Éloignement
Barstow, Californie
Samedi 3 janvier, 22h00
Après le calme de la période de fêtes, l’activité a repris au bar. Comme à mon habitude, je suis derrière le comptoir. Je sers des bières et je tiens la caisse. Marcia et Jane tournent dans la salle, ramassant les verres et les bouteilles vides. Je remarque Roy au bout du zinc, il discute avec deux hommes. Je les connais de vue, des habitués, mais leur attitude me semble plus sérieuse qu’à l’accoutumée. Au bout de quelques minutes, mon ami vient me voir. Il profite d’un petit moment un peu moins chargé et me glisse quelques mots à l’oreille.
« On a vu deux hommes, dans une voiture immatriculée dans le Nevada. Ils ne sont pas d’ici, c’est certain. Jack et Louis pensent qu’ils posent des questions.
— Tu crois qu’ils nous cherchent ? demandé-je, soudain inquiète.
— Je n’en sais rien, mais la coïncidence avec le coup de fil avant les fêtes est plutôt troublante.
— Qu’est-ce qu’on va faire ?
— Pour le moment, rien ! Becky n’est toujours pas rentrée ?
— Non, elle m’a appelée ce matin pour me dire qu’elle prévoyait de revenir demain matin.
— Dans ce cas, je te propose de rester pour dormir ici. S’ils avaient prévu de me parler, ils l’auraient sans doute déjà fait. »
Je n’hésite pas avant d’accepter. Je ne suis pas froussarde, mais même avec un Colt sous l’oreiller, je n’ai pas trop envie de rester seule à la maison. Roy m’a bien dit qu’il fallait arrêter de fuir, qu’il valait mieux faire face, mais quand la réalité me rattrape, je sens ma résolution faiblir. Roy est déjà reparti s’occuper des clients qui l’interpellent. On en reparlera plus tard.
L’heure de la fermeture approche, la salle se vide peu à peu. Roy éteint les téléviseurs tandis que les filles passent un coup de balai et rangent les chaises. Je fais les comptes de la soirée. La recette est bonne. L’affaire tourne bien. Marcia et Jane parties, nous restons seuls dans la grande pièce. Roy attrape une bouteille et deux verres.
« Tiens, bois ça, dit-il en me tendant un whisky généreusement servi. On l’a bien mérité !
— La soirée a été profitable, l’année commence bien.
— J’ai réfléchi. La présence de ces deux hommes ne présage rien de bon. Il serait peut-être plus prudent que vous vous éloigniez un moment, le temps qu’ils se lassent et arrêtent de vous courir après.
— Combien de temps ? fais-je d’une voix mal assurée.
— Ils ne vont pas s’éterniser ! sans doute deux ou trois jours, tout au plus, me répond Roy d’un ton calme.
— Mais où allons-nous nous cacher ? je ne connais personne dans la région.
— J’ai un petit chalet au-dessus de Big Bear Lake, c’est à un peu plus d’une heure d’ici. À cette saison, il y aura de la neige, mais le chauffage est efficace.
— Je viens de Louisiane, je n’ai vu la neige que dans les films !
— Et bien tu pourras en profiter pour apprendre à skier. Je peux vous y emmener dès demain, en fin de journée.
— Le ski, non merci, je resterai près de la cheminée. J’espère seulement que Becky acceptera de m’accompagner.
— Je sais que tu es attachée à cette fille, mais elle ne t’attirera que des soucis.
— C’est vrai, mais je ne peux pas la laisser sombrer toute seule. Je me sens responsable d’une partie de ses problèmes. Après tout, c’est avec mon flingue qu’elle a tiré sur ces types.
— On en reparlera demain, pour le moment, j’ai plutôt envie d’aller dormir.
— Dormir, tu es sûr ?
— Tu as une autre idée ?
— Pourquoi pas ? Je n’ai pas envie de passer la nuit toute seule, même sous ton toit.
— Alors il ne faudra pas faire de bruit, pour ne pas réveiller Peggy !
— Qu’est-ce que tu crois, elle a très bien compris, depuis Noël ! »
Annotations
Versions