Le temps semblait s'être arrêté pour Seth, depuis qu'elle vivait dans la Cité. De jour en jour, si tant est que des jours fussent passés, ses souvenirs du monde matériel se dissolvaient. La mêlasse absurde qui s'évaporait ainsi de son crâne avait recouvert les murs nus de sa demeure. Ils étaient devenus pâteux, puis coulants. Les souvenirs s'écoulaient inlassablement, tandis que le temps s'atrophiait.

Cela, Seth n'en avait cure. Son existence entière se résumait désormais à l'exercice d'une pensée nouvelle, libérée du carcan des lois physiques. C'était un sorite vagabond, que Seth filait en errant le long des voies de la Cité. Les âmes grouillaient, informes, sur l'illusion pavée des allées sinueuses. De temps à autre, deux pensées se percutaient. Tantôt leur rencontre donnait lieu à un duel explosif, tantôt elle se soldait dans l'harmonie d'une fusion extatique dont écloraient alors quelques pousses réflexives. Des embryons d'idées si délectables que les âmes, rendues à d'interminables orgies conceptuelles, s'en abreuvaient sans soif. Les esprits cannibales sans cesse engraissaient leur raison.

Le temps n'existait plus, dans ce flux continu d'axiomes pullulants. Parfois, en voyant s'élever un schéma de pensée, directement tracé sur le tableau du firmament, Seth mesurait le passage d'un cheminement mental. Mais toujours les systèmes s’effritaient, contredits ; ils s'écroulaient d'eux-mêmes ou érigeaient les fondations d'une nouvelle construction logique. La mutation advenait de manière si constante et si précipitée qu'établir des durées n'avait plus aucun sens.