Concordance
Kerr-McGee Building, Tulsa Oklahoma
Lundi 22 décembre 1980, 8h00
L’agent spécial Mark Doherty était d’humeur morose en ce début de semaine de Noël. Affecté depuis peu au bureau de Tulsa, il n’avait pas été prioritaire pour le choix des dates de congés. Sa femme, originaire de New York, appréciait peu la vie en Oklahoma et lui avait annoncé qu’elle irait, quoi qu’il arrive, passer les fêtes avec sa famille, elle ne voulait pas priver ses deux garçons de la traditionnelle réunion avec leurs oncles, tantes et cousins.
Il avait accepté ce poste à Tulsa, qui était associé à une promotion significative, même si dans la réalité, les affaires sur lesquelles il travaillait manquaient sérieusement de piquant. Originaire de Philadelphie, il était habitué aux hivers rudes et enneigés. Ici le moindre flocon était perçu comme un événement, commenté par les télévisions locales.
En tant qu’adjoint du chef de l’antenne locale, il aurait à gérer les affaires courantes pendant cette période traditionnellement calme. Il arriva donc au bureau avec une pleine boîte de donuts de chez Daylight. Après s’être informé des événements du week-end, il s’enferma dans son bureau pour prendre connaissance des dernières dépêches. Il en était à son deuxième café lorsque qu’une jeune assistante vînt frapper à sa porte.
« Monsieur, j’ai reçu une information qui pourrait vous intéresser. Ça concerne le dossier de ce jeune homme abattu avec une arme volée à un shérif de Louisiane, vous vous souvenez ?
— Oui, en effet, les hommes du shérif sont venues nous soumettre le cas. Qu’avez-vous de nouveau ?
— Nous avons fait un signalement auprès de l’ATF[1] et nous venons de recevoir une réponse. L’arme qui a été utilisée à Oologah pourrait avoir servi lors d’un homicide à Las Vegas.
— Montrez-moi cela ! répondit Mark soudain revigoré. »
La jeune femme lui tendit une sortie d’ordinateur. Le document précisait le modèle d’arme utilisé, un Smith et Wesson calibre .38, et faisait état de similitudes probantes avec les balles retrouvées en Oklahoma.
« Voulez-vous me trouver le nom de la personne qui a fait la déclaration au Nevada ?
— C’est déjà fait, lui répondit-elle avec un sourire satisfait. C’est l’inspecteur Monroe, du LVPD[2]. Voulez-vous que j’essaie de la contacter ?
— Oui, bien sûr, j’espère juste qu’il ne sera pas en vacance cette semaine. »
L’agent avait assez d’expérience pour savoir que les armes volées pouvaient circuler rapidement dans le milieu, et le fait que celle-ci ait servi de nouveau, après plus d’un mois, étant intrigant. Il se fit apporter le maigre dossier laissé par les adjoints du shérif. Le signalement des deux femmes n’évoquait pas une relation avec le milieu du crime organisé. Plutôt deux nanas en rupture qui menaient une vie nomade. Il ne serait pas étonnant qu’elles ne se soient pas débarrassées immédiatement d’un flingue qui pouvait pourtant les incriminer au premier chef.
Il était presque dix heures, quand Barbara Stormer, l’assistante de Mark, vînt lui annoncer qu’elle avait l’inspecteur Monroe en ligne. Après une brève introduction, l’homme du FBI entra dans le vif du sujet.
« Nous avons été avertis qu’un homicide avait été commis dans votre secteur avec une arme que nous surveillons. Pouvez-vous me résumer rapidement ce que vous avez chez vous ?
— Et bien, il y a un peu moins d’une semaine, nous avons été appelés depuis le domicile de Robert Frantelli, un individu connu chez nous pour graviter dans le milieu des jeux et des filles. Nous n’avons pas d’éléments matériels, ni de témoignage direct, mais différents éléments accusent une jeune femme qui aurait passé la soirée avec ce Frantelli. Nous avons interrogé le chauffeur qui les a ramenés chez lui, Frantelli, un de ses amis dont le chauffeur prétend ignorer le nom, ainsi qu’une femme d’une vingtaine d’années. C’était visiblement quelque chose d’habituel chez Frantelli. Il y avait également deux autres filles dans la maison, mais le patron les a rapidement congédiées, et elles sont hors de cause. Elles nous ont quand même donné un signalement assez précis, nous avons fait établir un portrait robot, je peux vous le faire parvenir par fax.
— J’allais vous le demander, répondit Mark. Donc, cette fille et Frantelli étaient seuls au moment du meurtre ?
— Le chauffeur était parti raccompagner le deuxième homme, il nous a dit qu’il l’avait laissé devant le Flamingo, un des casinos du Strip. Les deux filles étaient dans une dépendance, à l’extérieur de la maison principale, elles n’ont rien entendu.
— Qui vous a prévenus alors ?
— Le chauffeur, à son retour. Il a trouvé son patron baignant dans son sang, sur le canapé. Trois balles de .38 à courte distance, ça ne lui laissait pas beaucoup de chances. L’autopsie a montré que Frantelli avait pas mal picolé et qu’il avait eu un rapport sexuel peu de temps avant sa mort.
— Une partie de jambes en l’air qui a mal tourné ?
— C’est ce que nous avons pensé. L’individu était coutumier du fait, nous avions déjà eu quelques plaintes le concernant à ce sujet. Malheureusement pour lui, ce coup-ci, la fille était armée et elle n’a pas hésité à tirer pour se défendre.
— Je vois, fit l’agent spécial, mais si elle était arrivée en voiture avec le chauffeur, comment est-elle repartie ?
— Ça, on n’en sait trop rien, la maison fait partie d’un domaine fermé, avec un gardien, mais il n’est pas impossible de sortir la nuit sans être vu. Ensuite, elle a pu regagner la ville en bus, il y a une ligne qui passe à proximité.
— Merci, j’attends votre fax pour le montrer par ici. J’aurai sans doute l’occasion de vous recontacter. En attendant, je vous souhaite un joyeux Noël si on ne se reparle pas d’ici là. »
Quelques minutes plus tard, Barbara déposa quelques pages imprimées sur son bureau. Comme elle allait sortir, Doherty la retint.
« Pouvez-vous demander au sergent Lobster, du bureau du shérif de Rogers de passer me voir ?
— Bien sûr, Monsieur, je le fais immédiatement. »
[1] ATF : Bureau de l'alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs
[2] Las Vegas Police Department
Annotations
Versions