Apparences trompeuses
Je n’en peux plus de me faire des nœuds dans la tête. Impossible de me rendormir, autant me lever. Une douce lueur provenant du trou de fusil dans le parquet m’indique qu’il y a déjà quelqu’un de réveillé en bas. J’enfile un t-shirt et descend sur la pointe des pieds dans la cuisine. Je m’attends à voir Pierrette, mais c’est Etienne qui me sourit. Il est devant son ordinateur à pianoter, une tasse de café fumante sur la table.
— Salut beau gosse. Déjà debout, un café ?
— Oui, si t’as, je veux bien.
Il m’en sert un. Lui aussi, porte un simple t-shirt. Le galbe de ses fesses dessinées dans son caleçon moulant me procure un petit plaisir coupable. mais ça s’arrête là. M’être confié comme je l’ai fait hier a changé la donne entre nous. Je ne sais pas encore exactement dans quelle mesure. Il pourrait devenir un ami, qui sait.
— Tiens, pour toi. Attention, il est encore bien chaud.
Il m’invite à m'asseoir en face de lui.
— Tu fais quoi devant ton ordi, à six heures du mat’ ?
— Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, non ? Je check mes mails. On a encore reçu un mail assassin du maire. S’il croit qu’on va renoncer à la manif de dimanche prochain, il n’a vraiment rien compris. Je lui ai réservé une surprise de taille. J’ai des potes journalistes parisiens qui vont descendre couvrir l’évènement. Et je peux te dire que leur point de vue risque d’être très différent de la presse locale à qui Beauseigneur va demander de lisser tout ça.
— Ah, oui, carrément.
— Ouais, carrément. Faut aussi que je m’occupe sérieusement de ce petit merdeux de Pierre. Mais je marche sur des œufs, cette fois-ci. Les histoires de famille, c’est jamais ce qu’il y a de plus évident.
Je réprime un soupir.
— On est désolé pour hier soir, on aurait dû prévenir Pierrette.
— T’inquiète, c’est rien. Je pense surtout qu’elle était jalouse de ne pas pouvoir profiter de son petit-fils comme à son habitude. Il va falloir qu’elle apprenne à partager, c’est tout. Du coup, t’as pu en profiter pour avancer avec lui ?
— T’es toujours aussi direct ?
— Désolé, c’est tout moi. En plus, je ne suis pas très malin. Zach n’avait pas l’air dans son assiette quand je suis arrivé.
— Il a dû prendre un coup de soleil.
Etienne me regarde, il n’est pas dupe.
— Ouais, on va dire ça et changer de sujet, dit-il en me faisant un clin d'œil. Vous restez longtemps ?
— C’est pas ce qui est prévu. On a un plan pour aller du côté de Royan.
— Moi qui comptais vous avoir pour la manif…
— Promis, on fera tout pour revenir. J’ai trop hâte de porter un t-shirt avec l'effigie de la bite de ton ex.
— Je vois que monsieur n’est pas aussi coincé qu’il le laisse supposer.
— Et toi plus subtil qu’il n’y paraît. Tu tiens le coup avec Oscar ? ose-je.
— Trève de plaisanterie, comme tu vois, je me réfugie dans le travail. Faut que vous veniez à la manif, je te promets qu’on va bien se marrer. Parce que malgré les apparences, nos revendications sont sérieuses et légitimes. On a juste trouvé le moyen d’attirer l’attention autrement. Tiens, viens t’asseoir à côté de moi, j’aimerais te montrer un truc. C’est mon discours pour la manif. Ton avis serait le bienvenu. Comme t’es pas du coin, tu seras plus objectif sur la question.
— Mais j’y connais rien, et je suis trop jeune pour avoir un avis sur…
— T’as un cerveau, non ? Et je te signale que c’est notre génération qui va devoir faire bouger sérieusement les choses. Il est hors de question de se défiler.
— Ok, mais avant, laisse-moi finir mon café, histoire d’avoir les idées claires.
— Ça marche ! me dit-il en souriant.
Je prends le temps de boire ma tasse et viens m’installer à ses côtés. Cette fois-ci, Etienne est sérieux et ne profite pas de m’avoir à côté de lui pour tenter quoi que ce soit. J’ai l’impression qu’on est passé à autre chose, je m’en réjouis. Son texte défile devant mes yeux. Son écriture est fluide, enflammée et convaincante. Je me surprends à lui donner mon avis de manière aussi spontanée. Il s’en félicite et commence à corriger en prenant en compte mes remarques.
Il est déjà huit heures quand Pierrette fait son apparition dans sa robe de chambre. Elle nous gratifie d’un regard joyeux. Elle s’empresse de me proposer un petit déjeuner en me vantant sa délicieuse brioche. Je la remercie de son attention. Elle refuse que je l’aide et s’empresse de préparer ce qui s’avère être un véritable festin. Alors que je reprends une troisième tranche de brioche, Zach finit par faire son apparition. Ses yeux sont fatigués, mais il s’efforce d’être enjoué en nous souhaitant un bonjour enthousiaste. Il s’assoit avec nous. Pierrette, aux petits soins, s’apprête à lui servir une tasse de café. quand elle est interrompue par un coup de téléphone. C’est Bruno. Il l’informe que mon père vient d’arriver sur la place du marché à Gastes pour récupérer sa voiture. Pas sûr que cela soit une si bonne surprise pour nous comme a l’air de le penser la grand-mère de Zach.
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