La chasse aux pigeons
Las Vegas, Nevada
Lundi 15 décembre 1980, 22:00
Dès son premier passage à Las Vegas, quelques semaines plus tôt, Becky avait décidé que cette ville était faite pour elle. Elle y était déjà revenue une fois, et s’était vite aperçue qu’il ne lui serait pas difficile d’y gagner de l’argent rapidement. Les nombreux casinos du Strip permettaient de changer de lieu chaque soir et ainsi éviter de se faire remarquer par les physionomistes. Elle avait également compris qu’il fallait éviter les tenues trop voyantes et avait opté pour une garde-robe discrète.
La veille, en descendant du Desert Wind à Las Vegas Union Plaza, elle s’était dirigée vers un petit hôtel bon marché, repéré lors de son précédent voyage. Situé à une courte distance de Las Vegas Boulevard, il offrait une alternative commode aux grands établissements attachés aux casinos. Après quatre heures passées dans le train, un passage par la salle de bain avait été bénéfique et c’est à la tombée de la nuit qu’elle s’était dirigée vers le Sands. Ce soir-là, la vedette était Frank Sinatra. Un ballet de limousines et de taxis déversait les couples en tenue de soirée venus applaudir le célèbre crooner, de retour sur scène après une longue absence. Becky n'était pas là pour le spectacle, mais elle s’était dit que c’était une opportunité pour passer inaperçue. Dans la grande salle de jeu, elle retrouva l’ambiance étourdissante de bruit, de lumières et de fumée qu’elle trouvait stimulante. Les tables de jeu étaient déjà bien occupées. Roulette, craps ou black-jack, il y en avait pour tous les gouts. Des hommes attentifs étaient focalisés sur leurs cartes, tandis que des femmes lançaient les dés dans de grands éclats de rire. Becky n'était pas joueuse, elle avait d’autres projets. Elle se fraya un chemin vers le plus grand bar, prête à se mettre au travail.
Il était plus de trois heures lorsque Becky avait rejoint son hôtel, plus riche de presque cinq cents dollars. Le scénario était toujours le même. Quelques verres au bar, offerts par un ou plusieurs hommes chanceux au jeu, désireux de se donner un peu de bon temps, selon l’adage : ce qui se passe à Vegas reste à Vegas, puis un passage par une des boîtes de nuit pour chauffer un peu plus le pigeon et enfin la conclusion dans la chambre de l’heureux élu. Elle avait répété le manège à deux reprises ce soir là. La première fois avec un homme d’affaires du Wyoming, venu participer à un séminaire commercial, la suivante avec un fermier, fier des ses deux mille hectares de champs de pommes de terre, sur les bords de la Snake River, dans l’Idaho. Becky avait réussi à lui soutirer presque trois cent dollars sans qu’il ne lui en coûte plus que montrer la dentelle de son soutien-gorge, puisque l’homme s’était endormi dès son arrivée dans la chambre.
Le lendemain, la matinée était déjà bien avancée quand la jeune femme ouvrit un œil. La lumière du jour envahissait la pièce et les bruits de la ville auraient pu la dissuader de rester au lit. N’ayant rien de particulier à faire, elle décida de trainer un moment jusqu’à ce que son estomac commence à se manifester. Elle décida alors de se rendre dans un mall voisin, pour y déjeuner et utiliser une partie des dollars gagnés la veille. Becky entretenait une relation particulière avec l’argent. Elle aimait en gagner, de façon agréable de préférence, mais elle n’était pas dépensière. Certes il lui fallait bien investir dans ce qu’elle considérait comme des frais professionnels, mais elle se contentait de vêtements et d’accessoires bon marché, sans attirance particulière pour les marques à la mode. Cela lui permettait de rapporter régulièrement une belle contribution aux charges de sa cohabitation avec Jenny.
Elle avait pris le temps dans l’après-midi de visiter quelques endroits qu’elle n’avait pas encore fréquentés. Elle décida que pour ce soir, ce serait le Flamingo. Elle opta pour le style country, avec un jean serré, un chemisier blanc généreusement ouvert et un gilet de cuir à franges. Des bottines à talons complétaient l’ensemble. Les décorations lumineuses du Flamingo se voyaient de loin. L’établissement était adossé à l’hôtel Hilton, un nom synonyme de luxe, aux oreilles de la jeune escort-girl. Becky constata vite qu’elle n’était pas l'unique femme seule à s’attarder au bar. Il ne lui fallut pourtant pas attendre longtemps avant qu’on vienne lui proposer un verre. Le premier à tenter sa chance aurait sûrement pu être son grand père, ou du moins l’idée qu’elle se faisait d’un grand-père, n’en ayant elle-même jamais eu. Elle le remercia gentiment sans céder à ses avances. Quelques minutes plus tard, ce furent trois jeunes hommes qui vinrent faire un brin de conversation. Elle comprit vite que l’un d’eux devait se marier prochainement et qu’il voulait profiter d’une dernière nuit de liberté. Ils acceptèrent sans difficulté de payer les bières, mais se montrèrent plus réticents quand Becky proposa ses tarifs. Finalement, un homme seul vint s’asseoir sur le siège voisin du sien. Un simple coup d’œil lui suffit pour sentir l’odeur de l’argent facile. Les vêtements de marque comme la montre de luxe étaient déjà des indices, mais lorsqu’il sortit la liasse de billets verts pour régler les premiers verres, elle fût totalement convaincue. Une demi-heure plus tard, ils étaient sur la piste du night-club après avoir bu une première coupe de champagne. Lorsque les mains devinrent un peu plus fermes sur le bas de ses reins, la jeune femme se laissa faire, prenant plaisir à ce jeu voluptueux. Son compagnon ne semblait pas pressé de conclure, profitant du spectacle offert sur la scène, tout en se contentant de caresses discrètes. C’est à la fin de la deuxième bouteille qu’il proposa de continuer la soirée dans les étages. Lorsque Becky lui glissa son prix à l’oreille, l’homme lui répondit sans sourciller qu’il lui offrait le double pour passer la nuit avec lui.
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