Indiscrétion

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Memphis, Tennessee

Lundi 22 septembre 1980, 15h00


Nous arrivons enfin à Memphis. Je descends du bus avec mon petit sac de voyage. Becky est sur mes talons. Elle va chercher son bagage, une vieille valise en carton qui ne doit pas contenir beaucoup plus de vêtements que mon sac. Pas la peine de compter sur elle pour me dépanner. Nous sortons du terminal et je m’aperçois que nous sommes à proximité de l’aéroport. Je me renseigne auprès d’un employé. Le centre ville est encore à quinze kilomètres. Il me suggère d’aller prendre la navette qui dessert l’aéroport, il y a un arrêt à proximité. Nous attendons un moment en compagnie de quelques autres voyageurs pas mieux organisés que nous. Nous avons le temps d’échanger quelques mots et j’obtiens l’adresse d’un hôtel bon marché, pas très loin de Beale Street, réputée pour ses nombreux établissements consacrés à la musique. Becky est toute excitée à cette idée. J’essaie de modérer son enthousiasme. Nos finances ne nous permettrons pas de payer plus de trois ou quatre nuits. Il nous faudra impérativement trouver une source de revenus. Pour ce qui me concerne, je ne m’inquiète pas trop, dans une ville de cette taille, je trouverai sans doute un job de serveuse, mais je n’ai pas l’intention d’entretenir Becky. Il lui faudra aussi trouver quelque chose. Je l’interroge à ce sujet. Sa réponse me semble un peu évasive. Quand je lui demande qui payait sa pension à Jackson, elle élude la question. Je décide d’abandonner la discussion. Notre bus arrive enfin. Trois quarts d’heure plus tard, après avoir traversé toutes les banlieues de la ville, nous voilà enfin au cœur de la cité. Nous avons mangé un sandwich sur le trajet, mais je meurs de faim. Je ne peux pas attendre l’heure du diner. J’entraine Becky dans un diner et je commande un sandwich et des pancakes, avec un grand soda. Becky est aussi affamée que moi. Pendant que nous mangeons, je reviens sur le sujet de ses ressources. À son âge, je travaillais dans une boutique depuis quatre ans. Je ne gagnais pas beaucoup, mais tout de même de quoi vivre modestement. Je n’en apprends guère plus. Elle m’explique qu’elle a travaillé dans des bars et des boîtes de nuit, de façon occasionnelle. Je commence à m’inquiéter un peu, mais après tout, nous ne sommes pas liées pour la vie.

L’hôtel se situe dans une petite rue un peu en retrait de Beale Street. C’est une construction de briques rouges étroite avec une entrée accessible par quelques marches. La réception se limite à un petit comptoir de bois derrière lequel somnole un vieil homme noir. Je toussote pour attirer son attention. Il se redresse et nous considère avec surprise. Nous ne sommes visiblement pas le genre de clients qu’il accueille habituellement. Je me présente et j’explique que je voyage avec ma sœur. Je lui demande s’il a une chambre avec deux lits pour cinq nuits. Il chausse des lunettes et consulte un registre.

« Je peux vous proposer la 12. C’est au premier étage, il y a un lavabo dans la chambre mais les toilettes et la salle de bains sont sur le palier. Pour cinq nuits, ça vous fera cent vingt cinq dollars et je vous demanderai de payer les deux premières nuit d’avance. »

Je regarde Becky. Elle me fait un signe d’approbation. Je tends cinq billets de dix à l’homme qui nous donne la clé. Nous montons un escalier étroit à la moquette usée jusqu’à la corde. La chambre 12 est juste en face de nous. La pièce a de toute évidence connu des jours meilleurs, mais dans l’ensemble, c’est propre et il n’y a pas d’odeur déplaisante. Becky se jette sur le lit le plus proche de la fenêtre. Je pose mon sac et je m’assieds sur l’autre pieu. Le matelas s’enfonce un peu, mais pas trop. Je cherche du regard où ranger mes maigres possessions. Je ne vois rien, en dehors d’une petite table et d’une chaise. Je prends des sous-vêtements propres et mes affaires de toilette et annonce à Becky que je vais prendre une douche.

Je reviens dix minutes plus tard, les cheveux enveloppés dans une serviette. Becky est assise sur mon lit, le flingue à la main.

« Qu’est-ce que tu fous avec ça ! m’écrié-je. Tu as fouillé dans mon sac ?

— Tu l’avais laissé ouvert, je voulais lire quelques pages de ton roman et j’ai vu la crosse du revolver. Tu sais t’en servir ? Tu l’as déjà utilisé ? »

Je m’approche doucement et je lui prends l’arme des mains.

« Oui, je sais m’en servir et oui, je l’ai déjà utilisé. Tu vois, il manque une balle. Je lui montre la chambre vide.

— Génial, tu me racontes ? C’était contre qui ? Tu as braqué une banque avec ?

— Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Si j’avais braqué une banque, je ne voyagerais pas avec cent dollars en poche soupiré-je.

— Alors, tu as tiré sur qui ? »

Je préfère m’en tirer par un mensonge. Je ne vais pas lui raconter ce qui s’est passé dans la forêt.

« J’ai tiré en l’air pour décourager deux types qui me collaient un peu trop dans la rue.

— Sérieux ? La vache ! Moi aussi j’ai eu copain qui en avait un, c’était un automatique… »

En disant cela, elle s’interrompt soudain et se mord la lèvre. Je capte le message, mais ne réagis pas. Cette fille me cache quelque chose, trop tôt pour chercher à en savoir plus. Je remets le Smith & Wesson dans mon sac et je ferme la fermeture avant de le glisser sous mon lit. Je la sermonne pour le principe. Je lui propose de nous habiller pour sortir. Pour ce qui me concerne, le choix est vite fait. Elle ouvre sa petite valise. Elle en sort une mini-jupe et un haut ajusté qui lui laisse les épaules nues. Elle se déshabille devant moi sans façon. Mes soupçons se renforcent, mais ce n’est pas le moment d’en parler. C’est l’heure de faire la tournée des bars, à la recherche d’un boulot.


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