Nouvelle orientation
Topeka, Kansas
Dimanche 26 octobre 1980, 14h00
J’ai conduit pendant la première heure dans la peur de voir un barrage sur la route. Je n’ai commencé à me détendre un peu que lorsque nous avons atteint Caney, la première agglomération au Kansas. Nous avons roulé un bon moment au milieu des grandes prairies. En arrivant à Burlington, j’ai décidé de faire une halte. J’en avais assez de conduire et j’avais faim et soif. Comme à son habitude, Becky dormait sur le siège passager. Je me suis arrêtée à la seule station de la ville. C’est en allant payer le carburant que j’ai pris conscience de l’état de nos finances. Il me restait moins de cent dollars. Par chance, Becky avait un peu plus, mais à nous deux, nous avions tout juste de quoi tenir une semaine, en dépensant le minimum. Cette constatation a renforcé ma décision de vendre la voiture au plus vite.
Nous arrivons à Topeka, un panneau à l’entrée de la ville nous apprend que c’est la capitale de l’ État du Kansas. Ce n’est pourtant qu’une petite ville. En ce début d’après-midi de dimanche, il n’y a pas beaucoup de monde dans les rues. Je roule un peu au hasard, pour me faire une idée de la ville. Becky bougonne à côté de moi. Je sens qu’elle n’aime pas trop cet endroit.
« Qu’est-ce qu’on vient faire dans ce trou à rats ? me demande-t-elle avec hargne.
— Moi aussi je préférais Tulsa, mais ce n’est pas moi qui ai eu l’idée de jouer au cow-boy avec un revolver chargé !
— Mais pourquoi ici ?
— Je te rappelle qu’on nous recherche en Oklahoma, enfin, toi surtout. Le Kansas, c’était la frontière la plus proche. Tu as vu par où on est passées ? Tu aurais voulu qu’on s’arrête ailleurs ?
— On n’a vu que des champs et des forêts !
— C’est ça, alors sauf si tu as envie de rejouer La petite maison dans la prairie, on a plus de chances de trouver de quoi vivre dans une ville.
— Tu vas encore bosser dans un bar ?
— J’avais envisagé de me reconvertir comme pilote d’avion, mais je crois que je n’ai pas le profil. Tu as d’autres questions ? Et toi ?
— Je ne sais rien faire, et puis je ne supporte pas l’autorité ! Je peux me débrouiller.
— C’est ça, jusqu’à ce que tu te retrouves obligée de tirer sur quelqu’un !
— Si tu en as marre de moi, tu peux continuer toute seule. Je ne t’ai rien demandé après tout ! »
Un instant, l’idée me séduit. Après tout, ce n’est pas moi qu’on recherche. En tout cas, pas dans cette région. Je pourrais continuer vers l’Ouest, j’ai toujours rêvé de la Californie. Los Angeles ou San Francisco, je pourrais y aller en train ou en bus. Là-bas, je n’aurais pas de mal à trouver du travail. C’est mon côté protecteur qui prend le dessus. Comme à Memphis, comme à Tulsa, je ne peux me résoudre à abandonner Becky. Livrée à elle-même, il ne faudrait pas longtemps pour qu’elle finisse sous la coupe d’un mac ou même pire.
« Il faut qu’on trouve le moyen de se faire un peu d’argent et changer de voiture. Dès demain j’essaierai de nous débarrasser de celle-ci, elle a dû être signalée par ta copine Marcie.
— Mais on est au Kansas ! objecte Becky.
— Oui, c’est vrai, mais les flics ont le téléphone, ils finiront par passer le mot aux alentours quand ils verront qu’on a décampé.
— Qu’est-ce que tu vas en faire ?
— Il doit y avoir des marchands de voitures d’occasion à Topeka. J’en tirerai sans doute quelques cinq ou six cents dollars.
— On l’a payée huit cents !
— Oui, mais ça c’était avant qu’on soit en cavale. »
Je repère un petit motel à la sortie de la ville, sur la route de Kansas City. Je remarque qu’il y a un arrêt de bus à proximité. On en aura besoin si je vends la voiture. Je cherche une place de parking à distance de la réception, on ne sait jamais. Un adolescent boutonneux somnole derrière le comptoir, dans un coin une vieille télé diffuse un match de base-ball. Je paye cinquante dollars pour deux nuits. Je lui demande s’il y a une superette à proximité. Il me l’indique.
Une heure plus tard, je me suis teint les cheveux en châtain foncé, Becky, elle, est devenue blonde.
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