CHAPITRE 6 : Le prix de la vérité
Le silence dans l’appartement d’Elliot était chargé d’un poids que ni les lumières tamisées ni le panorama spectaculaire de Manhattan n’arrivaient à alléger. Iris, allongée sur le canapé, ses cheveux encore emmêlés par l’intensité de leur étreinte, observait les jeux d’ombres et de lumière qui dansaient sur le plafond. Elliot, assis dans un fauteuil proche, une coupe de vin à la main, semblait perdu dans ses pensées. Il avait ce regard distant, comme s’il jonglait entre mille vérités qu’il refusait de partager.
Elle tourna la tête vers lui, brisant enfin le silence.
— Qu’est-ce que tu attends de moi, Elliot ?
Il resta un instant immobile, ses doigts effleurant le bord de son verre. Lorsqu’il releva les yeux, son regard était aussi tranchant qu’un scalpel.
— Ce que j’attends de toi ? murmura-t-il. Rien que tu ne sois pas déjà en train de m’offrir.
Iris se redressa, son cœur battant plus vite. Il avait cette manière de répondre, toujours sur le fil, jamais complètement sincère. Et pourtant, il capturait son attention à chaque mot.
— Et si je te disais que je n’ai rien à offrir ? lança-t-elle, une pointe de défi dans la voix.
Un sourire étira les lèvres d’Elliot, mais il ne répondit pas tout de suite. Il se leva lentement, s’approchant des immenses baies vitrées qui offraient une vue plongeante sur la ville.
— Chaque photo que tu prends, chaque moment que tu captures, Iris, tu offres plus que tu ne le réalises. Tu révèles des vérités que d’autres cherchent à cacher. Ce don, c’est une arme, une lumière dans l’ombre. Et moi… j’ai besoin de cette lumière.
Les mots d’Elliot frappèrent une corde sensible. Une image surgit dans l’esprit d’Iris, vive et douloureuse. La galerie de Seattle, avec ses murs modestes et cette photo qui n’aurait jamais dû être exposée…
Ses pensées la ramenèrent à Seattle, à ce jour précis où tout avait changé. Elle se souvenait de cette galerie modeste, où l’une de ses photographies avait été exposée sans son accord. C’était une image qu’elle avait prise par hasard, une famille réunie lors d’un événement public. Elle avait capturé un moment intime, trop intime, qui révélait plus qu’elle ne l’avait imaginé : une femme avec un homme qui n’était pas son mari. La photographie avait déclenché une tempête médiatique, brisé un ménage et entraîné un scandale qui avait éclaboussé Iris. Même si elle n’était pas directement responsable, elle s’était retrouvée au centre des débats sur l’éthique de l’art. Elle se souvenait des regards accusateurs lors de ses dernières semaines à Seattle, des discussions qui s’éteignaient dès qu’elle entrait dans une pièce. À la fin, partir avait semblé être la seule solution.
Elle plissa les yeux, essayant de déchiffrer ses mots. Tout en lui semblait calculé, même son honnêteté. Elle se leva à son tour, drapant la couverture légère sur ses épaules.
— Tu parles comme si j’étais une sorte de clé. Une pièce manquante dans ton puzzle. Mais je ne suis pas sûre de vouloir jouer à ton jeu, Elliot.
Il se retourna brusquement, son regard perçant la traversant comme une lame.
— Ce n’est pas un jeu, Iris. Pas pour moi. Et certainement pas pour toi.
Sa voix était basse, presque un murmure, mais chaque mot portait une gravité qu’elle ne pouvait ignorer. Elle recula d’un pas, sentant pour la première fois une pointe de peur s’infiltrer dans son admiration pour lui.
— Alors explique-moi, Elliot. Explique-moi ce que tu veux vraiment. Parce que tout ça — les invitations, les mots, cette soirée — tout ça semble... calculé.
Il s’approcha lentement, réduisant l’espace entre eux jusqu’à ce qu’elle sente son souffle contre sa peau.
— Je veux que tu voies, murmura-t-il. Que tu comprennes ce qui se joue dans cette ville, dans ce monde. Tu es au bord d’un précipice, Iris, et je peux te montrer comment voler… ou te laisser tomber.
Un frisson parcourut son dos, mais elle ne détourna pas les yeux. Elliot était un maître des mots, et pourtant, une part d’elle croyait en la sincérité de cette déclaration.
— Et si je ne veux pas sauter ? répondit-elle enfin, sa voix à peine plus qu’un souffle.
Il esquissa un sourire, mais cette fois, il y avait une ombre de tristesse dans ses traits.
— Alors les ombres te rattraperont. Parce qu’il n’y a pas de milieu, Iris. Pas dans ce monde.
Elle détourna les yeux, cherchant un refuge dans les lumières scintillantes de Manhattan. Chaque mot qu’il prononçait semblait alourdir l’air autour d’elle, la poussant vers un choix qu’elle ne comprenait pas encore.
— Et Serena ? murmura-t-elle, presque pour elle-même. Elle a essayé de me prévenir, tu sais. Elle pense que tu es dangereux.
Un éclat passa dans les yeux d’Elliot, mais il le masqua rapidement.
— Serena a ses raisons de me haïr. Mais crois-moi, Iris, ses blessures la guident autant que ses intentions. Elle ne te dira pas toute la vérité. Pas comme moi.
Elle se tourna vers lui, cherchant des réponses dans son regard, mais tout ce qu’elle trouva était une énigme encore plus complexe.
— Alors dis-moi la vérité, Elliot. Toute la vérité.
Il resta silencieux un moment, puis se détourna, retournant vers le fauteuil. Il s’y laissa tomber, son regard perdu dans la ville.
— La vérité, murmura-t-il, c’est que tu es plus précieuse que tu ne le réalises. Et que ceux qui le savent déjà… feront tout pour te posséder. Moi, je veux te protéger de ça. Mais pour ça, il faut que tu me fasses confiance.
Elle sentit son cœur se serrer. Une partie d’elle voulait croire en ses mots, mais une autre, plus prudente, savait qu’Elliot jouait un jeu bien plus grand qu’elle ne l’avait imaginé.
Elle ramassa ses vêtements éparpillés sur le sol, se rhabillant en silence. Elliot ne l’arrêta pas, mais son regard suivait chacun de ses gestes.
— Je dois y réfléchir, dit-elle en attachant ses cheveux.
Il hocha lentement la tête, mais son expression restait illisible.
— Prends tout le temps que tu veux, Iris. Mais souviens-toi : le temps, dans ce monde, est une ressource précieuse. Et il y a toujours quelqu’un prêt à le voler.
Lorsqu’elle quitta l’appartement, la fraîcheur de la nuit lui arracha un frisson. Manhattan continuait de briller, indifférente à ses doutes. Mais au fond d’elle, elle savait que cette nuit marquerait un point de non-retour.
Quelque chose venait de se déclencher. Une lumière dans l’ombre, fragile mais impossible à ignorer. Et elle ne savait toujours pas si cette lumière la sauverait… ou la consumerait.
Iris descendit les marches métalliques de l’immeuble, ses pensées virevoltant comme des éclats de verre brisé. Chaque mot d’Elliot résonnait encore dans son esprit, menaçant de noyer le fragile équilibre qu’elle tentait de maintenir. Les rues de Manhattan, habituellement un refuge où elle pouvait se perdre, semblaient soudain hostiles, pleines d’yeux invisibles et de murmures inaudibles.
Elle resserra son manteau autour de ses épaules, cherchant à se protéger autant du froid que du poids de ses réflexions. Les talons de ses bottes frappaient le trottoir, rythmant un battement qu’elle espérait apaisant. Mais rien ne semblait suffire à calmer le tumulte en elle.
Alors qu’elle marchait, son téléphone vibra dans sa poche. Elle le sortit et vit un message de Serena.
Serena : Où es-tu ? Tu vas bien ?
Elle hésita avant de répondre, consciente que Serena était l’une des seules personnes à réellement s’inquiéter pour elle. Mais après la soirée qu’elle venait de passer, elle doutait de pouvoir lui raconter tout ce qui s’était passé sans raviver de nouvelles tensions.
Iris : Je suis rentrée. Besoin d’un peu de calme. On se parle demain.
La réponse de Serena arriva presque instantanément.
Serena : Calme ? Avec Grayson dans l’équation, ça n’existe pas. Fais attention, Wolfe. S’il te pousse trop loin, appelle-moi. N’importe quand.
Iris rangea son téléphone, touchée par l’inquiétude de son amie mais incapable de répondre. Elle avait l’impression d’être coincée entre deux forces opposées, deux vérités inconciliables, et elle ne savait pas encore laquelle croire.
Iris remonta les marches qui menaient à son loft, le cœur lourd et l’esprit embrouillé. L’air frais de la nuit n’avait pas réussi à dissiper le malaise qui l’habitait depuis qu’elle avait quitté la pièce secrète d’Elliot. Ce lieu, avec ses murs tapissés de secrets, ses photos, ses vidéos… cette pièce où elle avait vu des fragments de la vie de Serena exposés comme des trophées. Mais ce n’était pas seulement Serena. Il y avait aussi des preuves qu’elle-même était déjà sous l’œil attentif d’Elliot.
Lorsqu’elle poussa la porte de son loft, une vague de familiarité mêlée à une étrange étrangeté l’envahit. C’était son espace, son refuge, mais ce soir, il lui semblait étranger. Chaque ombre dansait de manière inquiétante sous la lumière tamisée. Elle verrouilla la porte derrière elle avec un soupir nerveux, puis laissa tomber son sac sur le canapé.
Elle se dirigea vers la cuisine, ouvrit une bouteille de vin rouge et se servit un verre, espérant que l’alcool calmerait le tumulte de ses pensées. Alors qu’elle buvait une gorgée, elle laissa ses yeux errer sur la pièce. Les souvenirs de la soirée précédente refaisaient surface. La façon dont Elliot lui avait parlé, ses mots soigneusement choisis, insinuants. Et cette pièce…
Pourquoi Serena ne m’a jamais parlé de ça ? se demanda-t-elle. Pourquoi m’a-t-elle caché qu’elle était liée à lui de cette façon ?
Mais au fond d’elle, Iris savait qu’elle ne pouvait pas blâmer uniquement Serena. Elle-même s’était laissée attirer dans cette toile. Peut-être parce qu’elle voulait des réponses. Peut-être parce qu’elle voulait comprendre pourquoi elle se sentait si connectée, et si méfiante, envers Serena.
Un bruit sec la tira de ses pensées. Trois coups frappés contre la porte, fermes et impatients. Elle sursauta, renversant un peu de vin sur le bord de la table.
— Qui est là ? appela-t-elle, la gorge serrée.
— C’est moi, Serena. Ouvre.
La voix était reconnaissable entre mille, mais chargée d’une urgence inhabituelle. Iris hésita, les souvenirs des mots d’Elliot revenant en boucle.
« Serena a ses raisons de me haïr. Ses blessures la guident autant que ses intentions. Elle ne te dira pas toute la vérité. Pas comme moi »
Finalement, elle tourna le verrou et ouvrit la porte. Serena entra précipitamment, son manteau à moitié déboutonné, ses cheveux roux décoiffés, et une expression fébrile sur le visage.
— On doit parler, dit-elle d’emblée, sa voix tremblante mais ferme.
— Serena, tu ne peux pas débarquer ici comme ça, protesta Iris en refermant la porte. J’ai besoin de temps pour réfléchir.
Serena tourna sur elle-même, la regardant avec une intensité qui fit reculer Iris d’un pas.
— Réfléchir à quoi ? À ce qu’Elliot t’a raconté ? demanda-t-elle, son ton oscillant entre colère et désespoir. Tu crois vraiment que tu peux te fier à ce type ?
Iris sentit la tension monter. Elle posa son verre sur la table, les mains tremblantes.
— Et toi, Serena ? Pourquoi je devrais te faire confiance alors que tu ne m’as jamais parlé de tout ça ? Pourquoi ton visage était-il partout dans cette pièce ? Pourquoi il a quelque chose sur toi ?
Les mots claquèrent comme un coup de fouet. Serena resta immobile un instant, ses yeux verts se plissant légèrement, comme si elle encaissait le coup. Mais plutôt que de nier, elle esquissa un sourire amer, presque douloureux.
— Parce que c’est ce qu’il fait, Wolfe. Il prend ce qu’il veut, et il s’assure que tu ne puisses jamais t’échapper. Tu veux la vérité ? Il m’a brisée bien avant qu’il commence à s’intéresser à toi.
Iris ouvrit la bouche pour parler, mais Serena leva une main pour l’interrompre.
— Tu n’as aucune idée de qui est cet homme, continua-t-elle, son ton devenant plus dur. Tout ce qu’il t’a dit, tout ce qu’il t’a montré, ce n’était que pour te manipuler. Pour te retourner contre moi.
— Et pourquoi il ferait ça ? demanda Iris, la voix plus forte qu’elle ne l’avait voulu. Pourquoi il voudrait que je doute de toi ? À moins que tu ne caches des choses bien pires, Serena.
Les mots d’Iris semblèrent frapper un nerf sensible. Serena recula d’un pas, mais au lieu de se défendre, elle avança de nouveau, son regard flamboyant de colère et… autre chose.
— Tu veux vraiment savoir pourquoi ? cria-t-elle. Parce que toi, Wolfe, tu es tout ce qu’il ne peut pas contrôler. Et ça, ça me rend folle. Parce que toi… toi, tu comptes pour moi plus que tu ne devrais.
L’intensité dans sa voix fit taire Iris. Le silence s’installa, chargé de non-dits. Serena inspira profondément, comme si elle venait de dévoiler un secret qu’elle avait gardé trop longtemps. Mais avant qu’Iris puisse répondre, Serena s’approcha encore, réduisant l’espace entre elles à presque rien.
— Je ne veux pas qu’il te prenne, murmura Serena, ses yeux brillants de colère et de douleur mêlées. Je ne veux pas qu’il te détruise comme il m’a détruite.
— Serena, murmura Iris, incertaine, mais la chaleur dans son ton trahissait la confusion qui la dévorait.
Mais Serena n’attendit pas de réponse. Elle franchit les derniers centimètres et l’embrassa.
Le baiser était brusque, presque brutal, chargé d’une émotion brute que Serena ne semblait plus capable de contenir. Iris, surprise, resta figée un instant, mais la chaleur de Serena, sa proximité, son odeur… tout cela annihila ses doutes. Ses mains glissèrent instinctivement sur la taille de Serena, l’attirant un peu plus contre elle.
Pourtant, la tension de la journée ne s’évapora pas. Au contraire, elle semblait nourrir cet échange, rendant chaque geste plus urgent, chaque souffle plus court. Serena la pressa contre le mur, ses doigts s’accrochant au tissu du débardeur d’Iris, comme si elle craignait qu’elle lui échappe.
Mais Iris finit par rompre le baiser, son front appuyé contre celui de Serena, haletante. Elle chercha à reprendre son souffle, son esprit tourbillonnant d’émotions contradictoires.
— Serena… qu’est-ce que tu fais ? murmura-t-elle, sa voix tremblante.
Serena resta silencieuse un instant, ses mains toujours posées sur les hanches d’Iris. Puis elle recula légèrement, son regard brillant de larmes qu’elle refusait de laisser tomber.
— Je fais ce que je peux pour te garder hors de cette toile, Wolfe, dit-elle, sa voix rauque. Et je déteste que ça me rende comme ça. Faible. Jalouse. Mais je ne peux pas te laisser être une autre de ses victimes.
— Jalouse ? répéta Iris, ses sourcils se fronçant alors qu’elle essayait de comprendre. Serena, qu’est-ce que tu attends de moi ? Que je me méfie d’Elliot ? Que je te suive les yeux fermés ? Après tout ce que j’ai vu, comment tu veux que je sache à qui faire confiance ?
Les mots d’Iris frappèrent Serena de plein fouet. Elle recula d’un pas, comme si elle venait de recevoir une gifle. Elle passa une main nerveuse dans ses cheveux roux en bataille.
— Tu crois que c’est facile pour moi ? cracha Serena, sa voix brisée par l’émotion. De te voir te perdre dans son jeu, de savoir qu’il te surveille, qu’il t’enferme lentement dans sa toile, et de ne rien pouvoir faire ? Tu ne sais rien, Wolfe. Tu ne sais pas ce que c’est d’être tenue en laisse.
— Alors dis-moi ! répondit Iris, élevant la voix. Dis-moi tout, Serena. Arrête de tourner autour du pot et sois honnête avec moi pour une fois !
Serena se figea, puis, lentement, son regard se durcit. Elle croisa les bras, comme pour se protéger d’elle-même.
— Très bien, tu veux la vérité ? Tu l’auras, Wolfe, lâcha-t-elle, presque en défi. Quand j’avais 22 ans, Elliot m’a « aidée ». Enfin, c’est ce qu’il m’a fait croire. J’étais seule, désespérée, et il m’a offert une porte de sortie. Mais rien n’est jamais gratuit avec lui. Jamais.
— Qu’est-ce qu’il t’a demandé ? souffla Iris, redoutant la réponse.
Serena détourna les yeux, sa mâchoire serrée. Elle prit une profonde inspiration avant de répondre.
— Moi. Il voulait moi. Mon corps, mon esprit, mon obéissance. Et quand j’ai refusé… il a décidé de me posséder autrement. Il a collecté tout ce qu’il pouvait contre moi. Des photos, des vidéos… des secrets que je pensais enterrés. Maintenant, il a une pièce entière dédiée à mes erreurs, à mes faiblesses. Et toi, Wolfe… il t’y a ajoutée.
Iris sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Les souvenirs de la pièce d’Elliot lui revinrent en flashs : les images, les dossiers, les preuves. Une sensation de malaise s’insinua en elle.
— Il a des dossiers sur moi aussi, murmura-t-elle. Je les ai vus. Il sait déjà des choses… des choses que je ne lui ai jamais dites.
Serena posa une main sur le bras d’Iris, un geste hésitant mais sincère.
— Écoute-moi, Wolfe. Il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas tout pris. Il joue avec toi, il te manipule. Et moi, je ne peux pas supporter ça. Je ne veux pas qu’il te brise comme il m’a brisée.
Iris la regarda, cherchant des réponses dans ses yeux verts. Elle y vit une douleur sincère, mais aussi cette jalousie dévorante qu’elle ne pouvait ignorer.
— Pourquoi, Serena ? Pourquoi est-ce que ça compte autant pour toi ? demanda-t-elle doucement.
Serena hésita, son regard vacillant entre la peur et l’honnêteté.
— Parce que toi, Wolfe… toi, tu es la seule chose que je veux encore protéger. La seule personne qui compte pour moi. Et ça me tue de savoir qu’il est en train de te voler aussi.
Les mots frappèrent Iris de plein fouet. Elle se sentit déchirée entre la colère, la peur, et une vague d’émotion qu’elle ne savait pas nommer. Mais avant qu’elle ne puisse répondre, Serena glissa une main sur sa joue, ses doigts tremblants légèrement.
— Dis-moi que tu me crois, murmura Serena, presque suppliante. Dis-moi que tu ne le laisseras pas te détruire.
Iris resta silencieuse, mais elle n’avait pas besoin de parler. Le regard qu’elle posa sur Serena était chargé de doutes et de douleur, mais aussi d’une intensité nouvelle, une connexion qu’elle ne pouvait plus nier.
Serena recula légèrement, brisant la proximité qui les avait tenues captives. Elle passa une main dans ses cheveux roux, visiblement agitée, comme si elle venait de réaliser l’ampleur de ce qu’elle venait de révéler — et de faire.
— Je devrais partir, murmura-t-elle, sa voix plus basse, presque hésitante.
Iris, toujours appuyée contre le mur, ne répondit pas. Elle ne savait pas quoi dire, ni comment gérer les émotions contradictoires qui tourbillonnaient en elle. Serena se détourna, cherchant son manteau jeté sur une chaise. Elle l’enfila rapidement, ses mouvements brusques trahissant une nervosité qu’elle tentait de cacher.
— Wolfe, reprit-elle en se dirigeant vers la porte, sa main tremblant légèrement sur la poignée, promets-moi une chose : méfie-toi de lui. Peu importe ce qu’il te dit, ne crois jamais qu’il agisse sans arrière-pensée. Et… (elle hésita un instant avant de continuer) …protège-toi. S’il te contrôle, il contrôle tout.
Iris hocha la tête, incapable de formuler une réponse. Elle regarda Serena ouvrir la porte, la silhouette de cette dernière se découpant brièvement contre la lumière froide du couloir.
— Bonne nuit, murmura Serena avant de s’éclipser, fermant la porte derrière elle.
Le silence qui suivit était presque assourdissant. Iris resta immobile un moment, le regard fixé sur la porte close, son esprit encore hanté par les paroles de Serena. Puis, lentement, elle se redressa, ses doigts effleurant ses lèvres comme pour vérifier que ce qui venait de se passer était bien réel.
Cette nuit-là, alors qu’elle était à nouveau seule dans son loft, Iris tenta de reprendre le contrôle de ses pensées en travaillant. Mais lorsqu’elle ouvrit son ordinateur, une photo s’afficha sur l’écran, une image qui fit s’arrêter son cœur.
C’était une photo d’elle, prise à travers la fenêtre de son loft, avec un message en lettres capitales :
« ARRÊTE DE CHERCHER. TU RISQUES PLUS QUE TU NE CROIES. »
Le sang d’Iris se glaça. Ses mains tremblaient alors qu’elle referma lentement l’ordinateur, comme si ce simple geste pouvait éloigner la menace implicite de l’image. Ses pensées se bousculaient. Qui avait pris cette photo ? Et comment cette personne avait-elle pu s’approcher de son loft sans qu’elle ne s’en aperçoive ?
Un frisson parcourut son échine. L’intimité de son espace, qui avait toujours été son sanctuaire, semblait soudain violée. Elle se leva précipitamment, verrouilla toutes les fenêtres, abaissa les stores, puis revint au centre de la pièce, le souffle court.
La peur se mêlait maintenant à une colère sourde. Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Et surtout, qu’avait-elle fait pour mériter une telle menace ? Une voix intérieure lui soufflait que c’était lié à Elliot Grayson et à ce monde qu’il avait ouvert devant elle. Mais comment en être sûre ?
Les minutes s’étiraient, chaque craquement de l’appartement amplifiant son anxiété. Elle hésita à appeler Serena, mais quelque chose la retint. Et si cette dernière n’était pas en sécurité elle non plus ?
Un autre son brisa le silence. Cette fois, ce fut son téléphone qui vibra sur la table. Elle se précipita pour l’attraper. Un message.
« Si vous voulez des réponses, Greenwich Park. Demain. 20 heures. Venez seule. »
Iris sentit son cœur s’accélérer. Cette invitation, survenue juste après la menace, était-elle une coïncidence ? Elle en doutait. Tout cela faisait partie d’un puzzle qui se mettait lentement en place, mais elle ne voyait toujours pas l’image d’ensemble.
Elle ferma les yeux, inspirant profondément. La peur grondait en elle, mais un autre sentiment commençait à poindre : une détermination farouche. Peu importe les risques, elle devait savoir. Quitte à s’aventurer dans des ombres plus profondes qu’elle ne l’avait imaginé.
Iris passa la nuit à tourner en rond dans son loft, incapable de trouver le sommeil. Chaque ombre projetée par les lampadaires extérieurs sur les murs semblait prendre une forme menaçante, chaque bruit, même le plus anodin, la faisait sursauter. Son esprit ne cessait de revenir à cette image glaçante, ce message inscrit en lettres capitales qui résonnait comme une menace directe.
« Tu risques plus que tu ne croies. »
Elle savait qu’elle n’était pas prête à laisser cette peur la paralyser, mais le poids de l’incertitude la consumait. Finalement, elle se résolut à prendre une douche, espérant que l’eau chaude chasserait cette tension sourde qui enserrait sa poitrine. Ce fut peine perdue. Lorsqu’elle sortit, enveloppée dans une serviette, la même angoisse l’attendait, tapie dans l’obscurité de son appartement.
Elle s’assit sur son canapé, une tasse de thé fumant entre les mains. Les premières lueurs de l’aube commençaient à teinter le ciel de nuances d’orange et de rose, mais elles n’apportaient aucun réconfort. Elle savait ce qu’elle devait faire. Aller à ce rendez-vous. Découvrir qui se cachait derrière ces messages. Mais comment le faire sans attirer plus de danger encore ?
Ses pensées furent interrompues par une série de coups secs à sa porte. Iris se figea, son regard se portant instinctivement vers l’horloge murale. Il était à peine six heures du matin. Qui pouvait venir à cette heure ?
Elle posa sa tasse, son cœur battant à tout rompre, et s’approcha prudemment de la porte. À travers l’œilleton, elle reconnut la silhouette fine et élancée de Serena. Iris déverrouilla rapidement et ouvrit la porte, accueillant une Serena à l’air furibond.
— Wolfe, tu comptes m’expliquer pourquoi je reçois un message anonyme qui dit : « Surveille ta photographe, elle joue avec le feu » ? lança Serena en entrant comme une tempête.
Iris resta muette, à la fois surprise et soulagée de la voir.
— Qu’est-ce qui se passe ? continua Serena en croisant les bras, son regard vert perçant scrutant chaque réaction d’Iris. Je t’avais dit de faire attention avec Grayson, mais là, ça dépasse tout ce que j’avais imaginé.
Iris hésita une seconde, puis se dirigea vers son ordinateur. Elle l’ouvrit et montra la photo à Serena. Cette dernière resta silencieuse, ses traits se durcissant alors qu’elle lisait le message.
— Merde, murmura Serena. C’est sérieux. Très sérieux.
— Je sais, répondit Iris d’une voix tremblante. Et je ne sais pas quoi faire.
Serena se tourna vers elle, son expression empreinte d’une détermination glaciale.
— Écoute-moi bien, Wolfe. Ces gens, qui qu’ils soient, jouent un jeu dangereux. Mais si tu veux aller à ce rendez-vous, tu ne seras pas seule. Je viens avec toi.
— Ils m’ont dit de venir seule, objecta Iris, serrant les poings. Si tu te montres, ça pourrait aggraver la situation.
Serena haussa un sourcil, un sourire en coin se dessinant sur son visage.
— Tu crois que je vais me planter devant eux en criant «coucou, je suis là» ? Non. Je resterai à distance, mais je serai là pour te couvrir au cas où ça tourne mal.
Iris soupira, sachant qu’il serait vain de protester. Serena était aussi têtue qu’elle, si ce n’était plus.
— Très bien. Mais promets-moi de rester discrète.
— Promis, dit Serena, bien que le ton de sa voix laissât entendre qu’elle en ferait à sa tête si la situation l’exigeait. Maintenant, repose-toi. Ce soir, on plonge dans l’inconnu.
Le reste de la journée se déroula dans un étrange mélange de tension et de calme apparent. Iris s’efforça de rester occupée, mais chaque instant semblait étiré par l’anticipation de ce qui l’attendait. Le coucher du soleil arriva plus vite qu’elle ne l’avait imaginé, et avec lui, une nervosité presque insupportable.
À 19h30, Serena était de retour, vêtue de noir et armée d’une assurance désarmante.
— Tu es prête ? demanda-t-elle.
Iris hocha la tête, bien qu’elle ne se soit jamais sentie aussi incertaine.
— On y va.
Les deux femmes quittèrent l’appartement et prirent un taxi jusqu’à Greenwich Park. La route se déroula dans un silence tendu, ponctué seulement par le bruit des essuie-glaces et le murmure lointain de la radio du chauffeur. Une fois arrivées, Serena se posta dans un coin sombre, un téléphone à la main, tandis qu’Iris avançait seule dans le parc.
Les lumières des lampadaires vacillaient légèrement, et chaque pas d’Iris résonnait sur le gravier humide. Une silhouette se découpa bientôt dans l’obscurité, assise sur un banc près de la fontaine centrale.
Elle inspira profondément avant de s’approcher, son cœur battant à tout rompre. C’était le moment de découvrir la vérité.
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