PORTRAIT (défi) : Gueule-de-Broc

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J'étais disposé à répondre au défi de @paname@, concernant un portrait peu flatteur. Mais lorsque j'ai souhaité le publier, j'ai bien vu que je ne respectais pas les contraintes.

Je vais donc le déposer à part.

Le portrait suivant est une relique découlant d’anciens textes liés au roman « Les amants de l’éternité ». Depuis, il a été abondamment retravaillé et intégré dans la version actuelle, en plus courte et à une place différente. Il concerne Germaine Verdier dite Gueule-de-Broc, épouse Debeaulieu, un personnage inventé.
Le contexte : Olivier est invité dans un petit village normand et va apercevoir une personnalité locale qui avance dans sa direction. À ce moment précis, il va la croiser, sait déjà à qui il a affaire. En esprit, il va débiter une sorte de litanie…

_____________

« Gueule-de-Broc, je ne connais pas encore, mais j'ai la ferme volonté de te découvrir. D'ailleurs de loin, je t'ai tout de suite reconnue. Certains te décrivent comme une sorcière. Tu sais, je pavoise en prononçant cela. Mais je t'assure que tu as devant toi un esprit cartésien. Du moins, restons modeste, je me range de ce côté-là. J'ai l'impression que tu es une femme originale, pas une mauvaise femme. Aigrie, malheureuse, tu as dû expérimenter de bien désagréables moments durant ton existence. J'ai seulement envie de te démasquer, madame Debeaulieu. Mon tutoiement en esprit n'est pas un manque de respect envers toi, mais une forme de compassion. Pardonne-moi si je t'offusque.
Gueule-de-Broc !
Qu’il est curieux de t'avoir affublé d'un pareil surnom ? Et encore tu n'as pas que celui-là, car chacun dans la contrée y va de son petit couplet pour te vêtir. Tu passes pour la meilleure cuisinière du canton. Ta mère t’apprend toujours des recettes de cuisine, qu'elle tient de sa grand-mère. D’ailleurs, Isabelle me l’a affirmé, jamais de sa vie, elle n'avait savouré de tels mets, ceux que tu mijotes si bien, et dont je rêve de goûter. Le principal défaut, qui te porte préjudice, est un tempérament fouineur ; tu furètes partout, t’immisces dans le quotidien de tes concitoyens ! Isabelle m’a déjà beaucoup parlé de toi. »

Cette femme au visage faunesque semblait dotée d’une vision périphérique. Elle pourrait figurer en bonne place dans une image d'Épinal, mais elle était bien plus que ça et bien mieux connue que la Maire de cette municipalité ; elle en était la figure de proue. Elle asseyait sa renommée dans tout le pays de Bray. Il n'était donc pas étonnant qu'Isabelle en parlât tant. Ainsi, on lui prêtait un amant à cinquante ans. Car on l'avait vue déambuler, un cabas suranné, arrimé sous le bras, arpentant de long en large la commune, traversant les chemins et cavées en recherche d'un homme circonstanciel. C'est au cours d'incessantes et interminables pérégrinations qui aboutissaient dans quelques fermes des alentours qu'elle avait retrouvé sa jeunesse envolée dans les bras d'un jeune amant prénommé Antonin. Pourtant, elle possédait un physique ingrat et ne faisait rien pour s'en arranger. Elle apparaissait plutôt mince, légèrement voûtée, un visage allongé, surmonté de cheveux bruns et blancs retenus par un chignon de couleur bleue. S'habillant tous les jours en gris, elle revêtait une éternelle blouse de même couleur, blasonnée de quelques taches de confiture. Par simple souci érotique ou désir d'économie, elle portait toujours des bas. Personne dans ce village ne l'ignorait, car ostensiblement, les insignes de cette féminité qui la paraient claquaient comme des gonfanons au gré du vent. Dès le printemps, ses jambes qui se dévoilaient, évoquaient étonnamment celles d'une souris. Par bonheur, elle pouvait braver le vent, grâce à de solides mollets qui rigidifiaient l'ensemble. Presque chaque jour, des regards lourds affrontaient les surprenantes charentaises bigarrées qui lui servaient de moyen de transport. Cependant, de toute sa personne, un détail dominait : sa lèvre inférieure était singulièrement avancée, proéminente et c'était pour cela que tous les gens du village l'avaient surnommé Gueule-de-Broc. Elle traînait sur les routes sa caractéristique qui n'interdisait pas toute la loquacité qu'elle avait en elle. Ce qui laissait dire à certaines sales langues que cet appendice labial lui avait permis de trouver la direction, de traquer et de localiser - comme un sourcier - l'endroit où se cachait cet amant providentiel. D'autres affirmaient qu'ayant tété sa nourrice très longtemps, sa bouche avait pris cette forme particulière. Il semblait à tous, par le mouvement perpétuel de ses lèvres, qu'elle additionnait et soustrayait sans cesse. Tous la connaissaient pour avare. En réalité, son mouvement de lèvres provenait de ses ressentiments contre le monde entier.

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