Ecoeuré

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Sans prévenir, je m’éloigne du marché pour téléphoner. Zach qui a reconnu la sonnerie d’appel d’Olivier, pense sûrement que je vais le rappeler, et c’est tant mieux. Hors de question de lui montrer qu’en réalité, je flippe rien qu’en voyant les trois appels en absence de ma mère. Ce n’est vraiment pas dans ses habitudes de me joindre comme ça directement, surtout à quatre heures du matin. Fuck, mais qu’est-ce qui se passe ? À la première sonnerie, elle décroche.

— Allô maman ?

— Emmanuel, c’est moi, me répond mon père, énervé.

Maxi Fuck !

— Y’a un problème ? Maman a essayé de me joindre, mais j’avais mon téléphone éteint.

— Ta mère est dans un sale état. Elle a pris ses saloperies de cachetons, une fois de plus.

— Je suis désolé.

— Pas autant que moi. Mais ce n’est pas pour ça que je t’appelle.

— Ah, oui ?

— On m’a volé ma voiture !

— Quoi ? Mais comment…

— Et impossible de retrouver mes clés. Je suis sûr que c’est elle qui m’a fait un coup tordu. Elle a rigolé ce matin en se réveillant quand je lui ai appris.

Moi aussi, si j'avais été avec elle, je me serais bien foutu de ta gueule, papa.

— Tu savais qu’elle voulait me quitter ?

— Hein ?

— Je suis désolé de t’apprendre la nouvelle comme ça, mais ta mère m’a annoncé au saut du lit qu’elle avait décidé de partir. Ca m’a l’air d'être sérieux cette fois-ci, bien qu’avec elle, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Et bien sûr, elle a choisi le pire moment pour le faire.

Alors, là, je suis sur le cul. Elle a enfin pris sa décision !

— …

— T’es toujours là, Emmanuel ?

— Oui, oui.

— Donc, tu me jures que tu ne le savais pas ?

— Non.

— Elle est dans la chambre en train de faire sa valise. Elle a réservé un taxi pour dans une demi-heure.

— Mais… Pour aller où ?

— Tu te figures bien que je suis la dernière personne à qui elle le dira. Elle ne t’a vraiment rien dit ?

Il commence à me gonfler sévère. J’aurais tellement envie de lui balancer qu’elle s’est barrée avec Patrick, son associé de leur boîte d’import-export.

— Je te répète que non. Comment veux-tu que je le sache ?

— C’est uniquement pour me faire chier. Elle sait que c’est une période hyper chargée pour moi. Avec Patrick, on a du boulot par-dessus la tête. Je sais comment ça va se passer. Elle va aller chez sa copine Sabrina y passer le week-end. Dimanche, elle sera de retour à la maison, et elle me suppliera de lui pardonner. Et comme la dernière fois, elle va nous faire une déprime à la con, en pleurnichant qu’elle a toujours été une bonne à rien et qu’elle a bien de la chance d’être tombée sur moi. La mascarade va durer des semaines.

J’ai envie de lui mettre mon coup de poing dans la gueule.

— Je ne sais pas quoi te dire.

— Je suis juste désolé que tu assistes à ça. J’ai pensé que ça serait bien si tu pouvais être à la maison dès dimanche soir.

— Mais, pourquoi ?
— Parce que je suis la dernière personne qu’elle aura envie de voir et je sais que tu sauras l’empêcher de faire n’importe quoi. Je m’inquiète de plus en plus pour elle, malgré tout ce que tu peux croire. Mais, dès lundi matin, je dois absolument partir une semaine à Madrid avec Patrick, tu te souviens ?

— Heu… Oui, oui.

— C’est prévu depuis un bail, il est hors de question d’annuler. Nous avions prévu d’y aller avec ma BMW. Je dois absolument la récupérer.

— Il ne peut pas prendre sa voiture de fonction ? Vous avez la même, qu’est-ce que ça change ?

— C’est pas aussi simple que tu crois…

— Je ne pourrai pas être là dimanche soir, je suis chez Olivier et lundi, on part dans les Pyrénées.

— Ah oui, c’est vrai.

— T’avais oublié.

— Bien sûr que non, mais comme tu vois, il y a que des merdes qui me tombent dessus depuis ce matin. Comme si j’avais que ça à foutre que d’aller porter plainte à la gendarmerie. Et comme la voiture de ta mère est au garage, je ne sais pas quoi faire. Je ne vais pas y aller en bus, tout de même ! À moins que je demande à Patrick…Mais bien-sûr, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

J’ai envie de lui raccrocher au nez, tellement je suis écoeuré.

— Je compte sur toi pour dimanche soir, ok ? Si d’ici là, tu peux appeler ta mère, des fois qu’elle change d’avis, on ne sait jamais… Attends, j’ai un double appel, c’est Patrick, ça tombe bien... Je dois te laisser.

— Mais, je t’ai dis que…

J’y crois pas, il a mis fin à la conversation ! Il me faut quelques instants pour accuser le coup. Une chose est sûre, c’est que je suis hyper content que ma mère ai pris son courage à deux mains. Depuis le temps que Patrick attendait ce jour ! Je ne sais pas comment ils ont pu cacher leur relation aussi longtemps sans que mon père s’en aperçoive.

Je me souviens de ce fameux samedi matin où ma mère m’avoua qu’elle avait un autre homme dans sa vie. C’était au début du printemps, il y a trois ans, sous le kiosque Kerber, au retour du marché. J’avais l’habitude d’y manger mon croissant, tandis qu’elle buvait son café à emporter. C’était notre pause habituelle lorsque nous traversions le grand parc. Ce jour-là, c’est sorti de sa bouche, comme ça, sans que j’y sois préparé : “J’ai rencontré quelqu’un. Tu le connais, c’est Patrick, le collègue de ton père”. Je ne sais pas comment me l’expliquer, mais cette révélation ne m’a pas plus étonné que ça. Au contraire, c’est elle qui fut la plus surprise quand je lui ai juste répondu un “Ça dure depuis longtemps ?” Elle qui croyait me balancer une bombe, et bien moi, je terminais mon croissant, tranquille. Je me revois lui demander si elle avait fini sa boisson, avant de lui prendre des mains son gobelet pour aller le jeter dans la poubelle et revenir la prendre par le bras pour rentrer chez nous.

C’est seulement quinze jours plus tard que j’ai vraiment percuté. Un soir, je revenais plus tôt du lycée et j’ai vu la voiture de Patrick quitter notre maison. Dans la cuisine, ma mère lavait deux tasses dans l’évier. Par la fenêtre, je me doutais qu’elle m’avait vu arriver. Au lieu de me demander comment s’était déroulée ma journée, cette fois-ci, elle se retint, sûrement trop ébranlée par le fait qu’à quelques minutes près, j’aurais pu la surprendre dans les bras d’un autre homme. Je l’ai embrassé, attrapé un paquet de gâteaux dans le placard, avant de filer dans ma chambre. Ce soir-là, je suis resté sur mon lit, recroquevillé, le casque sur les oreilles, la musique à fond pour chasser Patrick de mon esprit.

Hormis les rares fois où il accepta l’invitation de mon père pour un apéritif, je n’ai pas eu l’occasion de le voir. Le pire dans l’histoire, c’est que je l’ai toujours trouvé très sympa. Il rendait ma mère heureuse, j’auvais eu envie de le connaître, mais la situation aurait été trop chelou. Ce n’est qu’au fil des mois, lorsque nous étions seulement tous les deux, que ma mère s’autorisait à évoquer son nom, au détour d’une phrase, comme pour me rappeler la situation.

Je ne sais pas encore combien de temps elle va le cacher à mon père, mais je pense que ça ne va pas tarder à lui exploser en pleine face. Il ne va pas s’en remettre. Je jubile rien qu’à cette idée. Ça lui fera les pieds à ce gros con. Je dis ça mais au fond de moi, ça me fait de la peine. Même si je n’en suis plus un, quel gosse a vraiment envie de voir ses parents se séparer ? En attendant, ma mère va-t-elle chez Sabrina comme elle le prétend ou préférera-t-elle se réfugier chez son amant ? Il vaut mieux tenter de l'appeler plus tard, lorsqu'elle sera plus libre de me parler.

Je n’ai pas le temps de souffler qu'un message d'Olivier vient de s'afficher : “Tu le fais exprès de pas décrocher ? T’as réussi à ken Zach, ou quoi ? T'es où ?" Je ne peux pas m’empêcher de sourire. S'il savait ! Je lui réponds aussitôt, envie de le faire patienter : “Désolé, peux pas te parler maintenant, on se capte plus tard”.

Je n’ai pas le cœur à rejoindre Zach tout de suite, j’ai besoin de marcher un peu sur la plage, histoire de calmer mon trop plein d’émotions qui risque de me provoquer un mal de crâne. Mais avant, direction une vieille cabine téléphonique, transformée en boîte à livres. Je l’ai repérée tout à l’heure. On ne sait jamais, il y a peut-être quelque chose de bien à lire !

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