Fifille

2 minutes de lecture

Nous ne sommes pas notre maître. Nous sommes la propriété de Dieu.

- Aldous Huxley, Le Meilleur des Mondes, 1977.

Ah ! histoire trouble et déchirante ! Le désarroi qui en résulte se comprend.

Ne nous en veuillez pas, mais la mémoire, scribe zélé de la psyché, rechigne à clarifier ce passé ; sur les mots, elle souffle un mistral malin de confusion que le cœur muet et lâche réclame. L'écume des souvenirs, filante coquine, la voici qui nous glisse entre les doigts ; et à l'instar de la pauvre bête, le discours tend à se d i s l o q u e r.

Cela étant, nous nous rappelons contre vents et marées. Notez, Sinclair, et tous ensemble souvenons-nous, c’était…

03:01

Aux funérailles d’Avril, sous le linceul perlé.

Vois la ferme Sauvan, où le vent fait trêve ;

De chagrin vêtus, deux agents y vinrent rôder.

Tant de bêtes boiteuses eurent-ils débusquées,

En cette métairie maltraitée, ô si curieuse contrée,

Qu’esprit chahuté, ils eurent à réveiller.

03:02

L’Œil bovin de la mère Sauvan sur le seuil parut,

Invita les hommes à motiver leur venue :

« Mandatés par la compagnie des eaux, madame,

Vos compteurs nous devons relever si tôt. »

Ilote sans allant, la mère longtemps les lOrgna,

Silence au museau et le regard las.

03:04

L’hideuse matrone, comme tirée d’un profond songe,

Leur dénia l’accès à peine d’un pieux mensonge.

« Soit, nous reviendrons dès l’aube levée ! »

Sur ces bons mots, nos hommes levèrent camp,

Laissant la mère Sauvan à d’autres tourments

Qu’à son époux elle tremblait confesser.

03:05

Le père Sauvan tôt rentra des champs bougon,

À l’annonce de la nouvelle, fit rugir son dépit :

« S’ils voient la cave, femme, redoute la pendaison !

Mais croix de fer, jamais ils ne nous p(r)endront ! »

Prophétie clamée, à l’étable il descendit

Trouver la cause de son affliction.

03:06

Recroquevillée sur un sol d’épis,

La jeune Fifille rêvait sans murmure.

Alertée, elle fit bruisser sa noire fourrure,

Dressa ses oreilles en pointe taillées.

À la venue du père, sitôt chienne gémit

Sans plus pleurer ; de sa langue on l’avait pillée.

03:09

Quand vint l’heure vermeille, sonnant départ des Sauvan,

La cariole remonta les chemins ga-lo-pants,

Sur les rubans d’asphalte, filant de son grand trot.

Devant elle, vignes et ombres s’étiraient,

Quand sur toits et têtes s’abattit le fléau :

Sang et viscères ; poisons du ciel pleurés.

03:10

Instamment, rue, saute et cabriole le tacot,

Précipité dans la gorge d’un caniveau.

Les Sauvan, quel sang rougit leur peau !

Aux bois de minuit, les morts ne verraient plus

Bonne âme pour sauver celles perdues

Ni rescapée de leur cercueil tordu.

03:12

Lorsqu’au loin brulèrent deux phares d’argent,

Espoir au cœur, Fifille accourut suppliant.

Avalée par la houle, là décline notre fable,

Secret démembré d’une paisible étable.

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