Chaude alerte
Tulsa, Oklahoma
Dimanche 26 octobre 1980, 9h00
Lorsque nous sommes rentrées hier soir, Becky a filé directement dans sa chambre, sans diner. Je peux la comprendre, elle commence à prendre vraiment conscience de sa faute. Il va lui falloir vivre avec ça dans la tête. De mon côté, ce n’est guère plus satisfaisant. Je dois faire un choix difficile. Soit je décide d’abandonner Becky à son sort, après tout, on ne se connait que depuis quelques semaines et rien de fort ne nous lie, à part nos ennuis, soit on se bat ensemble. J’ai du mal à comprendre le sentiment que j’ai pour cette fille. Peut-être est-ce parce que je n’ai moi-même pas d’enfant, je me sens obligée de la protéger comme une mère. Elle a pourtant presque vingt ans. Ce choix a tourné dans mon esprit pendant une bonne partie de la nuit. Je crois qu’il était très tard quand j’ai fini par m’endormir. Enfin, ce matin, ma résolution est prise. Je commençais à me plaire à Tulsa, mais il nous faut partir et le plus tôt sera le mieux. Je prends une douche rapide et je m’habille pour aller faire quelques courses en vue du voyage. Je jette un œil sur Becky, elle dort toujours profondément. Je lui laisse quand même un petit mot sur la table.
Lorsque je reviens, une demi-heure plus tard, mon sang ne fait qu’un tour. Une voiture portant les marques du Shérif du comté de Rogers est garée devant notre immeuble. Je monte les deux étages en essayant de ne pas paraître trop troublée. Un homme en uniforme est devant la porte. Je m’adresse à lui aussi naturellement que possible.
« Bonjour Officier, j’étais sortie faire quelques courses, comme vous le voyez, dis-je en levant mes sacs. Qu’est-ce qui vous amène par ici ?
— Bonjour, vous êtes Becky ? me répond l’homme.
— Non, ce n’est pas moi, Becky c’est ma co-locataire, mais elle est absente ce week-end. Elle est partie vendredi soir avec des amis. Elle ne m’a pas dit où. Elle devrait rentrer dans l’après-midi. Pourquoi est-ce que vous la cherchez ?
— Nous aimerions lui parler à propos d’une affaire qui s’est produite hier à Oologah. Pourriez-vous lui demander de m’appeler à ce numéro dès qu’elle rentrera ? »
Le flic me tend une carte de visite. Sergent Mark Lobster, brigade criminelle.
« Je ne manquerai pas de lui dire que vous êtes passé, Sergent Lobster.
— N’oubliez pas, c’est très important, Madame… ?
— Anderson, Mary Anderson.
— Madame Anderson, je vous souhaite un bon dimanche, et je compte sur vous pour prévenir votre co-locataire. »
Je commence à prendre des reflexes de fugitive. J’ai menti naturellement. Je regarde le flic descendre les marches. Je rentre dans l’appartement et je vais à la fenêtre. Je vois sa voiture qui fait demi-tour et s’éloigne.
« C’était qui ? fait une voix mal assurée derrière moi.
— Un homme du bureau du Shérif de Rogers. Il voulait te parler. Je lui ai dit que tu n’étais pas là.
— Tu crois qu’il venait pour…
— Pas pour t’inviter au cinéma, ça c’est sûr ! Fonce prendre une douche et prépare tes bagages, le minimum vital. On se barre d’ici en vitesse. »
Pour moi, ce sera rapide, je n’ai pas grand-chose à ranger. Toutes mes possessions tiennent dans un grand sac de voyage. En dix minutes j’ai tout emballé, même le linge qui séchait dans la salle de bains.
Me voilà de retour à la case départ. Je ne me fais pas d’illusion. Le subterfuge ne durera pas longtemps. Si ce flic est consciencieux, il interrogera le propriétaire de l’appartement et aura nos identités, mais sans doute pas avant demain. Il va nous falloir également nous débarrasser de la voiture. Marcie, la copine de Becky l’a vue et a peut-être donné son signalement. Les vieux pick-up Chevrolet, ce n’est pas ce qui manque dans le coin, mais inutile de leur faciliter le travail. Ce flic était en dehors de son comté, c’est limite, mais ils ont sans doute des arrangements. Ce qu’il faut, c’est qu’on change d’État, ça nous donnera du temps.
J’ai trouvé une carte Hammond qui couvre l’Oklahoma et le Kansas. En filant plein nord, la frontière est à 70 miles. On peut y être avant midi. Je préviens Becky et lui demande de descendre les bagages pendant que je vais chercher la voiture. Vingt minutes plus tard, après un passage à la station-service, nous sommes en route.
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