Ce n’est qu’un aurevoir

5 minutes de lecture

Combien de temps s'est écoulé depuis le départ de Manu ? Je ne sais pas, je ne sais plus. La voiture s'est éloignée. J’ai voulu courir. Le retenir. Le prendre à nouveau dans mes bras. J’ai espéré au fond de moi qu’il se retournerait juste une dernière fois pour me faire un signe de la main. Rien. Une boule est restée coincée dans ma gorge. Elle grossissait et m'empêchait de respirer, de crier. Je n’en pouvais plus. Alors j’ai marché, marché et marché pour ne plus avoir à penser. J’ai erré dans la forêt, refais le chemin encore et encore. Je suis arrivé sur la plage et aussitôt j’ai fait demi-tour. J’avais trop mal. Je n’arrivais pas à me calmer. Mon pouls accélérait. Ça fusait de toute part.

Rien ne m'apaise, tout m'oppresse. Je repasse dans ma tête tous ces derniers jours, tout ce que nous avons vécu, tout ce que nous avons partagé. Je suis passé devant la cabane, quand j’ai voulu entrer je n’ai pas pu, comme si cette putain de Dame Blanche fermée mon monde. La porte est devenue infranchissable. En repensant à cette histoire racontée au coin du feu, ma bouche sourit sans que je ne la contrôle. J’ai envie de retrouver le goût de ses lèvres. Spontanément, ma langue passe sur le bord des miennes, tatouant ce doux souvenir à jamais.

Comment vais-je arriver à me relever ? Est-ce tout simplement mon destin ? Est-ce que ma vie se résume à des moments forts, intenses et brefs ? Est-ce qu’à chaque fois que je vais effleurer du bout des doigts le bonheur, il va s’évaporer. Devenir un petit point fuyant dans l'horizon. Hier sur la plage, je n'ai rien pu dire de convaincant. J’aurais voulu être capable d’arrêter le temps. Profiter encore du vent jouant dans ses cheveux, du soleil caressant son visage.

Ce soir, je suis seul. J'émerge après des jours épuisants, je vois l'avenir rougir avec l'astre couchant. Plus ses mots glissent sur moi, plus mon coeur grossit. À chaque phrase prononcée par Manu, mon corps s'enlise dans les sables mouvants. Hier, il y avait tant d'émotions dans ses paroles, je sentais son angoisse dans le timbre de sa voix. Il était bouleversé par la terrible nouvelle, ses doigts pianotaient inexorablement. Pourtant, ma conscience a repris le dessus peu à peu. Ma raison l'a emporté sur ma passion. Le garder près de moi, avec moi et pour moi n'aurait été que pure égoïsme. Je ne pouvais pas lui imposer ce choix. Alors, j'ai encaissé, sourit pour qu'il garde le meilleur souvenir de notre ultime rendez-vous avant peut-être longtemps. Dans tous les films que nous avons regardé ensemble, on parle d'un simple au revoir. Pour les adieux, pitié, dites-moi qu’on repassera. Après mûre réflexion, cela ne peut pas être la fin de notre histoire.

À cette heure, mon plus gros regret est de ne pas l'avoir accompagné pour affronter son père et ce deuil qui l'anéantit. Juste être présent à ses côtés comme il a su si bien le faire depuis trois ans. Être là pour lui, comme il l’a été pour moi. J'ai tellement mal. Les blessures corporelles qu'on m'a infligées n'ont rien à voir avec la cicatrice qui s’ouvre à nouveau. Perdu dans mes pensées, je réalise tout à coup où je me trouve. Un frisson parcourt tout mon corps en constant que je suis devant la tombe de ma mère. Je m'écroule à genoux. Mes mains frappent le sol. J’hurle. Je dois laisser sortir ce qui me malmène depuis trop longtemps. Une fois ma colère déversée, je ressens l'envie de me confier. J’ai besoin de vider mon sac.

Maman, tu me manques tellement. J’aurai tant de choses à te raconter, tant de choses à t’avouer. Si tu savais combien je t’aime. Je veux te remercier de tout l’amour que tu m’as offert jour après jour. Aujourd’hui, je viens de découvrir ce que c’est l’amour avec un grand « A » et j’ai tellement peur de l’avoir perdu avant même de lui avoir laissé le temps de s’épanouir.

*

J'ai dû m’endormir, adossé au pin proche du cimetière. Je suis incapbale de me souvenir comment j’ai atterri là. J’ai sombré dans un sommeil sans rêves, ni cauchemars, le vide absolu comme si j'avais déconnecté tous mes neurones. Le soleil décline sur l'océan, Manu doit être arrivé à présent auprès des siens. J’espère qu’il a trouvé un peu de réconfort. J'attrape mon portable, les notifications se bousculent.

Le premier message est de mon père " Je suis vers Montluçon, je fais une pause avant de finir mon voyage. Prends soin de toi mon grand".

Le deuxième texto est de Camille " Ça te dit de venir manger avec Tony et moi au resto de la plage. Tu sais que tu peux compter sur moi".

Le troisième est de Jérémie " Mon chou, bouge pas, avec Maël on descend te voir. J'ai un truc de ouf à te proposer. On arrivera en fin de soirée. Bisous."

Je m'empresse de regarder l'heure sur mon écran et réalise qu'ils ne doivent plus être très loin. Je défile et ouvre les enveloppes suivantes.

Papa : "Bien arrivé" , j’ouvre la pièce jointe et découvre un selfie de Joseph et Aline. Ils sont trop mignons. Un nouveau pincement au cœur. Pourquoi avec Manu nous n'avons pas fait une photo de nous deux ?

Camille : " Bon comme tu n'as pas répondu, je me suis inquiétée et j'ai déboulé chez Pierrette. Elle m'a expliqué pour Manu. Je suis vraiment désolée et triste pour lui, pour vous. Appelle-moi stp".

Rien de plus, est-ce que je dois envoyer un message à Manu ? Est-ce que je veux le faire ? Mon cœur crie oui, ma tête me supplie d'attendre. J'en meure d'envie. Je commence à pianoter quelques mots et me ravise. Juste un émoticone, pour ne pas laisser le vide devenir un gouffre. Oui, non, peut-être, qui sait, vas-y, laisse tomber. Je fais les questions et les réponses, tout ça n'a pas de sens.

Pour commencer, je choisis de répondre à mon père : " Profite de tes vacances. Papa, tu sais quoi ?" Il me répond instantanément "non" j’enchaîne "je t'aime" et il ajoute "moi aussi je t'aime mon Zach". J'ai enfin réussi à lui dire, grâce à toi Manu.

Je poursuis avec Camille "Tout va bien, j'avais besoin de marcher, de me vider la tête. Merci pour l'invitation. On pourra remettre ça à demain. Jérémie arrive." Elle me répond du tac-au-tac "Oh trop bien, j'ai hâte de le revoir. Et toi, n'oublie pas, Manu tient fort à toi. Laisse-lui juste du temps. Gros bisous". J’ajoute "Profite de ta soirée avec Tony, tu as de la chance. Je t'embrasse."

Mon doigt reste suspendu dans l’air, mon regard cherche un soutien invisible. Je lève les yeux, dans l'obscurité la Lune semble me faire un clin d'œil. Une complice des plus charmantes, elle m’offre le courage qui me manquait. "Manu, pas de promesses, juste le doux rêve de pouvoir retrouver rapidement tes bras". Envoyer.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0