors ! Toi aussi ? s'étonne l'adolescent.

- Marco n'a pas survécu, l'informe-t-il sans ménagement.

- Hein ? ! Comment ? Qu'est-ce que tu viens de dire ? Non ! Ce n'est pas possible ! rétorque-t-il avec un sourire désespéré. Marco faisait partie des meilleurs !

Je pose une main sur son épaule pour le réconforter, tandis que Jean répond :

- Visiblement, tout le monde ne peut pas revenir sous la forme d'un titan après être mort. En fait, on ne sait même pas comment Marco nous a quittés. Il est mort tout seul dans son coin. . . sans personne pour le voir. . .

La tristesse s'entend dans sa voix. Le jeune homme aux tâches de rousseur était son meilleur ami dans la promotion. Ils rêvaient d'intégrer les brigades spéciales ensemble, mais l'assaut de titans à Trost a brisé cet espoir, comme beaucoup d'autres. . .

- Pauvre Marco ! se désole Eren, qui appréciait comme nous tous cette personne gentille envers tous.

Une voix enthousiaste vient briser ce moment d'émotion :

- Hé ! Les nouveaux ! Par ici ! hurle un soldat du bataillon d'exploration couvrant ses cheveux, ou plutôt ce qu'il en reste, sous un bandeau blanc. Les uniformes sont arrivés !

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