VIII

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La famille Polic finit par en faire de même et regagna son domicile, le moral fléchi par la honte. Le trajet du retour s'écoula dans une aphonie glaciale. Comme la soirée qui suivit : dîner expéditif, séance de lecture isolée, coucher sans bruit. Même Abel se montra plus quiet qu'à l'habituée. Dans cette ambiance lugubre, les vieux murs de la maison virent renaître en leur sein le malheur qui les avait gangrénés. Astringent et mortifère, ainsi que la survivance d'une plaie infectée.

Jean aurait voulu ouvrir le dialogue et plaider sa cause, mais, perclus de remords, ses lèvres demeurèrent scellées jusqu'à ce qu'il enfonçât sa tête dans l'oreiller. Le sommeil allait l'emporter ; seule une poignée de secondes lui offrait encore d'agir en accord avec ce que sa conscience exigeait. Il n'avait qu'à dépasser sa culpabilité orgueilleuse,

Quel orgueil ? Celui du brave qui a tout fait pour protéger son enfant ? On prête ce péché au Diable ; que nous reste-t-il, le cas échéant, à nous simples humains ? De quel bien se faire les légitimes bénéficiaires quand tous les diables sortent des profondeurs pour marcher à nos côtés ?

Il ne me reste qu'eux. Leur présence, leur affection… Hélène, Hélène, écoute-moi, je t'en supplie.

Il ouvrit la bouche, mais ses mots furent endigués par le frémissement subit des édredons. Hélène, qui jusqu'alors lui tournait le dos, bougeait enfin. Impossible de discerner ses mouvements sous le voile de ténèbres que même le regard curieux de la Lune ne traversait, cependant le relâchement des draps à son flanc indiquait qu'elle se retournait en douceur. La bosse de son épaule descendit sous les tissus ; à la surface du couvre-lit, le bruissement d'une main se fit entendre, accompagné d'expirations langoureuses. En un instant, cinq doigts cajolèrent la cuisse de Jean. Ils en pianotèrent la peau, remontèrent jusqu'aux bords flottants d'un caleçon de nuit sous lesquels ils se faufilèrent pour gagner la région de l'aine, humide et chaude.

Noyée dans les remous de l'ombre, Hélène enveloppa la verge apathique de Jean, qui promptement s'unit à la ligne de ses doigts. Tant de mois s'étaient écoulés depuis la dernière fois, des mois lointains pour des plaisirs lointains. Sous les phalanges d'Hélène, Ô Hélène, s'embrasait la volupté affamée, l'appétit grondant.

L'étreinte se renforça, elle alterna entre tendresse et passion. Sensuelle, lascive ; Ô Hélène, vestale, néréide, succube ; impudique, hérétique, envoûtante, obsédante…

Monstrueuse transcendance, elle le dévore jusqu'à la pulpe, jusqu'à la moelle, au noyau de son âme ; dénude ce corps de poussière d'où elle arrache la part céleste que les anges convoitent et que légions de créatures ont œuvré à détruire de leurs ongles d'azote. Enivré par le venin que ces mains sur son membre distillent, et c'est l'agonie la plus suave à laquelle il se livre avec rage. Agonie ! Agonie ! Oh ! que ne peut-il mourir de sa belle mort sous ces mains ? Il succombe pourtant. Ce râle, de sa bouche exhalé, n'est autre que l'écho de son glas. Goutte après goutte, docile esclave sent l'essence de la vie ruisseler hors de ses veines palpitantes dont le bleu s'efface, s'efface sous un liseré rubicond. Et à la catin parée de lumière de le sucer de la pointe d'une lippe juteuse. Telle est son eucharistie.
Quant à lui, voilà qu'il tombe à genoux. Il tombe, ce fortuné martyr, et de son poitrail jaillissent tristes suppliques : « À la coupe de mon corps, pour toi arqué et tendu, porte tes lèvres voraces. Bois, présage obscur descendu de l'Olympe ; bois ce bon, ce divin nectar ; goûte, ô toi ma Prêtresse, et délecte-toi du sucre interdit de ma substance. Ton nom est Femme, et ton sein porte les stigmates dévolus à ta race infâme et infinie, basse et bénie. Femme, je ne vis plus, ne m'endors que sur le souvenir que ton image daignera m'offrir. Baise-moi, bois-moi, dévore-moi ! Si tout me fuit comme un vain songe, ainsi soit-il. Je dormirai du sommeil du juste. »

Sous la ronde des frôlements, l'extase découvrit son visage, et le corps de Jean fut submergé d'une vague de plaisir brûlant, pareil à un liquide empoisonné coulé dans son réseau veineux. Il en innerva chaque fibre de chaque ongle et chaque cheveu. Le cœur fut pris de vertiges. Et cette petite Mort, impropre à plus longtemps cacher son sourire, l'alimenta à son mamelon. L'extase, et derrière le brouillard amnésique disparurent pour une minute les vieux démons.

Le moment venu, Jean se libéra à contrecœur de sa langueur post-éjaculatoire et des doigts collants. Les ténèbres régnaient toujours sur la chambre, mais leur opacité s'essoufflait à mesure qu'il rassemblait ses esprits. Ce retour progressif à l'instant présent le troubla. Plus de draps pour l'envelopper, plus de souffle à son oreille ; Hélène n'était pas à sa gauche, sur lui ne laissait plus courir sa coquinerie. La fraicheur du parquet sous ses pieds lui confirma son impression : il se tenait debout, dans la chambre. Ses pupilles s'habituèrent à la pénombre, en sorte qu'elles distinguèrent par étape les contours des meubles à proximité. Dans son dos, le lit. Devant lui, le berceau d'Abel.

Jean dominait le bambin, lequel dormait en paix, sa petite tête tournée vers son père. Le sommier de l'enfant était suspendu à moins d'un mètre au-dessus du sol, à hauteur de la partie inférieure du corps de Jean. Celui-ci fixa des yeux ronds sur son entre-jambe, sur l'absence de caleçon, descendu au bord des rotules. Sur la vive érection qu'il empalmait fermement.
Sa verge, dressée sous le nez d'Abel, pulsait, palpitait et dans l'air s'agitait telle la queue fourchue de Méphistophélès. Si proche du berceau et pleine de sang, il n'aurait suffi que d'un balancement des hanches pour l'introduire entre deux barreaux. Pour atteindre Abel. Le toucher, et pour un peu le rappeler à son origine. Son eucharistie.

Jean sentit la passion se ruer hors de ses organes. Son flux se vit étrangler par une abomination glacée.

Un éclat de lumière en provenance de la tête de lit le détourna du berceau. Son état de choc fut tel qu'il ne songea pas à remonter son vêtement de nuit. Il se présenta à Hélène le vit turgescent et l'air effaré. Elle l'observait à moitié redressée, en équilibre sur un bras prêt à flancher, agrippant le drap qui, sous la crispation intense de ses doigts, se plissait sur toute la longueur. Sous le faisceau de la lampe de chevet, les rides de son visage se marquèrent avec force ; profonds sillons noirs que l'on eût peints à même la toile vierge et tendue de sa jeune peau. Toute la répugnance que la scène faisait germer en sa poitrine suintait de ses yeux écarquillés et sa moue insonore. La bouche vide. Il n'était pas de terme assez fort ni juste pour traduire l'épouvante que lui inspirait à ce moment, en ce lieu, cet homme.

Quand bien même ce mot existât, Jean n'attendit pas de l'entendre. Il se rhabilla sur-le-champ, attrapa le duvet à l'extrémité du lit puis se précipita hors de la chambre, rallier la pièce de vie. Là-bas, il se recroquevilla sur le divan, laissa le rembourrage du dossier épouser la courbure de son dos, le crâne coincé dans un angle. Sur son buste, replia ses genoux, puis voilà la coquille de son corps sous le linge de chambre. Cachés, lui et sa honte. Le duvet n'y faisait rien ; le contact glacial du canapé lui brûlait l'épiderme.

Couche de moindre confort, elle était encore trop noble pour lui. Un canapé ? une couverture ? et quoi encore, des coussins ? Il est des chien qui ne jouissent pas de tels privilèges. Ses actes le destinaient au plancher, à la boue, à la pierre. La poussière où cendrer son ignominie. Il ne l'ignorait ni ne le niait. Conscient de la pleine horreur de son geste, il n'appelait à aucune clémence, que même sa sincère confusion ne lui décrocherait pas. Plus aujourd'hui.

Les heures filèrent, balayées par un tourbillon d'interrogations et d'invectives embrouillées auxquelles la seconde voix se dut de donner la réplique : C'était pourtant sa main, pas la mienne… À quel moment ai-je quitté le lit ? Et Abel ! Mon Dieu, je suis un dépravé. Hélène… Hélène va me chasser ; elle va le faire, elle me déteste maintenant, et à raison.

Tu n'as pourtant pas voulu ça.

Si c'était du somnambulisme ? Si j'étais malade ?

Tu désirerais sexuellement ton propre bébé ? Ton Ça serait donc plus malfaisant et incontrôlable que tu ne l'aurais cru.

Surgit la vision d'une substance marécageuse macérant au fond de Jean. Quelque part entre ses poumons et viscères. Tourbe au fumet méphitique, ses clapotis libéraient leurs vapeurs dont les spores intoxiquaient le corps du malade. Le poison colonisant son être fongoïde et dissolu, aux teintes de cendres mortes. Seigneur… C'est… Je suis répugnant !

Fi ! peut-être n'est-ce là qu'une méprise engendrée par une pollution nocturne tout ce qu'il y a de plus classique ? Tu ne te serais levé qu'en vue de gagner la salle de bain et d'y achever ton petit plaisir solitaire. À demi conscient, tu aurais alors eu l'impression de quitter la pièce.

Personne n'y croira jamais. C'est beaucoup trop, surtout après ce qui s'est passé hier. Elle ne me le pardonnera pas, elle va me jeter dehors !

Pire, elle avancera que tu es fou. Instable et dangereux, trop dangereux pour ton enfant.

Fou… Je ne sais plus. Je perds la mémoire, je vois des choses, tout du moins je crois voire des choses qui ne sont sans doute pas là. Ça ne concerne pas seulement Baubas. Il y a cette image sans couleur, partout, dans les reflets que je croise, elle me traque et m'observe avec ses yeux brillants. Et j'entends sa voix, cette voix dans ma tête. Elle resurgit toujours, comme si elle vivait dans mon cerveau. Ce n'est pas la mienne, ce ne sont pas mes mots… Qu'est-ce que c'est que cette chose ?

Ah… Elle

Qu'est-ce que tu es ?

Elle est la peur qui rampe contre ton échine, la peine au fond de ta poitrine. Elle représente cette souffrance dont tu ne sais te départir, la nécrose d'une névrose que tu ne peux plus fuir. On l'appelle « inconscience », le petit être au fond de la fiole fêlée de ton crâne ; un marasme de primaires pulsions, abstraction cauchemardesque qui insidieusement prend forme dans les décombres de tes traumatismes. Elle est le chœur de l'angoisse, le chant du chaos. Mais qu'importe, au fond : elle est toi. Si elle peut mener à nombre d'actes irrationnels, cela ne fait pas de toi un être insane pour autant. Où tu portes ton regard, elle t'observe en retour. Elle n'est rien, mais elle est tout, nulle part et partout, car tout est dans tout. La renier, c'est s'incliner, la haïr revient à la chérir, et elle t'aime en retour. Elle t'aime homme, t'aime charogne. C'est ton tout, à toi qui ne t'emplis plus de rien. Ah tu fuis, mais saches qu'il est déjà trop tard puisque, pareilles aux deux serpents d'un caducée, vos existences s'entremêlent autour d'un même axe de vie. Vois-tu, comme l'horreur dépasse les frontières de l'esprit ? comme l'intelligible fusionne dans une atroce étreinte avec le sensible ?

Dans cette maison…

Oui, cette maison. Elle catalyse l'évocation de tous les spectres. Nous le savons, depuis le premier jour, avant-même notre retour ici : quelque chose se meut derrière ces murs. Appelle cela une influence, une onde, un fantôme ; le fait est qu'il y gît chose sinistre et malsaine, un sentiment oppressif qui tourmenterait les plus solides guerriers et briserait l'esprit des sages. Souviens-toi que tous en ces terres redoutent la maison, fuient sa façade de pierre et son jardin en jachère. Les racines de la peur festonnent ici. Hélène le ressent, Abel le ressent, tout comme toi, première et ultime victime.

Victime ?

Glissée sous la couverture, une main vint enlacer la sienne, une main grise et poreuse mais de laquelle émanait une sensation familière. Et toujours parlait la voix.

Nous avons tant saigné. Ta mémoire a peut-être occulté les détails de cette tragédie, il n'empêche que ceux-ci ont laissé une trace que rien ne semble pouvoir effacer. Cependant, ton statut de victime ne te prive pas de celui de survivant que tu te dois d'endosser. N'autorise pas cette crainte à poursuivre son cheminement et gagner droit de citer au fond de ton crâne ; ne permets pas au lépreux d'assurer sa domination sur toi. Surtout, ne laisse pas Hélène travestir ta lutte en vulgaire maladie. C'est bien ainsi qu'elle te la présentera. Ah, mais ce n'est nullement de sa faute ; elle ne peut rien connaître de ton combat. Brave et tendre, ignorante brave et douce Hélèèèèène…

Brave et douce Hélène.

Au lendemain, après un repos étrillé de deux malheureuses heures, Jean ouvrit les yeux sur un plafond strié des teintes rosées de l'aube. Avec amertume, il y retraça les événements de la veille. Poussés précautionneusement vers l'avant, comme soulevés par une paisible écume, ses souvenirs lui revinrent, entrecoupés d'insaisissables zones d'ombre rendues au grand large.
Un regard à la fenêtre. Au-dehors, le temps était écrasant. L'air ambiant saturé d'eau, le vent viré à l'Est. Une tempête s'annonçait. Sitôt les lueurs du jour apparues, elles furent chassées par le voile brumeux et grisâtre d'une horde nuageuse qui déjà engloutissait les cimes des pins perchés sur les plus hautes collines. Aux tréfonds de leurs entrailles aqueuses grondait la fureur de l'orage conquérant.

Lorsqu'enfin, passé dix heures trente, Hélène traversa le corridor, les bruits successifs de ses pas sur le bois des lattes éclatèrent comme autant de coups de tonnerre. Elle s'était préparée, lavée et maquillée, poussant la coquetterie jusque dans ses plus extrêmes retranchements, exposant ses jambes sous une jupe courte à faire défaillir un évêque, qu'elle arborait comme d'autres le font d'une médaille militaire. Elle était la gracieuse Hélène prénatale, à la différence près que son ancien charme mutin ne transparaissait plus sous ces affiquets de velours, d'oxydes de fer et de Bleu de Prusse. On l'eût crue éteinte, drainée de cette joie ainsi que de cet élan qui jadis s'imposaient en caractéristiques essentielles de sa personnalité.

L'observant s'avancer, se poster devant le lui et le toiser de tout son haut, Jean se surprit à l'aimer et la haïr avec une égale fureur. Et tout autant à la craindre.

Entre ses phalanges, tournicotait une tantième petite fiole, trouvée à la salle de bain. Encore une.

— Ça ne peut pas continuer, annonça-t-elle. Ce qui s'est passé cette nuit…

— Je te promets que ne savais pas ce…

— Laisse-moi finir ! Je sais déjà quelle comédie tu vas me faire : « Je n'étais pas conscient, je contrôlais rien, je me souviens pas de tout… », de la même manière que je sais que « tout te nuit et conspire à te nuire[1], blablabla… » Je le sais et je veux bien y croire, encore. C’est plus fort que moi, je n’arrive pas à te détester comme il faudrait que je te déteste. J’ai tous les droits de te rejeter, mais tu vois : je suis toujours là et ton fils aussi.

Sa poigne autour du tube de verre se renforça.

— Attention, ça ne veut pas dire que je t'ai pardonné ni que j'ai l'intention d'oublier ces histoires. Tout ça prendra du temps. (Elle frotta le coin de son œil ; se rappelant son maquillage, eut un soupir de regret) Beaucoup de temps.

— Je comprends.

Jusqu'ici partagé entre la honte et la méfiance, Jean, accueillit cette indulgence inespérée avec soulagement. Cet espoir de paix ne fut qu'éphémère ; il se volatilisa une fois les prétentions d'Hélène exposées :

— Pourtant, je me rends compte aujourd'hui que laisser le temps faire son effet ne suffit plus. Tu ne vas pas bien, Jean. C'est quelque chose que je conçois, ce que tu as vécu est horrible. C'est tragique, insupportable, inhumain, et n'importe qui comprendrait que tu sois encore perturbé, malgré les années. Mais… (ses inflexions, jusqu'alors fermes et assurées, s'enrayèrent soudain) mais ça devient trop grave. Ça prend des proportions… des proportions démentielles.

Elle mit son discours en pause, le temps d'avaler ses sanglots. Pressentant la future tournure de la discussion, Jean en profita pour défendre sa cause :

— Je ne me soucie que de votre sécurité. Même si tu as du mal à le concevoir, tout ce que je fais, c'est pour vous protéger.

Fin de la pause.

— Mais de quoi, bon Dieu ?

— De ce… Je sais que c'est dingue, mais ce monstre…

Lui-même devinait que sa réponse ne plaidait pas en sa faveur. Hélène supplia le plafond du regard.

— Oh, c'est pas vrai ! Pas encore !

Derrière son dos, à une faible distance, il perçut un craquement mesuré. La complainte d'une latte asséchée ployant sous une pression négligeable ; celle d'un corps rachitique, d'un corps malade. Et à la base de sa nuque, un frisson marqua la pression d'un œil malveillant, sans doute à moitié aveugle, braqué sur lui.

— Je te jure que je l'ai vu ! Il est là !

— IL N'Y A PERSONNE !

Cette objection soutirée à sa gorge, Hélène aspira un filet d'air dans lequel elle puisa une nouvelle contenance, indispensable à la poursuite de sa revendication.

— Il te faut de l'aide.

— Toi, tu m'aides, plus que tu ne l'imagines.

De si douces paroles, elles atteignirent la jeune femme en plein cœur, et ses pleurs devinrent irrépressibles. Des pleurs douteux, trop bruyants pour un simple émoi passager. Quelque chose la tourmentait, une idée, un secret, un choix peut-être, atroce à porter ; une annonce d'une gravité sans pareil qu'elle avait peine à exprimer. Elle essuya ses larmes d'un geste empressé, tenta de retrouver le rythme naturel de son souffle. Ses premiers mots tressautèrent sur un hoquet :

— Non. Non, je… je croyais le faire. Je pensais sincèrement t'aider à dépasser cette tristesse et à te faire oublier un peu tes traumatismes. J'ai eu tort. Je suis désolée, je ne suis pas à la hauteur. Je ne suis pas de taille, encore moins ici, dans cette fichue baraque. Tu as besoin de quelqu'un qui pourra vraiment t'accompagner, un professionnel, quelqu'un qui a l’habitude et dont c'est le métier. Alors…

— Alors tu comptes me faire enfermer ?

La réaction si lucide dans sa froide concision, la fit tressaillir. Elle hésita ; ses mots ne revêtaient plus la force du début de conversation, l'intonation passée en mode mineur, d'une douloureuse tendresse. Preuve que Jean ne s'était mépris sur ses intentions.

— Je sais que c'est dur à entendre, chuchota-t-elle, pour moi non-plus ce n'est pas facile à envisager, et ça ne me fait pas du tout plaisir, mais je ne vois pas d'autre solution.

— Ah non ? Vraiment aucune ?

— Non, je suis désespérée ! Je ne sais plus quoi faire !

Elle ose ! Elle ose présenter cela comme une issue ! Nous faire interner, nous parquer, comme une bête de somme, au milieu d'un troupeau de déséquilibrés. Des années à souffrir, des jours à tenter de la protéger par tous moyens, elle et son précieux enfant, et voilà comment elle nous remercie ?

Me faire interner… c'est encore pire que ce que j'avais envisagé !

— Pas ça ! Fais ce que tu veux, demande-moi ce que tu veux, mais pas ça ! Pourquoi faut-il que tu partes dans des extrémités pareilles ?

— Qu'est-ce qu'il me reste, comme option ? Dis-le-moi ! Qui à part un médecin pourra gérer cette situation ? Tu vois bien qu'un truc cloche et que ça vient de ta tête. Enfin, ce n'est pas normal d'avoir autant de trous de mémoire ou de voir des gens qui ne sont pas là. Il n'y a rien de sain dans ces crises d'angoisse, surtout quand elles te poussent à enlever un enfant ou à dévaster des bureaux et attaquer des gens avec des tessons de bouteilles ! Putain, tu as failli tuer Henri, tu t'en rends compte ? Tu as agressé des flics !

Pour elle ! Petite ingrate.

Pour Hélène, pour son fils à naître, pour se libérer des griffes du Malin. De Schwerdoffer à ces policiers inconnus, tous s’étaient ligués contre Jean, mais lui n’avait jamais pensé à mal. Il voulait seulement être présent, dans cet hôpital. L’avait rejoint par la seule force de sa volonté.

Il avait affronté le dédale de ces couloirs empestant le désinfectant et le chagrin, comme dans son dos fusaient les objections des agents d'accueil : « Monsieur ! Monsieur vous ne pouvez pas ! » Poussez-vous, bande de parasites ! Laissez-moi passer enfin ! En entendant ses mâchoires claquer, ils avaient clos les leurs. Devant ses yeux, une porte en devenait trois, les plafonds s'affaissaient et les visages voyaient leurs formes se tordre, leurs couleurs se mélanger, la peau étirée et vrillée autour des crânes en une menaçante spirale. Il avait remonté, jambes flageolantes et cils agglutinés par la sueur, un corridor dont la fin ne se distinguait, un corridor si long, si long, aussi long qu'une piste d'atterrissage, où se multipliaient les issues. Sur le brouillard blafard, des symboles gravés au plomb s'étaient détachés : O… L… I… Rigides et noires, ils lui avaient évoqué une escouade de corneilles sur un désert de sel.

— Et ton procès ? Tu agis comme s'il n'allait jamais arriver, alors que tu risques gros, tout comme nous !

Certes, mais ç’avait été pour plus grande et noble cause. En était-il convaincu, lorsqu’il avait enfoncé de l'épaule cette porte flanquée de l'écriteau. À son entrée, deux voix distinctes l'avaient percuté. Celle d'Hélène, brisée, dont l'unique refrain serrait le cœur : « Non, non ! Pas ça ! Non ! » ; en contrepoint celle plus lourde et stoïque du médecin en vis-à-vis, la figure aussi lisse qu'une toile sans peinture ni raie de carbone. Il était épaulé par une cour de blouses blanches regroupées autour de ses mains tendues. L'image renvoyée avait été celle d'une messe noire, un rassemblement uniformisé d'adeptes auprès de leur gourou brandissant l'offrande de leur rituel sacrificiel. Entre les doigts de l’obstétricien ballotait le bébé, d'une intense teinte purpurine. Si cruellement normale et immobile. Jean avait sondé les jambes violettes qui ne s’agitaient pas, les bras violets qui ne se contractaient pas, les doigts violets qui ne s’écartaient pas et la poitrine violette qui ne se soulevait pas. Sans doute l'épreuve aurait-elle été plus facile à supporter si le pauvre avait arboré deux têtes, un museau de porc ou des moignons en guise de mains. Réplique humaine miniature, il n'avait rien d'une aberration de la Nature, non-plus d'un amas de cellules non viables que personne n'avait pris la peine de baptiser, non-plus d'un sédiment auquel on ne pouvait concéder une existence. Nu et violacé, en tout point formé et complet. Il était magnifique. Il possédait un visage, il possédait un nom. Il était leur enfant, leur tout petit. Nonobstant le vertige, la fièvre, le délire, Jean avait reconnu son dû, ce fils qui n'avait pas crié ni bougé au sortir de la matrice.

— Au lieu de quoi, tu poursuis des monstres imaginaires.

— Imaginaires, c'est ce que tu crois ?

Les monstres, il en avait pourtant expérimenté la matérialité effective. Ils étaient vrais, et ils étaient légion. À commencer par cet obstétricien sans âme. « Je suis sincèrement navré, madame. Il ne respire pas. » avait-il déclaré sur un ton plus blanc que son faciès. Derrière la ronde malveillante, un insufflateur manuel avait poussé une expiration emplie de lassitude, comme s'il avait voulu corroborer les dires de son maître : « Tout est fini, tout espoir s'en est allé. » Les monstres étaient partout, tout le temps. Jean n’avait jamais appris à les combattre, avait eu à contempler les scènes retranché derrière une peur muette, en qualité de tiers spectateur. Préservé, en un sens, mais autant impuissant.

Comme les membres du corps médical se passaient le petit de mains en mains, il était resté pétrifié. Rien ne subsistait dans ses muscles qui lui eût permis de prendre part à la sauvagerie du moment, celle des paroles adressées à Hélène. « Désirez-vous le porter un peu ? Pour lui dire au revoir. » Pieds dans leurs étriers et vulve découpée jusqu'à l'anus, elle s'était statufiée. Entre les mèches folles accolées à son visage trempé et luisant, elle avait questionné les praticiens l'un après l'autre de ses grands yeux troubles. Sans besoin d’un mot, Jean avait perçu ses interrogations paniquées : « Porter ? Mais porter quoi ? Que je porte quoi ? » Quand elle eut deviné la nature du quoi, elle les avait implorés, l'âme en lambeaux, de ne rien en faire. De ne surtout pas l'approcher d'elle. Ces monstres demeuraient sourds à sa détresse : « Ça vous fera du bien, vous verrez… » Le mort-né avait rejoint les bras perfusés. « Pour faire votre deuil. »

Il suffirait d'un peu d'air, un souffle, juste un petit peu. La phrase n'avait pas escaladé la bouche de Jean, personne n'avait tenu compte de sa prière ni ne l'avait surpris à conjurer du regard les poumons cyanosés. Atone, son corps s'était soudé au carrelage souillé du sang de celle ayant porté en son ventre une vie éphémère. À défaut d'agir, il avait guetté les réactions d’Hélène, dont les pupilles détaillaient le petit crâne, derrière l'écume des larmes. Si petit, un dôme poisseux à peine plus large qu'une paume. Un soupir à fendre le cœur, et elle avait abaissé les paupières puis secoué sa tête dans un murmure inaudible. Enfin desserré les mains, condamnée à se délester de la fatalité trop lourde pour son bras. Pas de baiser. Un adieu pudique auquel le cœur ne veut pas croire.

Juste un peu, s’il vous plait !...

— Et là tu… tu te lèves en pleine nuit pour te… devant Abel…

… Puis il y avait eu le cri. Ça n'avait pris la forme que d'un bruit râpeux, si faible que ni Jean ni les médecins n'avaient osé le relever, mais dont chacun avait éprouvé le caractère millénaire. Le cri. C'était un son qui pulsait sous les os autant qu'au fond des océans, dans les entrailles de la Terre et sous les kilomètres de glaces éternelles. Le cri. Un son entendu depuis la nuit des temps, aux racine des histoires de l'Histoire, au fondement du récit de tout ce qui vit et a un jour été. Par cette seule note, la part consciente d'Hélène s'était réveillée. Ses prunelles qui plus tôt s'étaient éteintes soudain s'enflammaient, pareilles à deux astres, brûlantes de la même gratitude que celle de Lazare envers le Roi des rois. « Vous avez entendu ça ! Mon Dieu, il respire ! Il respire ! » Elle avait précipité Jean au centre de la scène : « Jean ! Toi tu l'as entendu ! Tu l'as entendu, pas vrai ? Viens voir, vite ! » Le visage violacé s'était crispé imperceptiblement, et des lèvres, propulsé par les poumons à travers le chenal vocal, s'était émis un second geignement, plus franc et humide, semblable au râle d'un noyé. Aussitôt la cohorte blanche avait plongé sur l'enfant et sa mère. Dans une hystérie chuchotante, elle avait emporté le nourrisson, l'ausculter sur l'instant. L'obstétricien avait donné l'impression d'avoir perdu l'ensemble de ses croyances les plus fondamentales : « Impossible… C'est miraculeux. » Un miracle, il avait au moins fallu cela pour faire revenir le jeune Abel d'entre les morts.

Jean s’était approché d'Hélène, sa main dans la sienne l’avait remerciée, pour tout, un tout universel qui ne s’identifie pas. Lui avait baisé les doigts avant d’ajouter d’un air plus grave : « Il faut qu’on s’en aille. »

À présent, cet horrible moment lui revenait dans toute son envergure, avec lui pourvoyait un véritable kaléidoscope émotionnel. Cette nuit initiatique, à l’égale des précédentes, ne faisait pas de lui un héros ni un bon mari, peut-être pas même quelqu’un de bien. Souffrir ne lui accordait en aucune façon cet honneur. Pas une bonne personne, mais un père aimant. N’aurait-il dû jamais en douter.

Alors, à la dernière accusation d’Hélène, Jean bondit du sofa.

— Je ne voulais PAS le faire ! Ni ça ni le reste ! Merde Hélène, tu sais que je ne suis pas comme ça.

Comme si elles eurent cherché à se désolidariser de la cruauté de la réponse à venir, les pupilles d'Hélène se dédièrent à ses mains serrées plus bas.

— Il est là, le problème : je suis plus sûre de rien aujourd'hui. Apparemment, j'ai ignoré des tas d'éléments, et ça m'explose à la gueule. Je ne pense pas qu'il s'agit de malveillance de ta part, mais peut-être que tu as refoulé quelque chose, une pulsion, une déviance…

— Ne commence pas à jouer les psychiatres avec moi.

— Ton cas relève de la psychiatrie, c'est évident !

Absurde ! Par Dieu, tu ne vas tout de même pas lui donner raison ! Le bagne ou l'asile ; qu'est-ce que ce dilemme du prisonnier vient faire ici ? Et que sait-elle de ta santé mentale ? Comme si elle pouvait y comprendre quoi que ce soit, elle qui n'a pas la capacité de voir au-delà des conséquences. Elle ne pourra jamais saisir les causes… Il serait peut-être bon de les lui expliquer, tu ne crois pas ?

Jean détendit sa colonne puis s'approcha de sa femme. Il affichait un air neutre, duquel il tirait aussi son intonation. Un calme trompeur. Hélène le ressentit : cette absence de timbre renfermait, sous son enveloppe blanche, une sombre menace.

— Tu vas oublier ça sur-le-champ, déclara-t-il. Je vais mettre cette idée grotesque sur le compte de ton ignorance, mais je te défends d'en parler à partir de maintenant ou même de ne serait-ce qu'y songer.

Devenue fillette indécise, elle ne hissa pas les yeux en direction des siens. Resta à reluquer la fiole dans sa main sans réellement y prêter garde.

— Enfin, Jean, tu n'es plus en état de… et j'ai cru que l'hospitalisation serait, ben, que ça serait une manière sûre de résoudre…

— Que connais-tu, toi, de la souffrance ?

La question fit l'effet d'une flèche plantée dans la poitrine. Écartant pour une seconde son infériorité, Hélène releva la tête et lui opposa un regard consterné.

— J'ai eu mal moi aussi ! Pas comme toi, mais je sais ce que ça fait quand même ! Tu ne peux pas minimiser ça !

Ah oui, tu ne disposes pas du monopole de l'affliction. Oui, Hélène, douce, naïve, fragile petite Hélène, a connu les affres du désespoir. Oui, son cœur a pleuré ; pleuré un bref moment, le temps de soupeser les vestiges d'un embryon indésirable que son utérus hostile n'a su garder pour lui. Cela dit, soyons un peu sérieux : tenir le non-être coincé dans le Néant a parte ante pour un mal analogue à la perte d'un être d'amour rendu à l'éternel de ce Néant a parte post ; cela n'a rien d'égalable. Quelle impudence ! Quelques maigres mois à porter le deuil de ce qui jamais ne souffre, car jamais ne vécut, alors que…

Alors que moi, j'ai souffert…

— Toute ma vie ! Toute ma chienne de vie, j'ai souffert ! Ah ! tu as eu mal ? tu as un jour vu ce qu'était la douleur ? J'en suis navré, mais moi, très chère, j'ai eu mal toute ma vie ! Comprends-tu ça ?

Les mots fusaient, tonitruants, porteurs d'une agressivité qu'elle ne le savait pas enclin à témoigner.

— Tu es injuste ! lui lança-t-elle.

Cette seule image, unique et impitoyable perception : Jean ne voyait plus en Hélène que l'archétype de la vacuité. Vacuité, vacuité… écho vibrant en elle, à l'instar de tout ce qui bruissait encore alentour.

— Injuste, tu dis ? Eh bien quoi ? Est-ce que tu envierais mon malheur ? Oui, il est plus profond que le tien, fais-toi une raison. Crois-tu que ce soit pour autant une chose dont il faut être fier ? Et tu t'imagines donc que je n'ai jamais souhaité m’en débarrasser ? Ce que je vois, ce que je crois et ce que je suis, ce n'est pas de la folie, c'est là le symbole de ma contrition ; au vrai, c'est là ma croix ! Cette croix, tu la veux ? mais Grand Dieu, prends-la ! Je t'en prie : prends, et enfin tu sauras ce que ça fait d'être la créature misérable que le monde attend de voir crever, si tant est que tu sois capable de supporter ce que ce titre implique et… Non ! Je t'interdis de baisser les yeux ! Regarde-moi Hélène ! REGARDE QUEL MAL ÇA ME FAIT !

C'est cela ! Dis-lui ! Qu'enfin éclate la vérité. Dévoile-lui ce qu'est une bête de douleur à laquelle elle ne saurait se mesurer. Parle-lui de ce qui, à jamais, lui sera inaccessible.

— On ne guérit pas de sa malédiction aussi facilement que d'une infection. Engloutis par ce vide dont notre corps est tributaire, on ne souhaite que se libérer du fardeau de la faiblesse humaine comme d'une vieille mue. On veut renaître. On passe chaque jour dans l'illusion que la lumière nous parviendra. Et puis jamais ne vient la lumière. Je vois à présent que je n'ai rien à racheter, pas de faute ni de péché, qu'il n'y a seulement pas de rédemption pour nous autres, les oubliés de Dieu. Comment oses-tu avancer pouvoir saisir, même un dixième de ce que cette atrocité induit ? Garde pour toi tes thèses sur la folie et laisse la poésie aux poètes, le chagrin aux érudits. Tout ça, ça ne te touche pas. Tu es chanceuse.

Elle voulut intervenir. Jean, absorbé par son laïus, ne lui en offrit pas l'occasion.

— Tu ne peux pas savoir d'où je reviens ni ce que j'ai dû traverser. Tu ignores ce que ça fait de découvrir que le monde ne veut pas de toi, que jamais tu ne pourras t'y acclimater, que tu n'y as pas ta place. Tu ne peux pas le deviner parce que toi, ta place, tu l'as déjà ici, c'est le monde dans lequel tu vis. Après le monde, tu l'auras toujours ; qu'elle soit en Enfer ou au ciel, elle existe, cette place, elle est le prolongement de ce que tu as vécu. Elle est à tes yeux et pour toi, et elle t'attend. Quant à moi, il n'est déjà plus question d'exister. Regarde donc : je suis en moi-même, une abstraction dont on peut toucher la chair, pas la sentir. Je survis, c'est vrai, mais que ne suis-je pour quelqu'un d'autre ? Ni pour toi, ni pour Abel, ni pour quiconque. Ma nature, mon essence s'est effacée, soufflée d'un coup de fusil une nuit d'hiver.

— De fusil ?

— On m'a tout pris, tout, entends-tu ?

— Ça suffit, arrête s'il te plaît. Tu me fais peur. Je crois que je ne t'aime pas quand tu es comme ça.

Ces mots…

… « Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu me fais peur ! » …

Derrière ce « je crois », c'était un « je sais » que cachetait son cœur, l'ignoble vérité coupable qui ne s'avoue qu'à mots couverts.

— Comme quoi ? Comme ce qu'ils ont fait de moi ? Ce que vous tous avez fait de moi, sans avoir eu à endurer aucune forme de procès ? Comme ce que je n'ai jamais demandé à être. Tu ne comprends décidément rien à rien ! Tu ne vois pas !

Hélène, petite goutte de pluie issue d'une immense averse, élément docile dont personne n'attend rien. Goutte de pluie qui se rêve flocon de neige.

— Je n'aspirais qu'à être un homme parmi les hommes, pas la bête de foire dont Dieu se fout. Où est mon Dieu ? Réponds ! Tu n'en sais rien, tu n'as même pas à t'en préoccuper. Tu ne conçois pas le mal que ça engendre d'être la ruine de ses traumatismes. Alors pour une fois dans ta vie regarde-moi, entends-moi, ressens-moi ! (Des deux mains, il la saisit aux épaules) Tu dois m'écouter ! Je ne suis pas un fou, mais un triste sire mis à la porte d'un paradis auquel tous peuvent prétendre. Tous, mais pas moi ! Je ne compte pas ! Et pourtant je le voulais, crois-moi, de toute mon âme, je le voulais. Seigneur, je voulais tellement être le fils, le citoyen, le mari et le père. Je voulais… comme n'importe qui… je voulais…

Soudain, le silence. Aussi vide et creux qu'une cloche sans battant, Jean ne produisit plus un son. Sa phrase morte. Il relâcha Hélène, tangua puis s'affala sur le divan, le visage entre les mains, le corps secoué de spasmes.

Qu'il se rassure : Hélène avait regardé, avait entendu. Elle en avait entendu bien assez.

— Être malheureux ne te donne pas le droit de te comporter comme un sombre connard !

L'attaque ne l'atteignit pas ; Jean ne décrocha pas les paumes de ses joues, ne perçut pas le grondement de la porte d'entrée claquée ni le crissement des pneus sur le gravier de l'allée. Son existence devint ténèbres et oubli, au fond d'une brèche dans l'espace et le temps.

[1] Paraphrase tronquée d’une citation de Jean Racine, Phèdre (1677), Acte I, sc. 3 (Phèdre) : « Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire. »

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