Amitié
Nous continuons de galoper pendant plusieurs minutes encore, jusqu'à passer à côté d'énormes machines en bois. Aussitôt que nous les dépassons et que le titan féminin se trouve au milieu de ces étranges engins, le major Erwin, embusqué sur le tronc d'un arbre, hurle :
- Tirez !
Aussitôt, des lances en métal reliées à d'épais câbles sortent des centaines de trous percés sur les machines pour se planter dans le corps de notre poursuivante. Celle-ci les voit juste à temps pour protéger sa nuque avec ses mains.
Je n'assiste pas au reste : je garde la cadence pour suivre l'escouade, qui poursuit tranquillement son chemin.
- Un peu plus loin après avoir attaché vos cheveaux, passez en tridimensionnelle, nous ordonne le caporal-chef Livaï. Pour le moment, nous nous séparons ici.
Cette phrase me noue l'estomac, signe d'une appréhension naissante. Je me sens invincible aux côtés de cet homme puissant et sûr de lui. Je ne suis donc pas tranquille à l'idée qu'il nous laisse seuls au milieu d'un territoire hostile, mais je sais que je peux compter sur les membres expérimentés de son escouade et qu'il ne nous aurait jamais quittés si un danger imminent nous guettait, ce qui me rassure tout de même un peu.
- Je laisse le commandement à Erd, poursuit-il. Restez à bonne distance du titan et éloignez Eren de sa vue. Je vous confie mon cheval.
Sur ces mots, il s'envole, nous laissant seuls. Je presse aussitôt ma monture pour nous mettre à hauteur de la sienne et tends le bras pour attraper ses rênes. J'ai bien l'intention de veiller personnellement sur cette brave bête afin de la rendre indemne à son propriétaire. C'est la moindre des choses pour lui exprimer ma gratitude.
- Oh ! Ben, ça alors ! s'exclame Eren. L'objectif était donc vraiment de capturer ce titan ? On dirait bien que tu as encore visé juste, Éléonore, ajoute-t-il à mon intention avec un petit sourire, que je lui rends.
- Alors, Eren ? lui lance Gunther. T'as vu ça ? Qu'est-ce que tu en dis ? On a enfin réussi à la capturer !
- C'est ça, la force du bataillon d'exploration, affirme Auruo, alors t'as pas intérêt à nous faire des entourloupes ! Tu as pigé ?
Petra se contente de nous adresser un large sourire, visiblement heureuse et reconnaissante qu'on ait cru en eux.
- J'ai pigé ! répond Eren d'un air enthousiaste.
Je ne peux retenir un rire d'euphorie. Nous voilà devenus une équipe soudée par une confiance mutuelle aveugle.
*
Debouts sur les branches d'un arbre géant, nous observons les chevaux attachés un peu plus loin, attendant la suite des événements. Eren en profite pour récapituler :
- Nous avons attiré le titan féminin jusqu'ici pour la capturer, ou plus exactement, pour capturer l'humain qui est à l'intérieur. L'objectif du major Erwin, c'était ça depuis le début. C'est bien ça, n'est-ce pas ? Que nous, les nouvelles recrues, nous n'ayons pas été mis au courant, je le comprends, mais que vous, les anciens, vous n'en ayez pas été informés, ça me sidère ! Là, il y a quelque chose qui m'échappe !
- Oui, ben. . . C'est comme ça ! rétorque Auruo, à court d'arguments.
- Qu'est-ce que tu insinues, Eren ? ! Que le major et le caporal-chef ne nous font pas confiance, c'est ça que tu veux dire ? ! se révolte Petra.
- Euh. . . Ben, en fait, c'est un peu ce que j'ai voulu dire, oui.
- Le caporal-chef Livaï a toute confiance en ses hommes, répliqué-je. Il n'aurait pas choisi des personnes qu'il n'estime pas fiables pour composer l'escouade chargée de la protection du plus grand espoir de l'Humanité. S'il ne vous a rien dit, c'est certainement pour obéir aux ordres du major. C'est donc plutôt lui qui ne vous fait pas confiance. . .
- Petra ! s'énerve Auruo. Arrache-leur les dents ! Met-leur les molaires à la place des incisives !
- Arrêtez vos chamailleries ! s'interpose Erd. Éléonore a parfaitement raison ! Le major ne nous fait effectivement pas confiance et il a certainement une très bonne raison.
- Ah, oui ? Laquelle ? demande Gunther.
- Je ne vois qu'une seule raison de douter de son équipe : il doit y avoir un traître parmi nous. Ça peut être un humain se changeant en titan ou alors une sorte d'espion qui coopère avec les titans.
- Éléonore a donc vu juste sur toute la ligne, réalise la rousse.
- Ta vivacité d'esprit et ton intelligence sont impressionnantes, me complimente Gunther.
- Oh ! Il ne faut pas être un génie pour faire toutes ces déductions, répliqué-je modestement avec un sourire gêné. Il faut juste être. . . observateur et logique.
Heureusement, le brun se recentre aussitôt sur le sujet initial :
- Un espion ? Il y en aurait un parmi nous ?
- En tout cas, le major semble en être persuadé, dit Erd. Les seuls soldats à être probablement au courant de cette opération de capture du titan féminin sont les survivants des cinq dernières années.
- Je comprends, c'est donc pour ça.
- Oui, confirme Auruo, il n'y a aucun doute possible. Est-ce que tu as pigé Eren ? C'est pour ça qu'il ne nous a rien dit !
- Oui, dans ce cas, effectivement, je comprends, maintenant, ajoute Petra. Il y a cinq ans, quand le mur a été détruit pour la première fois, le major Erwin supposait déjà qu'un espion s'était infiltré dans l'armée. Je pense qu'il a alors essayé de l'identifier.
- Je vois, dit Erd. Et j'imagine que c'est ce même espion qui a tué Sawney et Bean, comme l'a supposé Éléonore.
- Mais oui ! Je me souviens ! Ce jour-là, le major m'a justement posé cette question. Tu avais déjà compris qu'il suspectait un traître parmi nous, tu nous en avais parlé, se rappelle la jeune femme.
- Oui, je comprends sa question, à présent, murmure Eren.
- Et si on avait su y répondre, on aurait certainement été appelés à participer à cette opération de capture, conclue Erd, mais hormis Éléonore, je ne vois pas qui de nous en aurait capable. Même elle a eu besoin de réfléchir un certain temps pour arriver à cette déduction. C'est parce qu'elle n'a pas donné sa réponse au major qu'elle a été laissée dans l'ignorance.
- Moi, j'avais tout de suite compris son petit jeu, se vante Auruo. C'était évident, mais je me suis permis de ne pas répondre à sa question et vous savez pourquoi je me suis autorisé ce petit luxe ?
Je roule des yeux, sachant pertinemment qu'il ment, mais Petra entre dans son jeu :
- Non, pourquoi ?
- Non, je n'y crois pas. Ne me dîtes pas que vous n'avez pas deviné ! Ce n'est pas vrai. . . Enfin, ça ne m'étonne pas du tout de vous. Après tout, vous êtes encore loin d'être à mon niveau !
Je me retiens de rire face à l'expression blasée de la petite rousse, qui semble clairement lassée de l'arrogance de son ami.
- Dis, le questionne-t-elle, tu essayes une nouvelle fois d'imiter le caporal-chef Livaï, là ? Il ne dirait jamais ça !
- Tu penses que le major n'aurait pas dû lancer cette opération ? demande Erd à mon frère face au regret qu'il lit dans son regard. Eren, Éléonore, vous devez ignorer pourquoi le major Erwin Smith est à la tête du bataillon d'exploration. L'espoir de l'Humanité. Personne ne vous en a parlé jusque-là, mais il y a une très bonne raison à cela et vous la découvrirez bientôt.
- Même le caporal-chef Livaï lui fait entièrement confiance, déclare Petra avec grand sourire, alors. . .
- Bientôt ? Encore faut-il qu'ils arrivent à rester en vie jusque-là ! rétorque Auruo.
Un puissant cri retentit soudainement dans toute la forêt ! Un cri bestial, qui ne peut être que celui d'un titan. . . "C'est certainement le sien", pensé-je en observant les alentours. Quelques minutes plus tard, une colonne de fumée surgit dans le ciel, indiquant la fin de l'expédition.
- On dirait bien que l'opération est terminée, constate Gunther. On se prépare pour le repli ! Retournons aux chevaux !
- Vous avez entendu ? demande l'admirateur du caporal-chef. Allons voir la tête qu'a la pourriture qui était dans ce titan. Si ça se trouve, c'est une charmante demoiselle.
Pendant que nous vérifions nos équipements, Eren demande :
- Alors, comme ça, on va pouvoir la démasquer ?
- Oui, répond Petra, et c'est grâce à vous, Eren et Éléonore.
- Oh. . . Nous n'avons rien fait de particulier, protestons-nous.
- Comment ça "rien fait de particulier" ? Vous avez cru en nous ! Je vous rappelle que c'est parce que vous avez décidé de continuer d'avancer que nous en sommes là. C'est toujours très difficile de faire un choix, surtout le bon !
- C'est bon, rétorque Auruo en prenant une pose héroïque parfaitement ridicule, arrête de leur lancer des fleurs, Petra. . . Qu'est-ce qu'ils ont fait au juste ? À part passer leur temps à nous casser les oreilles et nous faire mal au crâne, je ne vois vraiment pas ! Remarquez : si vous rentrez en vie de cette première mission, vous aurez de quoi vous réjouir, alors attendons de rentrer pour vous jeter des fleurs, on verra bien à ce moment-là ! ajoute-t-il avec un sourire à la fois taquin et bienveillant, le premier que je lui vois et qu'il s'empresse malheureusement d'effacer. Est-ce que c'est clair, morveux ? Jusqu'à ce que vous rentrez chez vous, votre vie ne tient qu'à un fil !
- Oui, c'est parfaitement clair, j'ai compris, acquiesce Eren avec une expression emplie d'inquiétude.
Pour ma part, je ne peux m'empêcher de sourire à Auruo. C'est la seconde parole gentille qu'il a pour nous en un mois, il faut en profiter !
Pendant que nous décollons, Erd se retourne pour dire :
- Auruo ! Petra ! Je vous rappelle que vous pleuriez en vous pissant dessus pendant votre premier combat ! Vous avez fait du chemin depuis !
- Oh ? ! nous exclamons Eren et moi.
La rousse, quant à elle, lâche un hurlement de honte :
- Qu'est-ce qui te prend de raconter ça, Erd ? ! Tu veux que je perde ma dignité ? !
Cette fois, j'explose de rire pour de bon, tandis que l'adolescent lance un regard incrédule à la jeune femme.
- Ce n'est que la verité, se défend le blond. En ce qui me concerne, Eren et Éléonore, sachez que je ne me suis jamais fait dessus !
- Escroc ! proteste Auruo. J'ai éliminé plus de titans que toi, mes résultats sont meilleurs que les tiens ! Je suis meilleur que toi, ordure !
- Ce n'est pas le nombre de titans qu'il a tué qui fait la qualité d'un soldat.
- Ferme-la, crétin ! s'énerve son interlocuteur en grognant.
Eren, quant à lui, reste bloqué sur le début de la conversation :
- Si je comprends bien, Petra, tu t'es laissée aller en plein combat ?
Mes rires, que je venais tout juste de réussir à calmer, repartent de plus belle.
- Ça suffit ! nous interrompt Gunther. Vous vous croyez en pique-nique ou quoi ? ! On est toujours sur le territoire des titans ! En fait. . . moi non plus, je ne me suis pas pissé dessus.
Me voilà repartie pour un nouveau fou rire.
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