Effrayant

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Ce n’était pas sa première nuit dans cet EHPAD, Nicole avait déjà effectué plusieurs remplacements par le biais de son agence intérim. Elle s’arrangeait pour toujours trouver des missions de nuit : ça payait bien ; ça collait à son rythme de vie ; bien souvent cela impliquait de travailler seule ou en équipe réduite, donc pas de pression hiérarchique directe et enfin, cela permettait parfois de se la couler douce quand il n’y avait pas beaucoup de travail ! Bon, ici, c’est perdu d’avance de glandouiller… songea-t-elle avec un peu d’amertume tandis qu’elle enfilait sa tenue de travail. Elle referma d’un geste sec son casier et se rendit à l’infirmerie pour faire le point sur la nuit qui l’attendait.

« Bonsoir. Dit-elle d’une voix enjouée.

— Ah… Bonsoir ! Nicole, c’est ça ? Répondit la jeune aide-soignante qui finissait de transcrire sa journée sur le logiciel de l’ordinateur.

— Exact.

— Moi c’est Nathalie. Mes condoléances ! Ah ah ! Ricana-t-elle.

— Pardon ?

— Oh ! Tu n’es pas au courant ?

— Au courant de quoi ? » Soupira la jeune intérimaire, agacée.

Nicole commençait déjà à perdre patience, elle était du genre solitaire, agoraphobe avec une légère tendance asociale. C’était aussi pour cela que le travail de nuit lui convenait si bien, elle s’évitait les discussions futiles avec les collègues et autres commérages insupportables. En l’occurrence, la conversation était déjà trop longue et inintéressante à son goût. Sa collègue reprit la parole, les yeux pétillants.

« Depuis son ouverture en 2013, tous les ans, la nuit du 31 octobre, les résidents sont survoltés et tous les ans, il y en a au moins trois qui décèdent dans des conditions étranges… Du coup, ça fait au moins cinq années que plus personne ne veut venir travailler cette nuit-là ! Soit les filles se mettent en congé ou se portent pâle…. »

La jeune femme dévisagea Nicole, espérant certainement voir naître la peur, l’inquiétude ou même un embarras sincères. Tout ce qu’elle vit dans les prunelles de son interlocutrice fut de la condescendance.

« Pas inquiète ? Insista Nathalie, déçue.

— Dis-moi plutôt qui est mon binôme ce soir et quels sont les résidents à surveiller. »

La dénommée Nathalie fit la moue et répondit à ses questions avant de partir hâtivement. Quelques minutes plus tard, l’autre veilleuse de nuit arriva. Nicole avait déjà travaillé avec elle, Yasmine, une fille douce et taciturne. Nicole la briefa sur la nuit et se garda bien de faire le moindre commentaire sur les élucubrations de l’aide-soignante. Chacune s’empara d’un cellulaire et elles commencèrent leur premier tour de ronde.

Les premières heures s’écoulèrent tranquillement, quelques résidents regardaient encore la télé en début de soirée et seule une dame déambula dans les couloirs, à la recherche de sa maman ; Nicole la raccompagna à sa chambre tout en la rassurant. Elle s’assura qu’elle était apaisée avant de la border et de reprendre son tour.

Vers 23h, tous les résidents dormaient, le calme régnait dans l’établissement, tout juste perturbé par le ronronnement des machines à laver. Alors qu’elle passait par la salle de restauration pour se prendre un verre d’eau, elle remarqua que de la lumière émanait du hall.

Curieux ? Je pensais avoir éteint toutes les lumières tout à l’heure… Songea-t-elle, surprise.

Elle se détourna de la fontaine et s’approcha de l’accueil d’un pas décidé. A mesure qu’elle s’approchait, la source de lumière se mit à trembler. Sans s’en rendre compte, son pas se fit moins téméraire. Elle arriva devant le bureau de l’accueil au-dessus duquel un spot unique était allumé, ou du moins grésillait. Elle s’en approcha prudemment. Il éclata avant même qu’elle soit dessous, la faisant sursauter. Nicole eut un rire nerveux, se reprochant de se montrer si crédule. Elle retourna vers l’espace restaurant, ignorant superbement le nouveau spot qui s’était allumé.

Yasmine l’appela pour l’informer qu’elle commençait un tour de ronde en partant du premier, Nicole répondit qu’elle partait du troisième, ainsi elles se retrouveraient au deuxième.

Afin de gagner du temps, Nicole prit l’ascenseur. Les portes eurent tout juste le temps de se refermer, qu’un sentiment d’étouffement la saisit. Elle n’avait jamais aimé les petits espaces clos, elle avait néanmoins toujours refusé de s’admettre claustrophobe. Mais cela ne s’arrêtait pas là. Elle se sentait observée, épiée… Elle se retourna, se retrouvant seulement face à son image dans le miroir, son regard inquiet muant en dérision. La lumière de l’ascenseur frémit. Nicole se détourna hâtivement de son reflet, ferma les yeux et serra les dents.

« Vivement que cette nuit stupide se termine ! » Maugréa-t-elle pour elle-même.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un couloir plongé dans l’obscurité. Une sueur froide glissa le long de sa colonne vertébrale. Les lumières vacillantes de l’ascenseur la décidèrent à sortir.

La pénombre régnait au troisième, tout juste brisée par les points lumineux des issues de secours. Nicole prit une profonde inspiration et sortit sa lampe torche avant de s’engager dans le couloir. Cet étage n’était pas le plus lourd dans sa prise en charge, les résidents étaient plutôt autonomes. En revanche, deux d’entre eux étaient en soin palliatif et donc à surveiller avec attention. Enfin, il y avait la chambre 67 où Madame B. était décédée en fin d’après-midi ; la toilette mortuaire avait déjà été faite, les pompes funèbres devaient passer le lendemain en fin de matinée. Nicole s’évertua à ignorer ce dernier point tandis qu’elle passait discrètement de chambre en chambre pour s’assurer que les résidents dormaient paisiblement.

Tandis qu’elle refermait doucement la porte d’une chambre, un chuintement derrière elle la pétrifia, hérissant sa peau de chair de poule. D’un mouvement brusque, elle se retourna avec sa lampe braquée dans le couloir. Rien. Elle avala sa salive et fit quelques pas, cherchant l’origine logique de ce son. Elle trouva finalement un squelette en papier plastifié par terre, une décoration d’Halloween qui s’était certainement décrochée. Stupide fête ! Stupide déco ! Stupide superstition ! Stupide moi d’être aussi crédule ! Grogna-t-elle intérieurement en ramassant le squelette pour le jeter dans la poubelle la plus proche d’une geste abrupt. Elle réalisa soudainement qu’elle se trouvait face à la porte 67, mais surtout elle réalisa que celle-ci était entrouverte. L’obscurité parut s’épaissir autour d’elle, le faisceau lumineux de sa lampe sembla s’affaiblir et la sensation de ne pas être seule se renforça.

Luttant contre son instinct d’allumer toutes les lumières et de fuir rejoindre sa collègue, Nicole tendit la main vers la clenche pour refermer la porte. Un râle résonna dans la chambre. La peur figea son mouvement.

« C’est rien, c’est de l’air coincé dans les poumons qui ressort. » Murmura-t-elle, tremblante, ressentant le besoin de s’exprimer pour mieux se convaincre. « C’est normal ! Ça arrive souv… »

Alors que sa main entrait en contact avec le froid mordant de l’acier de la poignée, la lumière de la chambre s’alluma. Elle perçut un autre râle, plus profond, plus sec. Une sueur froide couvrit sa nuque et son dos. Elle ferma la porte d’un geste brusque. Bon sang Nicole ! Reprends-toi ! Si ça se trouve c’est juste un résident qui déambule ! Se réprimanda-t-elle silencieusement, les yeux fermés, la gorge trop serrée pour parler. Son cœur battait follement à ses oreilles, elle s’efforça de se ressaisir. T’auras l’air fine si t’enferme un pauvre petit vieux avec le corps ! Tu rouvres, tu vérifies et tu refermes comme une grande ! Lentement, elle rouvrit la porte pour découvrir une pièce plongée dans l’obscurité. A la lueur de sa lampe, elle distingua le lit et la défunte… et une masse sombre. Le regard braqué sur cette masse, elle tâta le mur avec fébrilité à la recherche de l’interrupteur. Elle ne le trouva pas. Le faisceau de sa lampe s’affaiblit, tandis que la masse gagnait en volume et se mouvait vers elle. Nicole jeta sa lampe à terre, cherchant avec frénésie ce fichu interrupteur, les yeux rivés sur cette chose qui s’approchait. Un râle long et guttural résonna à nouveau. Ce son ne venait pas de la défunte. Une terreur froide s’insinua dans ses veines, glaçant sa chair et ses os. Clac ! La lumière jaillit une fraction de seconde avant que l’ampoule n’éclate. Une seconde où Nicole put voir la chose effrayante qui se jeta sur elle.

Yasmine mit plus de temps que prévu à faire le premier étage, elle espéra que cela laisserait le temps à sa collègue de prendre de l’avance sur le deuxième ; elle fut agacée de voir qu’il n’en était rien. Arrivée au milieu du deuxième, elle essaya de l’appeler sur son cellulaire. Pas de réponse. Encore une feignasse ! Ragea-t-elle intérieurement tandis qu’elle poursuivait son tour. L’agacement fit place au doute quand elle gravit les escaliers pour accéder au troisième étage et qu’elle ne vit personne. Elle fit quelques pas et perçut une forme allongée au sol plus loin dans le couloir. Elle s’y précipita, inquiète, mais le temps qu’elle y parvienne, elle vit la chose ramper dans la chambre.

Le 1er novembre de cette année marqua un tournant. Tous les résidents avaient très bien dormi et aucun n’était décédé. En revanche, on retrouva les dépouilles torturées des deux veilleuses de nuit au milieu du couloir du troisième étage, face à la chambre 67, fermée à clef.

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