Toujours pas
Manu, allongé à mes côtés, me sourit. C'est la fin de toute cette affaire. Les méchants sont en prison, bon débarras. Les gentils vont vivre sans craindre de voir leur monde s'écrouler à chaque coin de rue. Avec Manu, nous allons pouvoir écrire notre histoire. Vibrer ensemble, partager des moments simples et découvrir ce lien fort qui nous unit. Ma tête posée sur son torse, j'effleure du bout des doigts sa peau. Mon index s'attarde sur son téton. Au creux de mon oreille, j'entends les battements de son cœur. Ma respiration se cale sur son rythme. Ce doux ronron m'apaise et m'enivre. Je ne veux rien précipiter, juste me laisser aller à l'abri de son corps. Ma main poursuit son exploration et glisse le long de son ventre. Je me sens sur un petit nuage. Tout est simple. Chacune de nos caresses nous enveloppent de tendresse, le désir s'insinue mais je veux prendre mon temps. Déguster chaque parcelle de sa peau que ma bouche rencontrera. Goûter des lèvres chaque millimètre dissimulé sous son polo. M'égarer là où mon envie me portera et le laisser à son tour me guider. Profiter pleinement d'être avec lui et apprécier chaque sensation glisser sur moi. Je suis heureux, je n'aurai jamais pensé que je pourrais le dire à nouveau …
J'étouffe. Une ombre. Un courant d'air. Une porte claque. Un coup de feu …
— Manu, bouge … Manu, sauve-toi… ne reste pas là…
— Zach, tout va bien, me dit Pierrette assise sur le bord du lit.
Elle me passe un gant sur le visage. Ma tête est posée sur ses genoux. J'émerge. Tout ça n'était qu'un doux rêve. Nous en sommes toujours au même point, rien n'est fini. Pire encore, le cauchemar se poursuit dans mon sommeil ; le triste résumé de ces derniers jours. Des gouttes de sueurs dévalent le long de mon dos. Je suis assis dans un manège, je passe par tous les états. L'euphorie se mêle à la désagréable sensation de ne plus rien contrôler et de tomber dans le vide sans certitude que le parachute s'ouvrira. Mon corps est claqué, en miettes.
Grandma m'observe en silence. Le calme de la maison contraste avec le bordel qu’il y a dans ma tête. Anouchka allongée sous la fenêtre dort profondément. Je me redresse pour faire un état des lieux. Je ne sais plus où j'habite. Je suis passé d'une manifestation à la case prison pour finir en observation à l'hôpital. Toutes les images restent floues, le fils du maire, mon père nous disant que tout est fini, l'infirmière avec ses yeux bleus bienveillants me rassurant sur mon état de santé, le docteur me filant un cachet pour me permettre de me décontracter. Et Manu, l'absence totale. Nous étions allongés, l'un contre l'autre. Rêve ou réalité, je ne sais plus. Mon corps est raide. Mon dos me tire. Mon visage se crispe. La douleur s'accentue quand mes pieds entrent en contact avec le carrelage glacé. La sensation est désagréable. Ma chienne dresse une oreille en m'entendant pousser un aïe. Puis elle se recouche quand Grandma lui caresse la tête.
— Où est Manu ?
J'ai peur d'entendre la réponse. Grandma me prend la main. Elle pense me rassurer ? Toujours pas. Effet contraire. Je m'imagine le pire. Est-il parti ? A-t-il pris un mauvais coup à la fin de la manifestation ? Ne veut-il plus me voir ? Pourtant, il était dans cette chambre, il y a peu de temps. Je peux sentir son odeur et la chaleur de son corps dans mes draps.
— Tout va bien pour Manu, il est allé faire un tour avec Étienne pour prendre l'air, me précise Grandma pour me détendre.
— Ah ok. Sinon, où en est-on ? Je me rappelle papa me disant que tout était rentré dans l'ordre. Que Beauseigneur avait fait marche arrière. Que nous avions réussi.
— Oui, nous devons le rencontrer en début de semaine.
— Mais il ne peut pas s'en sortir comme ça c'est trop facile, dis-je en m'énervant. J'en ai marre de tous ces mecs qui sauvent leur cul parce qu'ils connaissent du monde.
— Je te comprends, mais pour l'heure nous avons fait l'essentiel, sauver notre forêt.
— Grandma, j'en ai pris plein la gueule, au bout d'un moment, c'est usant. Je ne vais pas fermer ma bouche, dis-je exténué.
— Tu veux porter plainte ? me demande Pierrette en ne me quittant des yeux.
— Je veux que la justice soit rendue.
— Tu as conscience qu’ils vont soulever les tapis pour trouver la poussière. Avec leur bataillon d'avocats, ils feront tout pour te salir ou te mettre dans une situation inconfortable.
Elle a raison. On m'accusera d'être un petit dealer prêt à tout pour sauver ses miches. On me poussera dans mes retranchements et je ne pourrai pas mentir au juge. Je devrais tout déballer. Grandma et Joseph se retrouveront dans de mauvais draps. Je ne peux pas leur faire ça. Je soupire sachant que je ne pourrais rien faire de plus.
**
Je prends vite fait une douche pour me remettre les idées à l'endroit. Ma priorité, retrouver Manu. Discuter enfin en tête à tête sans prise de tête, sans être embêté ou coupé toutes les minutes. C'est quand même pas la mer à boire. On va y arriver. S'il faut, je le kidnappe. Je ne lui laisse pas le choix. S'il résiste, tant pis. Je le supplierai. J'attrape mon sweat, saute dans mes basket et au moment de franchir la porte, je me trouve nez à nez avec mon père.
— Eh mon grand, tu vas où aussi vite ? Le docteur a conseillé que tu restes au calme pour une nuit encore.
— Je vais faire un tour avec Anouch, elle a besoin de prendre l'air.
— Elle ou toi ?
— On va dire un peu des deux.
— Allez file, ça te fera du bien. Par contre reste dans les parages. Pas de folies.
— Tu me connais !
— Justement, tu vas aller à la plage et finir dans l'océan.
— Non, je serai raisonnable. Je fais un saut à la cabane.
— Ok. D'ailleurs si tu peux ramener un bouquin.
— Si tu veux. Une préférence ?
— Le Petit Prince, répond-on en cœur.
Nous nous sourions.
— Si tu vois Grandma, dis-lui que je serai sage.
— Promis, pas de paroles en l'air.
— Oui je crois que j'ai assez merdé.
— Tu as fait ce que tu pensais être nécessaire. Ne regrette pas. Je suis fier de l'homme que tu deviens.
J'appelle ma chienne qui vient aussitôt dans mes pieds. Je passe par la porte de derrière et me faufile à travers le jardin d'aromatiques de Pierrette. Je longe la rivière en direction de mon refuge. J'avance prudemment, l'obscurité tombe. La pleine lune cachée derrière le nuage, éclaire faiblement le sentier. Peut-être que je croiserais Manu et Étienne de retour de leur balade. Nous rentrerons ensemble.
Anouchka fait des aller retour en éclaireur, quand je l'entends grogner. Je l'appelle, elle ne revient pas. J’aperçois sa silhouette au loin. Un bruit de bois sec craque. Je sursaute. Me retourne. Je ne vois rien de particulier. Cela pourrait être un cerf. Pourtant, Anouch à l'habitude d'en croiser. Les sangliers quand à eux ne s'aventurent pas jusqu'ici. Je m'avance et me mets à la hauteur de son museau. Je l'attrape par son collier et la serre contre moi. Je crois que ça me rassure. Je ne suis pas un peureux mais ce soir, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Ça me rappelle trop de mauvais souvenirs. Maman, l'appartement 13, la course poursuite sur l'autoroute, l'hôpital. Trop c'est trop. Je décide de rebrousser chemin. La cabane sera toujours là demain.
Je me relève quand une main m'attrape le bras et me tire. Je la repousse vivement pour me dégager.
— Chut, Zach c'est moi.
— Manu, qu'est-ce qui t'arrive ? Où est Étienne ?
— Suis-moi, me dit-il la voix tremblante.
— Où veux-tu aller ?
— La cabane, ça te va ?
— Manu, avant dis-moi, il y a un truc qui cloche ?
— Pose pas de questions. Viens, me supplie-t-il.
Ses doigts tremblent, il trébuche et je le rattrape in-extremis. Il commence à m'inquiéter. Je peux sentir ses pulsations cardiaques dans sa paume. Il a l'air effrayé comme s'il venait de voir un fantôme. Arrivé à la cabane, je pousse la porte, attire Manu vers moi et lui murmure :
— Manu, j'ai terriblement besoin de toi.
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