Mauvaise transaction

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Las Vegas, Nevada

Mardi 16 décembre 1980, 23h00

Quand elle ouvrit les yeux, Becky eut du mal à se souvenir de l’endroit où elle se trouvait. Elle avait eu l’occasion de visiter quelques chambres dans ces grands hôtels, mais aucune comme celle-ci. La taille de la pièce, la décoration et l’ameublement, tout évoquait le luxe et l’opulence. La jeune femme n’avait jamais dormi dans des draps de cette matière. Le toucher, la brillance, ce ne pouvait être que de la soie. Le lit lui-même était immense, Becky se dit qu’on pourrait bien y dormir à trois ou quatre, sans se gêner. La place à côté d’elle était vide, mais la chaleur au contact de sa main lui rappela qu’elle n’avait pas dormi seule. La mémoire de la soirée précédente lui revint progressivement. Les deux bouteilles vides sur la table du petit salon étaient là pour lui faire comprendre l’origine de son léger mal de tête. Elle trouva un peignoir confortable sur un fauteuil et l’enserra autour de son corps nu. Un bruit d’eau provenait de la salle de bain, dont la porte était restée entrouverte. Elle poussa le battant. La pièce était à demi envahie par la vapeur provenant de la cabine de douche. Elle laissa tomber son vêtement sur le sol et se glissa sous l’eau chaude au côté de son partenaire d’une nuit.

Il était plus de dix heures, quand le service d’étage leur monta le petit-déjeuner.

« C’est plutôt un brunch, précisa l’homme avec qui Becky venait de passer la nuit. Je ne sais pas ce que tu aimes, alors j’ai pris un peu de tout.

— Je ne mange pas beaucoup le matin, juste un café !

— Tu ne veux pas de pancakes ? il y a du sirop d’érable.

— Non, merci. De toute façon, il faut que j’y aille. Il est déjà tard.

— Ne me dis pas que tu as un rendez-vous ! Qu’est-ce que tu fais de tes journées ?

— Tu as été très généreux pour cette nuit, je t’en remercie, mais j’ai rempli ma part du contrat.

— Je dois reconnaitre que j’en ai eu pour mon argent, il lui tendit une liasse de dollars, on peut se revoir ce soir ?

— Dans ces conditions, tous les soirs, si tu veux.

— Je repars demain.

— Tu viens souvent à Vegas ?

— Quand mes affaires m’y appellent, en général deux ou trois jours par mois.

— Tu travailles dans quelle branche ?

— Tu poses trop de questions.

— Si tu veux me revoir, je peux te donner un numéro de téléphone. C’est à Barstow, mais on me transmettra le message, précisa Becky en lui tendant une carte du Roy’s Cafe. Et pour ce soir, où veux-tu qu’on se retrouve ? »


La journée de Becky s’était écoulée comme la précédente, avec pour seule fantaisie, un passage dans un salon de coiffure haut de gamme. La jeune femme avait empoché pratiquement mille deux cents dollars en seulement deux jours et elle allait encore arrondir son pécule. Elle pouvait bien s’offrir une nouvelle tête. Rick, elle ne connaissait que son prénom, lui avait fixé rendez-vous au Pamplemousse, sur Sahara Avenue. Elle avait trouvé une publicité pour ce restaurant dans une revue locale. L’endroit avait été créé par un Français, un certain La Forge, quelques années plus tôt et il accueillait maintenant de nombreuses célébrités du spectacle et des affaires, amateurs de cuisine française. Becky avait donc pour la circonstance fait l’emplette d’une robe habillée. Quand le taxi la déposa devant le restaurant, elle fut accueillie par un maitre d’hôtel empressé qui l’accompagna jusqu’à une table ronde, où Rick était en discussion avec un autre homme. Son hôte se leva à son arrivée pour lui laisser la place, à côté de l’autre convive. Celui-ci était un peu plus âgé que Rick, une petite cinquantaine, pensa Becky. Il était également nettement moins séduisant.

« Je te présente Robert, mais tout le monde l’appelle Bob, dit Rick en tendant la main vers l’autre homme. Bob, voici Becky, dont je t’ai parlé ce matin. »

Le dénommé Bob grommela quelques paroles de bienvenue, sans quitter des yeux le décolleté de la jeune femme.

« Nous avons déjà commandé à boire, compléta Rick en désignant les verres sur la table, tu veux quelque chose ?

— Un Martini, s’il te plait.

— Parfait, répondit Rick en faisant un signe au serveur. Bob est une des personnes avec qui je travaille régulièrement à Vegas. Je lui ai parlé de toi ce matin, et il m’a dit qu’il aimerait te rencontrer. Je me suis permis de l’inviter pour le diner, j’espère que tu n’y vois pas d’inconvénient.

— Non, bien sûr, il n’y a pas de problème. »


Le diner avait été exquis. Becky n’avait jamais mangé de foie gras ni de canard à l’orange, et rarement bu autant de vin. Elle se sentait un peu grisée quand ils se retrouvèrent tous les trois sur le trottoir. Une limousine se rangea devant le restaurant et le chauffeur en descendit pour ouvrir la portière. Becky s’installa entre les deux hommes sur la vaste banquette arrière. Le chauffeur devait avoir des instructions puisqu’il démarra sans avoir besoin de demander sa destination. La voiture roula quelques minutes, s’éloignant des casinos, avant de s’arrêter à l’entrée d’un domaine gardé. Un homme en uniforme échangea quelques mots avec le chauffeur avant d’ouvrir la grille. La voiture continua sur une large allée, dépassant des villas, toutes plus impressionnantes les unes que les autres, avant de s’arrêter devant une construction imposante de style colonial, sous un large auvent soutenu par quatre colonnes blanches.

« Nous sommes arrivés, déclara Bob, c’est ici chez moi.

— Ne fais pas cette tête, dit Rick en voyant le regard étonné de Becky. Bob nous invite juste à prendre un verre. »

Le trio pénétra dans la maison par un vaste hall, vivement éclairé. Face à l’entrée, un grand escalier menait à l’étage. Sur la droite, une double porte vitrée donnait sur un immense salon rappelant à Becky les illustrations de demeures anglaises vues dans des livres d’histoire. De grands portraits de personnages vêtus de tenues anciennes habillaient les murs. La lumière y était plus modérée, oscillant sous l’éclat des flammes d’une cheminée où brulait un vrai feu de bois. Chacune à une extrémité d’un large canapé, deux très jeunes femmes lisaient des magazines en fumant.

« Lisa, va nous chercher à boire, aboya Bob, du champagne. »

L’une des filles se leva prestement et quitta la pièce.

« Toi, dégage ! cria le maitre de maison à l’autre fille. »

Bob se laissa tomber au milieu du canapé tout juste libéré et fit signe à Becky de le rejoindre. Rick s’installa dans un grand fauteuil en face d’eux. Lisa revint rapidement avec une bouteille et trois flutes.

« Sers-nous et va-t’en ! »

La jeune fille servit trois verres et les tendit aux deux hommes puis termina par Becky. Cette dernière crut lire un message désespéré dans son regard.

« Au bon développement de nos affaires ! déclara Rick en levant sa coupe.

— On dirait qu’elles sont en bonne voie, répondit Bob en posant la main sur le genou de Becky. »

Rick but une gorgée puis se leva.

« Je vais vous laisser, j’ai un avion tôt demain. Est-ce que ton chauffeur peut me raccompagner ?

— Pas de problème, il doit être à l’office. Fais comme chez toi. »

C’est seulement à ce moment que Becky prit conscience de sa situation. Rick venait de la livrer à cet homme, ce Bob, dont elle ne savait rien, si ce n’est qu’elle n’aimait pas ses manières, ni la façon dont il avait parlé aux autres filles. Elle n’avait pas de moyen de transport et ne savait même pas elle-même où elle se trouvait. Elle avait déjà été confrontée à des situations critiques, mais celle-ci, elle ne l’avait pas sentie venir. Pas de raison de paniquer à ce stade, se dit-elle, je vais jouer son jeu et on verra bien. De toute façon, j’ai toujours un ami dans mon sac.

Dès que Rick eut quitté la pièce, Bob attira Becky plus près de lui.

« T’as de sacrés nichons, ma belle, dit l’homme en posant une main sur sa poitrine, ils m’ont plu dès que je t’ai vue entrer dans ce restaurant. Et ton cul est pas mal non plus ! Lève-toi, et montre-moi un peu ça. Allez, remonte un peu ta robe, plus haut. T’es une professionnelle, non ? »

Becky s’exécuta sans broncher, se lança dans un lent effeuillage. Elle remonta le bas de la robe jusqu’à ses hanches, révélant le nylon de sa lingerie, puis elle la fit redescendre pour faire glisser les épaules, laissant ensuite tomber le vêtement sur ses pieds.

« Ça te va comme ça ? demanda-t-elle, les bras croisés sur la poitrine, d’un ton qu’elle voulait sensuel.

— C’est pas mal, tourne-toi et penche-toi un peu en avant. »

Becky pivota lentement, comme demandé, et laissa ses mains glisser sur ses fesses, soulevant légèrement l’étoffe de sa culotte. Elle entendit un léger bruit métallique. Quand elle se retourna, Bob avait ouvert son pantalon et se caressait.

« Allez, viens ! c’est pas à moi de faire ça. »

Après quelques minutes de préliminaires, l’homme désigna un fauteuil et imposa à Becky de s’y agenouiller. Becky sentit la chaleur du feu sur ses fesses quand Bob baissa sa culotte. Il ne lui fallut pas longtemps pour exploser en elle. Il grogna quelques mots inintelligibles avant d’aller se servir un autre verre. Becky en profita pour remonter sa culotte et remettre sa robe.

« Est-ce que je t’ai dit de te rhabiller ? hurla Bob.

— Payez-moi et appelez un taxi ! répondit Becky avec assurance, serrant son sac contre sa poitrine. »

L’homme éclata d’un rire malsain.

« Je rêve ou elle me donne des ordres ? Où est-ce que tu te crois ? Tu es chez moi et tu vas y rester. Pour ce qui est de payer, je l’ai déjà fait, à Rick. Tu es à moi maintenant. »

Quand Bob fit un pas vers elle, Becky glissa la main dans son sac et la ressortit armée du Smith & Wesson.

« Tu crois m’impressionner avec ça ? Est-ce que tu sais au moins t’en servir ?

— Je m’en suis déjà servi deux fois, et aucun des deux ne s’est relevé, connard ! »

L’homme fit encore un pas. L’arme cracha, trois fois. Le corps de Bob fut projeté en arrière, jusqu’au canapé où il s’écroula. Une tache rouge s’élargissait rapidement sur sa poitrine. Becky se retourna vers la porte. Personne en vue. Pas question d’attendre que les filles se manifestent. Pour le chauffeur, il n’était sûrement pas encore revenu. Becky saisit son blouson et quitta la maison sans précipitation. Les coups de feu n’avaient visiblement pas alerté les voisins. La jeune femme redescendit l’allée principale, en s’efforçant de rester dans l’ombre. En arrivant en vue du poste de garde, elle quitta l’allée pour se cacher près du portail de sortie. Quelques minutes plus tard, une voiture se présenta. Le portail s’ouvrit automatiquement. Le garde n’avait pas quitté sa guérite. Elle se glissa dehors avant que le vantail ne se referme et s’éloigna sur la rue principale. Au premier carrefour, elle put se localiser, l’intersection entre Rancho et Alto Drive. De l’autre côté du croisement, elle aperçut le signal indiquant un arrêt de bus. Un panneau à peine lisible donnait les horaires de la ligne 106 pour le centre ville. Elle attendit quelques minutes avant de voir le véhicule arriver. Au même moment, deux voitures de police, sirènes hurlantes, traversèrent le carrefour avant de tourner vers le domaine qu’elle venait de quitter.

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