Souvenir
Je me tiens autour du puits en compagnie du caporal-chef Livaï et de Hansi. Celle-ci lance à mon cadet, qui attend au fond du trou :
- On peut commencer Eren ! Quand je serai prête, je lancerais un fumigène, ce sera le signal ! Ensuite, ce sera à toi de jouer, tu sais ce que tu as à faire ! finit-elle en se penchant pour le regarder.
- D'accord ! Bien reçu, chef ! dit-il en levant le bras.
- Dans ce vieux puits asséché, ajoute-t-elle à notre intention, même s'il perd le contrôle une fois transformé en titan, on pourra le maîtriser. Normalement. . .
- Quoiqu'il arrive, nous pourrons user de ma méthode pour le sortir du corps de son titan sans le tuer, la rassure mon supérieur, mais nous le ferons. . . uniquement si Éléonore ne parvient pas à le raisonner, poursuit-il en tournant son regard dans ma direction. Montre-moi que nous avons bien fait de te recruter et que tu n'es pas qu'une bouche de plus à nourrir dans mon escouade.
- Oui ! acquiscé-je.
Nous remontons à cheval et nous écartons un peu, puis Hansi envoie une colonne de fumée verte en direction du ciel, mais les secondes passent et rien ne se produit.
- Il en met du temps, remarque la brune. Il a peut-être pas vu le signal.
- Il l'a vu, réplique Livaï, mais c'est difficile de compter sur lui, il n'est pas d'une grande fiabilité.
- Non, rétorqué-je. À Trost, Eren s'est transformé aussitôt que les soldats du commandant Pixis le lui ont ordonné, donc quelque chose ne va pas.
Nous lançons nos montures au pas pour nous rapprocher, puis posons pied à terre pour finir le trajet jusqu'au puits à pied. Pendant ce temps, le caporal-chef lance à mon frère :
- Eren ! On fait une pause !
- Pourquoi tu ne t'es pas transformé ? lui demande Hansi pendant que nous nous penchons tous pour regarder dans le puits.
Nous lâchons toutes les deux une exclamation de surprise face aux mains meurtries et à la bouche ensanglantée de l'adolescent.
- Eren ! m'écrié-je avec inquiétude.
- Je n'y arrive pas, répond-il. Je n'arrive pas à me changer en titan.
Il semble désespéré.
- Aggripe-toi à la corde ! lui crié-je. Je vais te remonter !
- D'accord, dit-il d'une voix déçue en obéissant.
Je commence à tirer pour le hisser jusqu'en haut. Je dois fournir des efforts, mais le garçon remonte sûrement, mais lentement. Peut-être un peu trop lentement au goût de notre supérieur, qui décide de me venir en aide. En quelques secondes, l'adolescent émerge du puits et je lâche la corde pour l'en extraire en l'attrapant par les aisselles. Je lui demande aussitôt :
- Est-ce que ça va, Eren ? Tu ne souffres pas trop ?
- Euh. . . non, ça va, ne t'en fais pas, mais je ne comprends pas. . .
- Nous nous en soucierons plus tard, le coupé-je en sortant déjà de l'alcool et des bandages d'un de nos sacs en cuir.
Je verse un peu d'alcool sur ses blessures. Il serre les dents et lâche un petit gémissement de douleur, mais ne se plaint pas. Une fois qu'elles sont toutes désinfectées, je les recouvre de bandages.
- Merci, me dit le jeune homme.
Pour toute réponse, je lui adresse un sourire empli de tendresse.
*
Assis à des tables en bois installées sur l'herbe, nous nous reposons en sirotant du thé. Le caporal-chef Livaï, qui boit debout en face de nous, constate :
- Les plaies que tu t'es faites en te mordant ne se referment pas.
- Non, confirme son interlocuteur en palpant ses mains.
- Nous voilà bien si tu ne peux plus te changer en titan. On peut oublier le rebouchage du trou du mur Maria. Trouve une solution, fais quelque chose, c'est un ordre, lâche-t-il en tournant les talons pour s'éloigner.
- Compris, lui répond docilement Eren.
Pendant que Petra échange avec notre supérieur, les hommes de l'escouade, qui sont attablés avec nous, tentent de remonter le moral de l'adolescent :
- Eren, arrête de faire la tronche, lui dit gentiment Erd. Allez !
- Bon, ça démontre au moins que tu es plus humain qu'on ne le pensait, ajoute Auruo, à notre plus grande surprise.
Il n'avait encore jamais dit quelque chose d'aussi gentil à l'intention de mon benjamin.
- Dis-toi bien qu'il vaut mieux ça plutôt que de perdre la vie dans la précipitation, reprend le blond. Ça n'aura pas été inutile.
- C'est clair, confirme Gunther. On n'est jamais trop prudent, tu as tout le temps devant toi pour mourir. Toi aussi, Éléonore.
- Oui et je compte bien en profiter, dis-je en riant pour détendre l'ambiance.
Mon rire ne semble pas avoir perdu de son charme pendant la bataille de Trost, car quand je rouvre les yeux, je constate que les trois hommes me fixent avec des joues quelque peu empourprées, ce qui m'amuse au point que je dois plaquer ma main sur ma bouche pour étouffer mes gloussements.
Je suis interrompue par le gémissement de douleur de mon voisin, qui laisse tomber sa petite cuillère dans l'herbe.
- Est-ce que ça va, Eren ? lui demande Erd.
- Oui, le rassure-t-il.
Il se penche ensuite pour ramasser son couvert, mais aussitôt que ses doigts entrent en contact avec l'objet, une éclair jaune l'enveloppe et un puissant souffle chaud nous propulse en l'air. Je roule dans l'herbe en lâchant un cri de surprise.
En me redressant, je discerne au milieu de la fumée un bras de titan à moitié formé : il n'a pas de peau et on peut même voir ses os par endroits. Il est directement relié à celui d'Eren, qui se débat pour se dégager en demandant :
- Pourquoi ça arrive là ?
Au même moment, je remarque que les subordonnés du caporal-chef Livaï se tiennent dans son dos, sabres dégainés. La peur et la fureur se lisent sur leurs visages. Ils vont s'en prendre à lui !
Je me remets aussitôt debout pour courir dans leur direction. Je m'interpose entre eux, face aux soldats et bras tendus sur les côtés. Je crie à ces derniers :
- Je vous interdis de lui faire du mal !
- Éléonore ? me parvient la voix confuse d'Eren dans mon dos.
Je l'ignore pour continuer de fixer les quatre militaires avec un air déterminé. Au moment où ils semblent sur le point de me dire quelque chose, notre supérieur se place entre eux et moi et tend sa main en signe d'apaisement en exigeant calmement :
- Du calme.
- Caporal-chef Livaï ! l'appelle Eren. Je ne comprends pas. . . Oh !
Ce n'est qu'alors que je tourne la tête dans sa direction pour voir le choc dans son regard.
- Je vous ai demandé de vous calmer, les gars, insiste le haut gradé.
Au lieu d'obéir, ils encerclent l'adolescent, puis Erd lui demande :
- Eren. . . Qu'est-ce que ça signifie, bon sang ? !
- Pardon ? !
- Pourquoi tu t'es transformé sans autorisation ? Réponds, tu veux ? !
- Calme, toi, Erd, lui dit notre supérieur.
- Tu vas lui répondre, Eren ? ! s'énerve Auruo. Qu'est-ce que tu as l'intention de faire ?
- Attends, Auruo, l'interrompt Gunther. On abordera le sujet plus tard. Pour l'instant, j'aimerais. . . que cette créature nous prouve qu'elle n'a aucune hostilité envers l'Humanité !
- Il vous faut vraiment encore des preuves ? ! m'indigné-je. Je vous ai déjà dit que. . .
- Tu dirais n'importe quoi pour le sauver ! me coupe-t-il. Prouve-le nous, allez, grouille-toi ! Tu en as le devoir, si tu es des nôtres !
- Je te préviens, tu n'as pas intérêt à bouger ce bras, même d'un poil ! lui défend Auruo. Tu le bouges, ni une, ni deux, je t'explose la tête ! J'en suis capable ! Tu veux tenter le coup ?
- Auruo ! Toi aussi, je t'ai demandé de te calmer !
- Caporal-chef ! Éléonore ! nous appelle Petra. Éloignez-vous de lui, dépêchez-vous ! Vous êtes trop près !
- Non, rétorque-t-il. Ce serait plutôt à vous de vous éloigner de lui. Reculez.
- Pourquoi dîtes-vous ça ? !
- Je me fie à mon intuition. . .
- Alors, quoi, Eren ? ! reprend Erd. Dis quelque chose !
- Mais je. . .
- Fais gaffe ! Ne fais aucun mouvement brusque ! le prévient Auruo.
- Qu'est-ce que t'attends pour le prouver ? ! insiste Gunther.
- Eren ! hurle le blond.
- Je n'ai pas l'intention de. . . tente-t-il de s'expliquer.
- Eren ! Réponds !
- Tu ne nous crois pas capables de te descendre ? !
Je ne sais même plus qui dit quoi tant ils hurlent en même temps de façon chaotique. C'est à peine si je parviens à saisir quelques paroles :
- Je ne plaisante pas ! Essaye un peu pour voir. . .
- Hé ! Tes sourd ou quoi ? !
- Arrêtez ! hurle le jeune homme d'une voix grave et agacée. Fermez-la !
Au moment où je me dis que cette réaction ne fera qu'accentuer l'hostilité des soldats, une voix enthousiaste retentit :
- Eren !
Je me retourne pour voir Hansi pousser Gunther et Moblit, qui l'accompagnait, en demandant à l'adolescent d'une voix surexcitée :
- Est-ce que je peux toucher ton bras ? S'il te plaît ! le supplie-t-elle avec des joues rouges d'extase. Oh ! Je peux ? Dis ! Je peux ? Allez ! insiste-t-elle tandis qu'un filet de bave coule sur son menton.
J'ai l'impression de voir Sasha face à un morceau de viande. . .
- Oh ! Non, Hansi ! Non, ne faîtes pas ça ! le supplie le jeune homme avec inquiétude.
Elle ne l'écoute pas et pose ses mains contre la géante paume, dont se dégage de la fumée.
- Oh ! Ça brûle ! hurle-t-elle en se jetant à genoux. On sent la peau, c'est super brûlant ! Oh ! J'ai les mains en feu !
- Est-ce que ça va, chef ? lui demande son second alors qu'elle commence à rire hystériquement. Vous vous précipitez toujours !
Elle se remet précipitamment sur pieds en interrogeant le jeune brun :
- Dis, Eren ! Ça te brûle pas, toi ? Tu sens rien ? Et comment ton bras, il est rattaché ? Tu peux me l'expliquer ? Je veux tout savoir, tout comprendre !
Au lieu de répondre, il tire de toutes ses forces sur son bras pour se détacher.
- Oh ! Arrête, Eren ! Ne fais pas ça, c'est de la folie ! s'exclame Auruo.
Cette fois-ci, cependant, je lis de l'inquiétude dans sa voix. . .
Eren parvient enfin à arracher sa main de la chair du titan et tombe à la renverse. Il atterrit sur le dos pendant que Hansi hurle face au bras qui commence à se décomposer :
- Oh ! Non ! Pas maintenant ! C'est trop tôt ! J'avais un tas de trucs à étudier !
- Eren ! m'exclamé-je en ignorant les cris de détresse de la chef d'escouade.
Je cours dans sa direction pour l'aider à s'asseoir. Il respire difficilement et semble épuisé.
Nous entendons des pas s'approcher et mon benjamin articule :
- Caporal-chef. . .
- Comment est-ce que tu te sens, Eren ? s'enquiert ce dernier.
- Pas très bien. . . Je ne me sens. . . pas très bien. . . prononce-t-il avec difficulté.
- Ne t'en fais. Je vais m'occuper de toi. Tu vas vite te rétablir, le rassuré-je en passant son bras par-dessus mes épaules et une main autour de sa taille pour l'aider à se relever.
Je l'installe sur sa monture, dont j'attrape les rênes pour la conduire en même temps que la mienne, puis nous rentrons tous au château.
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