Installation

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Barstow, Californie

Dimanche 4 janvier, 14h00


Comme je m’y attendais, Becky me fait la gueule depuis qu’elle est rentrée. L’idée d’aller s’enfermer dans un chalet, ou tout autre endroit d’ailleurs, la met dans une humeur massacrante. J’ai eu droit à toute sorte de qualificatifs désobligeants jusqu’à ce qu’elle finisse par admettre que cette proposition était la meilleure pour nous deux. Cela n’a toutefois pas suffi à la calmer totalement. Je l’ai vue parcourir le salon du regard, comme si elle cherchait un objet à briser. Elle s’est finalement contentée d’aller s’enfermer dans sa chambre, non sans claquer la porte avec violence.

Je dois reconnaître que ce voyage ne m’enchante pas beaucoup plus. Roy m’a assuré que sa maison disposait de tout le confort souhaitable, mais il n’en reste pas moins que je crains de m’ennuyer ferme. En attendant, je prépare mon bagage en prévision de ce séjour. Quand j’ai objecté que ni Becky ni moi ne possédions le moindre vêtement adapté aux rigueurs de l’hiver, Roy m’a répondu que nous allions trouver sur place les équipements de ses filles et que nous pourrions les utiliser à notre guise. La seule chose qui me console un peu, c’est que mon ami a prévu de rester avec nous jusqu’à mardi matin, le temps d’assurer notre installation.

Je vais au café à l’heure du déjeuner. Il y a peu de clients, Jeff me prépare une salade, pendant que Roy laisse ses consignes aux deux serveuses. Elles assureront la fin de journée et le bar sera fermé demain. En début d’après-midi, je monte dans la Ford Bronco et nous passons à la maison pour prendre Becky.

« Tu sais où nous allons ? rigole Roy en la regardant sortir avec ses chaussures à talons hauts et sa jupe courte.

— Je n’ai rien d’autre de toute façon ! lui lance Becky.

— Après tout, c’est ton problème. Grimpe, on a de la route à faire ! »

Becky balance son sac sur la banquette à côté d’elle et se cale dans l’angle. Je la connais, elle ne va pas ouvrir la bouche pendant tout le voyage. Nous roulons plein sud dans le désert pendant presque une heure. À mesure que nous approchons, les montagnes se font plus hautes et plus blanches. Quand nous arrivons au Lac Baldwin, un panneau indique une température de moins trois degrés. Le soleil a déjà disparu derrière les montagnes et la nuit commence à tomber. Sur les bas côtés, la neige est apparue. Roy me rassure en précisant qu’il ne nous reste qu’un quart d’heure de route. Il me précise que nous avons atteint une altitude de 6.700 pieds[1]. La route ne monte plus jusqu’à Big Bear Lake. Nous faisons les derniers miles à la lumière des phares. Enfin, nous arrivons devant un chalet de rondins. Le gros véhicule se fraye un chemin dans la neige épaisse pour parcourir les derniers mètres.

« Nous sommes arrivés, annonce Roy à l’intention de Becky toujours endormie à l’arrière.

— Quoi ! mais comment voulez-vous que je sorte de la voiture ?

— Je t’avais prévenue, mais je ne suis pas un mauvais bougre. Reste là, je vais te chercher des bottes et un anorak. »

J’accompagne mon ami jusqu’à la porte, il règne une douce chaleur à l’intérieur. Roy me désigne le salon.

« Installe-toi près de la cheminée, j’en ai pour deux minutes. »

Il se dirige vers un débarras et en sort une paire de moon boots et un long manteau matelassé.

Dix minutes plus tard, nous sommes tous les trois devant un feu de bois qui démarre lentement.

« Les voisins ont mis le chauffage en route hier soir, vous pouvez compter sur eux si vous avez besoin de quelque chose. Mary a dû remplir le frigo, vous aurez de quoi manger pour quelques jours. Vous verrez, c’est un couple de retraités, ils sont très sympa. Morris a travaillé pour le gouvernement à Sacramento et sa femme était infirmière, je crois. Ils vivent maintenant ici toute l’année. Morris fait même partie du conseil municipal. Vous voulez boire quelque chose ? »

Roy nous fait visiter les lieux. Il y a quatre chambres. Trois sont meublées et décorées comme des chambres d’adolescentes. Becky en choisit une. Posters de chanteuses et groupes de pop musique, Janis Joplin, Les Doors et Fleetwood Mac, dessus de lit en patchwork, une lampe lave sur une étagère. Dans un coin, un meuble avec un tourne-disques et une collection de singles.

« C’était la chambre de Marge, ma fille aînée. Elle a à presque ton âge, Jenny, elle vit aujourd’hui à Denver avec son mari et leurs deux enfants. Ils ne viennent plus ici, ils ont assez de neige près de chez eux. Ces disques doivent dater de quinze ou vingt ans. »

Je prends une pochette. Baby Love des Supremes. J’ai un moment de nostalgie. Je regarde un autre disque, les Beach Boys, California Girl.

Nous laissons Becky s’installer. Roy me montre la dernière pièce, la plus grande des chambres.

« Tu préfères une pièce pour toi on tu partages celle-ci avec moi ? »



[1] Un peu plus de deux mille mètres

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