Préambule
L’être avance et s’assoit. Autour de lui tout brûle. Les cendres tombent sur son visage comme autant de flocons de neige. Il sourit. La morsure du feu ne le fait même pas tressaillir. Il se contente de rester là, assis. Et de sourire. Derrière lui, le grondement sourd de la Machine. Sous son cul, le goudron tremble. Le goudron, redevenu liquide, tremble. Il refuse de se retourner, ses prunelles restent fixées sur les flammes qui se reflètent dans la rétine. Il a l’air fou, comme ça. Il a l’air dément.
Derrière lui, la silhouette énorme se dessine au travers des fumées pulsant de la lueur orangée de l’incendie. Gigantesque. On distingue les pans de la cape secoués par les vents apocalyptiques qui attisent toujours l’étincelle de mort qui nourrit le feu. Et dessous, dessous mangé par les ombres, le squelette de la Machine, ses articulations mécaniques, le goulot organique de ses dévidoirs pourris, son crâne éclaté de gadgets électroniques accrochés là comme des bernacles sur la coque d’un bateau ivre.
Un pas. Deux pas.
La Machine approche. Elle approche toujours plus. Elle est là, désormais. Désormais. Il est trop tard. Maintenant. Il est trop tard. Et on voit son crâne, la face de son crâne, ce rictus immonde rongés par les milliards de rats qui appesantissent sa carcasse mouvante. Deux orbites, vides, reflétant la rougeur mortelle de l’incendie. Deux orbites oscillant entre le monde qu’elles dévorent et les artéfacts qu’elles portent entre ses phalanges d’os nus. Tant d’artéfacts qu’il est impossible de les distinguer, tant de symboles, tant de mort.
L’un de ses bras squelettiques se lève et tranche dans les fumées épaisses qui flottent à la surface de cette terre mourante. Ses doigts supportent le bois à moitié calciné, transformé en braises rougeoyantes, d’une croix chrétienne qu’elle tient par la base. Elle semble bénir la terre qu’elle bouffe à la manière d’un curé nommé chef qui saluerait une foule en liesse, dans les recoins de cette terre qu’on appelait jadis « Vatican ».
Maintenant, la Machine s’apprête à bouffer l’être. Le Grand Cric se lève, et sourit en voyant le cadavre en devenir s’approcher de la gueule immense de la moissonneuse. L’être est toujours dos à elle, assis et souriant. Les pans de sa cape frappent l’air autour de lui, révélant aux lueurs spectrales du feu son intérieur satiné rouge dont on ne pourrait dire s’il était fait de soie ou de sang. Et cousus à l’intérieur, des crânes, des crânes d’hommes. Une croix gammée à côté d’une étoile de David d’un bleu pâle. Un oiseau mort. Et… Mais déjà la vision s’envole. La cape se retourne. Cache pudiquement le corps du squelette géant.
Un pas. Deux pas.
L’être, nu, commence à gigoter. Il sent le contact de la machine dans son dos. Son visage se déforme en un étrange rictus Münchien. Jouit-il ? On pourrait croire qu’il jouit. Les ombres l’avalent. Un instant, comme un flash, on croit voir son corps exploser. Le sang jaillir de ses entrailles soudainement libérées à l’air libre. Ses os craquer et exploser en échardes mortelles. Son crâne imploser en une étrange bouillie de myrtilles noirâtre.
Et l’être n’est plus.
Ne reste que le non-être.
Le non-être et la Machine, qui continuent leur progression au travers de l’incendie, requinquée d’un corps supplémentaire. Lentement. Lentement elle avance, la Machine. Laissant derrière elle une traînée d’ombres et de métal. D’ombre et d’argent, d’argent vieilli, noirci, puant la mort.
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