CHAPITRE 10 : Le choix final

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Le silence dans la pièce était presque assourdissant, un vide si intense qu’il semblait amplifier chaque battement de cœur d’Iris. Son regard balayait la pièce, captant chaque détail : la lumière froide d’un néon scintillant au plafond, l’ombre imposante d’un tableau accroché derrière Elliot, comme une présence silencieuse qui observait. Elle sentait son pouls résonner dans ses tempes, comme si son propre corps tentait de crier à travers l’immobilité. Les murs, d’un blanc immaculé, semblaient refléter une froideur presque clinique, contrastant avec la chaleur bouillonnante qui montait en elle.

Autour d’elle, l’air était chargé d’une tension électrique. D’un côté, Elliot, imposant et immaculé dans son costume sombre, avec cette aura de contrôle et de pouvoir hypnotique. Il ne semblait pas seulement dominer la pièce, mais en absorber toute la lumière, laissant les autres dans l’ombre. Pourtant, derrière ce masque de contrôle, une ombre passa dans son regard, brève mais suffisamment marquée pour qu’Iris l’attrape. Une faiblesse ? Un regret ? Elle n’aurait su dire, mais cela lui donna un frisson de satisfaction fugace.

« Il n’a pas toujours été ainsi », pensa-t-elle, comme si, pendant un instant, Elliot s’était lui-même trahi. Elle se rappela leur première rencontre, dans une galerie bondée où il avait tendu la main vers elle, son sourire énigmatique dissimulant une intensité qui l’avait à la fois fascinée et mise mal à l’aise.

De l’autre, Marcus, le regard sombre et fuyant, un homme qui l’avait avertie à plusieurs reprises sans jamais révéler ses véritables intentions. Il était un paradoxe à lui seul : à la fois protecteur et distant, comme s’il portait sur ses épaules un poids invisible. Iris se demanda brièvement ce qui le liait si profondément à Elliot et pourquoi il semblait si déterminé à l’en protéger.

Elle inspira profondément, fermant brièvement les yeux dans une tentative désespérée de calmer le tumulte de ses pensées. Quand elle parla enfin, sa voix brisa le silence comme un éclat de verre.

— Vous parlez tous les deux de potentiel, de vérités et d’art, mais tout ce que je vois, ce sont des manipulations. Je ne suis pas ici pour être un pion dans vos jeux.

Elle ouvrit les yeux et fixa Elliot avec une intensité qui lui était inhabituelle. Pour une fraction de seconde, une lueur d’intérêt passa dans ses yeux perçants, mais il garda son visage impassible, presque bienveillant, comme s’il saluait une audace qu’il avait lui-même cultivée.

— Iris, tu es bien plus qu’un pion, répondit-il doucement, sa voix basse et mesurée. Tu es un catalyseur. Mais un catalyseur doit être guidé, sinon il se perd dans sa propre énergie.

Iris sentit une bouffée de colère monter en elle. Elle fit un pas en avant, le regard flamboyant.

— Guidé ? reprit-elle, son ton plus mordant. Tu veux dire contrôlé. Tu veux modeler mes œuvres, mes choix, et peut-être même ma vie, pour qu’ils servent tes intérêts.

Elliot esquissa un sourire fin, l’ombre d’une moquerie sur ses lèvres. Mais il ne nia pas. Au lieu de cela, il pencha légèrement la tête, comme pour l’inviter à continuer.

— Tu ne comprends pas, Iris, dit-il finalement, son ton presque paternel. Le chaos que tu crées est beau, mais brut. Ce que je propose, c’est de le transformer en quelque chose d’éternel, de significatif. Avec mon aide, tes œuvres transcenderont le temps.

Avant qu’Iris ne puisse répondre, Marcus intervint, sa voix plus dure qu’elle ne l’avait encore entendue.

— Éternel ? Vraiment, Grayson ? Comme ces autres artistes que vous avez détruits ? Vous les avez poussés jusqu’à leur point de rupture, vidés de leur essence, puis abandonnés. Tout ça pour quoi ? Pour votre vision égoïste de ce que l’art devrait être ?

Elliot rit doucement, presque amusé par l’accusation. Il croisa les bras, son regard moqueur fixé sur Marcus.

— Toujours aussi dramatique, Marcus. Mais vous oubliez de mentionner qu’ils ont aussi connu le succès grâce à moi. Sans moi, ils seraient restés dans l’obscurité, leurs talents gaspillés dans des ruelles sombres et des galeries oubliées.

Marcus fit un pas en avant, serrant les poings. Sa silhouette, bien que moins imposante que celle d’Elliot, irradiait une colère contenue.

— Et combien d’entre eux sont encore là pour en parler ? Combien ont vu leur carrière et leur vie brisées ? Vous ne leur avez pas offert une chance, Grayson. Vous leur avez tendu un piège.

La tension dans la pièce monta d’un cran, comme une corde tendue sur le point de se rompre. Iris sentit un vertige s’emparer d’elle, comme si les mots qu’elle venait de prononcer n’étaient qu’un écho lointain de sa propre voix. Elle détourna les yeux un instant, incapable de soutenir plus longtemps leurs regards oppressants. Tout en elle criait à la fuite, mais une autre voix, plus ancrée, plus calme, la retenait. Pourquoi était-elle là ? Elle le savait, mais les questions revenaient en boucle, s’entrelassant avec les doutes qu’elle n’osait avouer.

Dans son esprit, des images surgissaient. Elle revoyait son petit atelier, une pièce minuscule envahie par les toiles et l’odeur persistante de peinture fraîche. C’était là qu’elle avait découvert son amour pour la création, loin des attentes et des regards critiques. Elle se rappela ses premières expositions, modestes mais intenses, où chaque œuvre semblait hurler une vérité brute. C’était ça qu’elle voulait : créer des œuvres qui parlaient d’elle, de son monde, sans compromis ni filtres.

Mais ici, sous le regard scrutateur d’Elliot, tout semblait différent. Chaque mot qu’il prononçait, chaque geste qu’il esquissait, était une tentative de la façonner, de transformer son art en un outil pour ses propres ambitions. Et Marcus, bien qu’apparemment protecteur, n’était pas si différent. Quel rôle jouait-il vraiment dans ce jeu tordu ? Était-il un allié, ou seulement un autre acteur de cette mascarade ?

Elle se tourna vers Elliot, son regard dur et déterminé.

— Tu veux que je travaille pour toi ? Très bien. Mais je le ferai à mes conditions. Pas les tiennes.

Elliot haussa un sourcil, visiblement intrigué par sa déclaration. Il s’avança légèrement, ses chaussures brillantes crissant sur le sol poli. Son sourire, bien que subtil, portait une nuance de triomphe.

— Tes conditions ? Et qu’est-ce que cela implique, Iris ?

Iris se redressa, le menton haut.

— Pas de contraintes, dit-elle fermement. Pas de censure. Je choisis les sujets. Je contrôle les résultats. Si tu essaies de changer une seule chose, je me retire.

Un silence tendu suivit ses paroles. Elliot l’observa longuement, comme s’il évaluait chaque mot qu’elle avait prononcé. Enfin, il hocha légèrement la tête, un éclat indéchiffrable dans les yeux.

— Très bien, dit-il finalement. Je respecte ton audace. Mais souviens-toi : le contrôle est une illusion. Même les artistes les plus libres sont influencés par leur environnement, par les attentes… ou par leurs peurs.

Marcus s’avança, son ton plus dur et protecteur.

— Vous ne pouvez pas la manipuler, Grayson. Pas comme les autres.

Elliot ne répondit pas, se contentant de fixer Iris avec une intensité troublante.

— Vous avez fait votre choix, Miss Wolfe, murmura-t-il en se tournant vers Marcus. Mais souvenez-vous, Marcus : ce n’est pas à vous de dicter ses décisions.

Il adressa un sourire froid à Marcus avant de reporter son attention sur Iris.

— Tu as fait ton choix, Iris. J’espère que tu es prête à en accepter les conséquences.

Après ce moment tendu, Elliot quitta la pièce, ses pas résonnant dans le couloir jusqu’à disparaître. Le silence qui suivit était lourd, presque suffocant. Marcus se tourna vers elle, son expression mêlant inquiétude et admiration.

— Vous êtes plus courageuse que je ne le pensais, Miss Wolfe, dit-il doucement. Mais vous venez de vous embarquer dans quelque chose de bien plus grand que vous.

Iris soutint son regard, une lueur de défi dans les yeux.

— Je sais, répondit-elle, sa voix basse mais déterminée. Mais je refuse de rester passive pendant qu’il essaie de m’utiliser.

Marcus hocha la tête, mais son visage resta sombre.

— Alors soyez prudente. Grayson ne tolère pas qu’on lui tienne tête. Et croyez-moi, il a des moyens de vous faire plier.

Iris soutint le regard de Marcus, sa respiration encore légèrement saccadée par la tension qui flottait dans l’air.

— Si vous craignez pour moi, Marcus, pourquoi ne pas m’aider vraiment ? finit-elle par dire, ses mots coupant le silence. Dites-moi ce que je dois savoir pour faire face à Grayson.

Marcus hésita. Ses traits, d’ordinaire impassibles, se tordirent légèrement, comme si une bataille intérieure faisait rage en lui. Enfin, il soupira et croisa les bras, son regard s’assombrissant encore.

— Vous voulez des réponses ? Très bien, mais elles ne vous plairont pas. Grayson n’est pas seulement un mécène ou un homme d’affaires. Il construit des empires sur des mensonges et des failles qu’il détecte chez les autres. L’Observatory est le centre de tout cela.

Iris haussa les sourcils, le cœur battant un peu plus vite.

— Le centre ? Que voulez-vous dire ?

Marcus s’approcha d’elle, baissant légèrement la voix, comme s’il craignait d’être entendu, même ici.

— Chaque artiste qu’il attire là-bas est plus qu’un créateur. Grayson cherche à contrôler non seulement leurs œuvres, mais ce qu’ils représentent. Il collecte des secrets, il apprend leurs vulnérabilités, et il les utilise pour étendre son influence. Ceux qui résistent... disparaissent.

Ces derniers mots firent frissonner Iris. Elle croisa les bras, essayant de masquer son malaise.

— Disparaissent ? Vous exagérez, Marcus.

Il secoua lentement la tête, un sourire triste étirant ses lèvres.

— Si seulement. J’ai vu ce qu’il fait, Miss Wolfe. Des artistes ruinés, psychologiquement brisés, certains poussés à des extrémités irréversibles. Grayson ne tolère pas l’échec, et il ne pardonne pas la désobéissance. C’est pour cela que je vous avertis : soyez prudente. Vous êtes talentueuse, oui. Mais pour lui, c’est une arme, pas une qualité.

Iris prit une inspiration tremblante, essayant de digérer ce qu’il venait de lui révéler. Ses pensées s’entremêlaient, des bribes de conversations passées avec Elliot revenant à la surface, teintées d’un nouveau sens. Mais quelque chose ne collait pas.

— Pourquoi m’avoir laissée entrer dans ce monde, alors ? Pourquoi ne pas m’empêcher de signer cet accord ? demanda-t-elle finalement, sa voix tremblante mais ferme.

Marcus détourna brièvement le regard, comme s’il cherchait ses mots. Lorsqu’il parla enfin, sa voix était plus douce, presque emplie de regret.

— Parce que je ne pouvais pas vous en empêcher. Vous êtes différente, Miss Wolfe. Vous avez une force que je n’ai pas vue chez les autres. Peut-être que, cette fois, il a trouvé quelqu’un qui pourra le défier. Mais cela viendra à un prix.

— Quel prix ? répliqua Iris, son ton se durcissant malgré la peur qui bouillait en elle.

Marcus se redressa légèrement, comme pour se protéger de sa propre réponse.

— Celui de votre liberté. Peut-être même de votre vie.

Un frisson parcourut Iris, mais elle refusa de détourner les yeux. Au lieu de cela, elle se redressa, croisant les bras comme pour se protéger de ces mots lourds de menaces.

— Si vous pensez que je vais fuir, vous vous trompez, Marcus. Je ne suis pas là pour jouer son jeu, ni le vôtre d’ailleurs. Je suis ici pour faire ce que je sais faire de mieux. Créer.

Un éclair d’admiration traversa le regard de Marcus, mais il hocha lentement la tête.

— Très bien, Miss Wolfe. Mais rappelez-vous ce que je vous ai dit : chaque décision dans ce monde entraîne des conséquences. Et avec Grayson, elles ne sont jamais anodines.

Il s’apprêta à quitter la pièce, mais s’arrêta juste avant d’atteindre la porte. Il se retourna une dernière fois, son regard grave.

— Une dernière chose : méfiez-vous des offres trop généreuses. Elles cachent toujours des chaînes.

Puis il disparut, laissant Iris seule dans la pièce, le poids de ses paroles suspendu dans l’air. Elle se laissa tomber sur une chaise, son esprit envahi par les implications de ce qu’elle venait d’apprendre. L’Observatory, Elliot, Marcus... Chaque pièce du puzzle semblait plus complexe qu’elle ne l’avait imaginé.

Elle sortit son carnet, le regard fixé sur la page blanche. Un crayon entre les doigts, elle griffonna rapidement quelques notes, des pensées décousues qui formaient les prémices d’un plan. Si elle devait se battre contre Grayson, elle le ferait à sa manière, en contrôlant son art, son histoire. Mais une seule question la hantait : pouvait-elle réellement rester libre dans un monde où tout semblait conçu pour l’emprisonner ?

Iris resta encore un moment immobile, fixant la page blanche de son carnet. Les mots de Marcus tournaient dans sa tête comme une spirale, alimentant autant sa peur que sa détermination. Elle referma brusquement le carnet, le rangea dans son sac, et se leva. L’air de la pièce semblait étouffant, saturé des tensions qui venaient de s’y dérouler. Elle avait besoin de respirer, de s’éloigner, même temporairement, de cet endroit.

En traversant les couloirs silencieux de l’Observatory, elle sentait presque les murs l’observer, imprégnés de l’énergie des artistes passés. Les œuvres accrochées ici et là – des peintures, des photographies, des sculptures – semblaient la fixer, chacune racontant une histoire d’ambition et, peut-être, de désillusion.

Arrivée au grand hall, elle s’arrêta un instant. La lumière tamisée jouait sur les colonnes de marbre, et une grande horloge murale égrenait les secondes d’un tic-tac régulier, presque hypnotique. Iris leva les yeux vers le plafond, une coupole de verre qui laissait entrevoir les étoiles brillantes d’une nuit froide. Elle inspira profondément, rassemblant ses forces. C’était un lieu de pouvoir, magnifique et oppressant, un sanctuaire pour certains, une cage pour d’autres.

Elle franchit les grandes portes avec une lenteur presque cérémonieuse. L’air nocturne s’engouffra immédiatement, froid et piquant contre sa peau. Les rues de Manhattan s’étendaient devant elle, baignées de la lumière tremblante des réverbères et des reflets des néons lointains. Chaque pas résonnait légèrement sur les pavés, une cadence qui semblait marquer un nouveau chapitre.

Iris s’arrêta un instant en bas des marches de l’Observatory, tournant la tête pour observer l’imposante façade de verre et d’acier derrière elle. C’était un lieu qui promettait des rêves et des cauchemars en même temps. Mais elle ne reculerait pas. Pas maintenant.

Elle resserra la sangle de son sac sur son épaule, les doigts crispés autour de la lanière. Une voiture passa dans la rue, éclaboussant les pavés d’une lumière éphémère, et un vent glacial souleva une mèche de cheveux devant son visage. Elle la repoussa d’un geste vif, presque enragé. Marcus avait raison sur une chose : Elliot était dangereux. Mais elle refusait d’être une victime.

Ses pas reprirent, plus déterminés cette fois. Tandis qu’elle s’éloignait, son esprit s’emplissait déjà d’idées, de plans, et de fragments d’images qu’elle voulait capturer. L’art serait son arme, et si l’Observatory devait devenir une toile d’araignée, elle en ferait son terrain de jeu.

Un murmure dans le vent sembla l’appeler, ou peut-être était-ce son imagination. Elle tourna une dernière fois la tête vers l’édifice. Dans la lumière lointaine, elle crut apercevoir une silhouette, debout derrière une fenêtre du dernier étage. Elliot ? Marcus ? Elle ne pouvait pas le dire. Mais cela n’avait pas d’importance. Ils regarderaient, ils attendraient… et ils verraient ce dont elle était capable.

Sans un mot de plus, elle tourna les talons et disparut dans la nuit new-yorkaise, emportant avec elle ses doutes, ses peurs, et une promesse silencieuse : elle écrirait les règles de ce jeu. Et elle les changerait à jamais.

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