Inquiétude

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Big Bear Lake, Californie

Mardi 6 janvier, 12h00

Hier il a neigé. Le temps a changé après notre arrivée et au réveil, on ne voyait plus nos traces sur le chemin. La Ford était recouverte d’une épaisse couche qui la dissimulait totalement. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse en tomber autant en si peu de temps. Heureusement, ça n’a pas duré, en milieu de matinée, le soleil est revenu. Roy m’a proposé d’aller faire une balade au bord du lac. Il est monté dans une chambre et m’a rapporté des vêtements adaptés, à peu près à ma taille. Becky a préféré rester au chalet, elle s’est calée devant la télé à regarder des feuilletons idiots. Son préféré se passe sur un bateau de croisière[1]. Je crois qu’elle pourrait passer la journée devant l’écran à siroter du soda. Après tout, ça ne me dérange pas, je commence à prendre vraiment plaisir à ces moments d’intimité avec Roy. Je pourrais presque être sa fille, mais aujourd’hui, je m’en moque.

Le lac était gelé et recouvert d’une épaisse couche blanche. Heureusement que les routes avaient été rapidement dégagées, la circulation, bien que réduite, était pratiquement normale. Je me demande comment les conducteurs font pour rouler sur ce sol glissant. Roy lui, a l’air de s’en amuser. Nous avons laissé la voiture sur un grand parking presque vide et nous avons marché dans la neige épaisse, une découverte pour moi.

Nous sommes passés récupérer Becky avant d’aller manger des hamburgers. Il faisait nuit depuis longtemps quand nous sommes rentrés. Becky a filé dans sa chambre et moi je me suis calée contre l’épaule de Roy, dans le grand canapé en face de la cheminée. Nous y sommes restés un bon moment. Il m’a parlé de sa femme, je lui ai parlé de Luke. On a bu de la bière puis du vin. Il m’a aidé à monter l’escalier. Nous nous sommes déshabillés l’un l’autre.

Roy est parti tôt ce matin, il voulait arriver à Barstow dans la matinée pour ne pas laisser les filles seules trop longtemps. Moi, j’ai trainé un peu après le petit déjeuner. Je ne savais pas trop quoi faire. J’ai rangé le salon et lavé nos verres avant de monter prendre une douche et m’habiller. Je n’avais pas l’intention de sortir, les premiers commerces sont assez loin et le frigo est plein. Je me suis tout de même forcée à aller dire bonjour à Morris et Mary. Je crois que j’ai eu une bonne idée, ils ont eu l’air très heureux de faire ma connaissance. Ils m’ont offert du café et nous sommes restés un bon moment à bavarder. Ils doivent avoir plus de soixante-dix ans, mais ils semblent encore très alertes. Je connais maintenant presque tout de leur vie, mais j’ai été très prudente sur la mienne. Morris est originaire du Wisconsin. Pendant la guerre, il a été mobilisé dans la Navy, à San Diego. À la fin des hostilités, il a décidé de rester en Californie. Il a pu faire des études de comptabilité avant d’être recruté par l’administration de l’État. C’est à Sacramento qu’il a fait la connaissance de Mary, à l’occasion d’un court séjour à l’hôpital où elle travaillait. Depuis ils ne se sont plus quittés. Morris avait la nostalgie des hivers froids et enneigés de son enfance. C’est pour cela qu’ils ont choisi de venir s’installer au bord du lac. Il est presque midi quand je décide de rentrer. Il n’y a pas loin de la maison de Morris et Mary jusqu’à celle de Roy, mais il me faut quand même redescendre jusqu’à la route. Il y a trop de neige pour que je puisse couper sous les arbres. Lorsque j’arrive au bas du chemin, je remarque une berline noire qui passe à faible vitesse. Elle ralentit encore en passant devant le chalet. Je repère deux hommes à l’intérieur. Ils n’ont pas une tenue de touristes ou de gens du coin. La route est un cul-de-sac. Je les vois faire demi-tour un peu plus loin et revenir vers moi, toujours aussi lentement. J’ai l’impression que le passager me dévisage en passant à ma hauteur. Puis la voiture accélère et disparait vers le barrage. Je remonte vers le chalet. Becky est levée. Je lui raconte ce que je viens de voir.

« C’est qui ces types ? Tu crois que c’est les mêmes que ceux qui étaient après nous à Barstow ?

— Comment veux-tu que je sache, dis-je, je ne les ai pas vus, ceux de Barstow. Il me semble que la voiture avait une plaque de Californie, je n’ai pas vraiment fait attention.

— Tu as dit qu’ils avaient ralenti en passant devant le chalet ? C’est peut-être juste une patrouille de vigiles, ils ont été étonnés de voir le chalet ouvert.

— Non, je ne crois pas, ça aurait été une voiture du shérif dans ce cas.

— Et si c’était Rick ou quelqu’un qui bosse pour lui, des amis de ce Bob ? s’inquiète soudain Becky.

— Comment nous auraient-ils suivis jusqu’ici ?

— J’en sais rien, mais je n’ai pas l’intention de rester à attendre sans rien faire.

— On n’a pas de voiture, tu veux aller où ?

— Roy t’a bien laissé un flingue ? Il faut qu’on l’ait sous la main, on ne sait jamais. »

Je n’aime pas la tournure que prennent les événements. Je ne peux pas rappeler Roy pour une simple voiture. De toute façon, il n’est peut-être même pas encore arrivé. Comme Becky se fait insistante, je vais chercher le Colt et la boite de munitions. Je connais cette arme, mon père avait le même modèle. Je vérifie qu’il n’y a pas de balle dans la chambre. Papa faisait toujours ça. Le chargeur est plein. Je le remets en place. Je parcours la pièce du regard. Il y a une petite console dans l’entrée, avec un tiroir dans lequel Roy range ses clés. J’y dépose le pistolet et les cartouches de rechange.

[1] The Love Boat (La croisière s’amuse)

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