Chapitre 11. La conférence internationale
Depuis quelques semaines, quelques mois, le temps file à une vitesse vertigineuse. J’ignore si c’est à cause de la frénésie de la vie newyorkaise, qui semble ne jamais ralentir, encore moins s’arrêter, et qui rend difficile de distinguer les jours les uns des autres. Ou peut-être est-ce l’atmosphère à la fois studieuse et chaleureuse du bureau. Idriss, dont la bienveillance n’est plus à prouver, n’a plus jamais mentionné l’incident du rooftop, et s’est parfaitement comporté comme si de rien était, sans me faire sentir la moindre gêne, ni me faire subir la moindre distance. Il pourrait même qu’il s’agisse de la routine confortable qui s’installe petit à petit entre Filip et moi, au fil des soirs et des weekends passés l’un avec l’autre, sur le canapé devant un film, au restaurant, voire même en excursion autour de New York. La semaine dernière, nous avons même fait un saut jusqu’à Boston, histoire de se changer les idées, quelques jours.
Toujours est-il que le mois de mars a vite cédé sa place à celui d’avril, qui lui-même s’est éclipsé au profit de mai, puis de juin, sans que je ne m’en rende vraiment compte. Et nous voilà donc arrivé au moment fatidique de la conférence pour le climat de Buenos Aires, la première COP organisée en Amérique du Sud depuis la tentative avortée du Chili, en 2019, que notre service a préparé avec le plus grand soin depuis les premiers jours de mon arrivée.
Idriss, Erika, Sanjay et Louise m’accompagnent dans le taxi qui nous emmène du bureau vers l’aéroport. Ewelina nous y attend, déposée par son mari après qu’elle lui ait confié ses quatre enfants pour la semaine, non sans une certaine appréhension qui se devine sur les traits tirés de son visage à la beauté intacte, malgré tout. Ewelina nous distribue les cartes d’embarquement. Sans véritable surprise, il s’avère elle s’est trompée dans le nom de famille de Sanjay, ce qui implique un léger stress de dernière minute, et une intense négociation de sa part avec le personnel de la compagnie aérienne pour rectifier son erreur. Heureusement, son charme à toute épreuve a vite raison de la résistance pourtant âpre du personnel, et nous embarquons tous les uns à la suite des autres.
Après un premier vol en correspondance vers Miami, nous empruntons un second avion qui nous emmène vers l’Argentine et sa capitale, Buenos Aires. En quelques heures, nous passons donc de la chaleur écrasante de l’été newyorkais à l’humidité des tropiques de Floride, pour arriver à la fraicheur, toute relative, il est vrai, des premiers mois d’l’hiver de l’hémisphère Sud.
Une fois atterri, j’envoie un rapide message à Filip, pour le rassurer, si tant est qu’il soit inquiet de me savoir parti pour la semaine. A l’aéroport, un minibus vient chercher notre délégation et nous conduit à l’hôtel. Ewelina, en charge de la gestion des aspects logistiques, baragouine avec le chauffeur dans un espagnol plus qu’approximatif pour lui demander quelques conseils de restaurants et de lieux à visiter lors des moments de temps libre. Par la vitre, je vois défiler la ville, savant mélange entre la vieille Europe et l’Amérique triomphante, où immeubles ultra-modernes et gratte-ciels cossus se marient à merveille avec les édifices rococo qui ne dénoteraient pas dans les quartiers huppés de Madrid ou de Paris.
*
L’ensemble du personnel des Nations Unies est regroupé dans un seul et même hôtel, situé en plein centre de Buenos Aires, à quelques centaines de mètres seulement des rives du Rio de la Plata et du centre de conférences qui accueille la COP. Il n’est donc pas étonnant, en soi, que je retrouve Maria, Hristov et Catherine dans la file pour l’enregistrement et la remise des clés qui serpente dans le hall de l’hôtel. Je suis pourtant estomaqué. Je m’attendais à les croiser, puisqu’il était certain qu’ils participent à l’événement. Mais je ne m’attendais sûrement pas à ce que nos retrouvailles soient aussi immédiates, et brutales. Et se déroulent sous le regard de mes collègues actuels. Evidemment, ce n’est pas de Maria dont je crains la réaction. Dès qu’elle me voit, elle rompt allégrement la file et vient me sauter dessus pour me prendre dans ses bras. La retrouver ainsi, tel que nous nous étions quittés à Genève, l’hiver dernier, me semble surréaliste. Nous n’avions échangé que quelques rares messages depuis mon arrivée à New York, mais je suis ravi de revoir mon amie, une joie visiblement partagée, vu le visage rayonnant que m’adresse Maria au sortir de notre étreinte prolongée.
Catherine, quant à elle, fidèle à sa marque de fabrique, me gratifie d’un sourire un peu distrait et d’un léger geste de la main, puis, sans se formaliser davantage, se dirige à grands pas vers la réception, où un employé vient de se libérer, pour récupérer ses clés et accéder à sa chambre d’hôtel.
Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de Hristov. Mon ex-chef et amant serbe à la silhouette colossale, qui s’est quelque peu épaissie depuis notre dernière rencontre, d’ailleurs, m’adresse un léger hochement de la tête en guise de « bonjour », mais ne quitte pas la file pour venir me saluer en personne. Je suppose qu’il y a encore trop de non-dits entre nous, voire même peut être un peu ressentiment. Chez lui comme chez moi, d’ailleurs. Je décide de l’ignorer superbement et de concentrer mon attention sur Maria, qui me bombarde déjà de questions. Après avoir écumé les plus incontournables « comment vas-tu ? », « comment les choses se passent pour toi, à New York ? », « Et pour toi, à Genève ? », « es-tu bien installé et tes nouveaux collègues sont-ils sympathiques ? », nous décidons de nous retrouver plus tard dans la soirée pour faire le point ensemble autour d’un verre. Comme à la grande époque de notre amitié.
Un rapide passage sous la douche, pour me rafraîchir et tenter me détendre un peu après ce long voyage, puis je descends au bar de l’hôtel ou je retrouve Maria, en tenue décontractée, vêtue d’un simple jeans et d’un pull en mailles, ses longs cheveux bruns tirés en queue de cheval sur sa nuque. Elle m’a déjà commandé un gin tonic, n’ayant rien oublié de mes goûts et de mes habitudes en matière de boissons alcoolisées. Je m’assois face à elle, et le dialogue se renoue peu à peu, une fois passée la gêne inévitable des premiers instants.
- Loïc, souffle Maria d’une voix curieuse, tu dois m’en dire un peu plus sur ta nouvelle vie newyorkaise. Tu ne peux pas savoir à quel point je t’envie…
L’image de notre voyage à New York, avec elle et Ulysse me revient alors en mémoire. Elle était si heureuse de déambuler dans les rues de Manhattan ! Je n’ai donc aucun mal à imaginer à quel point Maria aimerait être à ma place.
- Ecoute, réponds-je en essayant de ne pas trop en rajouter, tout se passe très bien. Tu as vu mes collègues, le petit groupe qui est arrivé en même temps que moi. Tout le monde est sympa, le chef aussi.
- Plus que Hristov ? suppose-t-elle en riant à moitié.
- Plus que Hristov, c’est clair…
- J’ai vu comment il t’avait ignoré, tout à l’heure. Si ça peut te rassurer il est tout le temps comme ça, depuis que tu es parti. Il a complètement changé, il ne fait plus de blagues, il n’essaye plus de sympathiser avec les collègues. Il est entièrement focalisé sur son boulot, et quitte rarement son bureau.
- Il s’est transformé en Catherine, quoi…
- C’est exactement ça, répond Maria d’une voix vive. D’un côté, ça m’arrange, il n’est plus sur mon dos en permanence. Mais d’un autre, l’ambiance est vraiment mortelle. Si tu savais comme je m’ennuie, sans toi…
- Il faudra que tu viennes me voir à New York, alors !
- Je te promets de venir ! Si tu acceptes de m’héberger, bien sûr !
- Il faudra que je demande à Filip, alors, dis-je du bout des lèvres, attendant sa réaction avec appréhension – et ça ne manque pas.
- Filip ?! s’exclame Maria, le visage interloqué. Le même Filip que celui qui avait quitté Genève pour New York après son concours ?
- Celui-là même, réponds-je sur un ton plein d’excuses. Désolé de ne pas te l’avoir dit plus tôt…
- Vous êtes ensemble, lui et toi ?
- Je crois bien, oui. Enfin, c’est même sûr ! On habite ensemble depuis plusieurs mois, maintenant. Et ça se passe plutôt bien, je dois dire…
- C’est génial. Tu étais si triste de le voir partir, je me rappelle, je me demandais même si tu parviendrais à l’oublier… Et au final, pas besoin ! Tu vas presque finir par remercier Hristov pour t’avoir exilé à New York !
- Franchement, je n’en suis pas loin, admets-je en hochant la tête pour marquer mon approbation. Il n’y a pas de nouvelle « Maria » dans ma vie newyorkaise, mais pour le reste je me porte vraiment mieux qu’à Genève, surtout vers la fin…
- Comment ça, pas de nouvelle « Maria » ? C’est impossible ! Je suis ir-rem-pla-çable, je te signale.
Nous rions de bon cœur, heureux l’un comme l’autre d’avoir pu, l’espace d’un instant, retrouver notre complicité.
- D’ailleurs, reprend Maria, en parlant d’amis irremplaçables, tu sais qui j’ai également hâte de revoir, ici ?
Je secoue la tête en guise de réponse négative. Même si j’ai bien un petit doute, je ne veux pas faire savoir à Maria que j’ai moi aussi une autre idée de retrouvailles derrière la tête.
- C’est Alvaro ! Tu sais qu’il travaille pour le ministère du climat de l’Uruguay, maintenant ? Il fait partie de leur délégation à la COP. Je pense qu’on sortira ensemble, dans la semaine. Je ne te propose pas de te joindre à nous : je te l’impose !
Nous trinquons à ce projet qui m’emballe au moins autant qu’elle, sinon plus. Au loin, à l’opposé de la pièce principale, je remarque Idriss et Hristov qui partagent un verre. Idriss semble me faire un signe de la tête pour que Maria et moi les rejoignons. Et c’est tout simplement hors de question. S’il y a bien une chose dont je n’ai pas envie, là, maintenant, et sans doute jamais, d’ailleurs, c’est de me retrouver coincé entre un ex-chef et amant qui m’a muté de force à l’autre bout de la planète pour se débarrasser de moi et mon nouveau supérieur, certes autrement plus distingué que son homologue serbe, mais qui a tout de même rejeté mes avances à la première occasion.
- Je crois que je vais aller me coucher, Maria, dis-je alors en feignant un bâillement, qui, comme tous les bâillements, une fois feint, finit par arriver. Je suis épuisé après le vol…
- Je te comprends, répond-elle, sans savoir pourquoi je précipite mon départ. J’ai le décalage horaire à mon avantage, mais je crois que je ne vais pas tarder non plus.
*
Le lendemain matin, la conférence démarre en trombe, avec un discours choc de la présidente argentine, censé être à la fois suffisamment catastrophiste et raisonnablement confiant pour poser le cadre de la semaine de négociations à venir, et mettre le concert des nations au défi de prendre un engagement à même de répondre au défi sans précédent auquel l’humanité fait face. La femme, de petite taille mais au charisme immense, est vêtue pour l’occasion d’une gigantesque cape en fausses plumes d’oiseaux exotiques, certes un peu trop théâtrale et multicolore pour être réellement jolie, mais qui lui garantit indubitablement de se retrouver photographiée en première page des médias du monde entier.
Le reste de la cérémonie d’ouverture se déroule plus ou moins comme je l’avais anticipé. Et décidé. Le président du Cameroun martèle son engagement pour la protection de la forêt tropicale. La première ministre finlandaise milite pour un rôle accru des femmes dans la transition énergétique. La délégation chinoise implore un monde où la technologie aurait raison de la pollution, et invite ses homologues à réfléchir à des partenariats internationaux en matière de recherche appliquée. Le président américain, quant à lui, brille avant tout par son absence, comme le soulignent les premiers ministres canadien et australien, qui en profitent d’ailleurs pour esquiver les questions-piège sur la politique climatique de leurs pays respectifs. Bref, pas de surprise ! Je relaye régulièrement les meilleures séquences à Filip, par Whatsapp, afin qu’il puisse préparer le point presse de la soirée, agrémentant mes messages de petits commentaires un peu osés à son égard, de quoi maintenir la flamme en mon absence. Mon beau flamand, qui n’est pourtant d’ordinaire pas très porté sur les messages coquins, s’y adonne un peu maladroitement, ce qui me déclenche plus un sourire qu’une verticale érection. Mais c’est déjà pas mal.
Puis, une fois la session d’ouverture terminée, les hommes et les femmes d’Etat quittent le devant de la scène et cèdent leur place aux experts scientifiques et équipes techniques des différents pays. Et les négociations commencent. Mon rôle s’achève plus ou moins ici, et commence la tâche titanesque d’Erika et Sanjay, qui suivent l’aspect technique des négociations. Louise, chargée de relayer les progrès des discussions en temps réel sera elle aussi mobilisée à plein temps tout au long de la conférence. Enfin, Idriss et Ewelina seront également très occupés dans les jours à venir. L’un parce qu’il enchainera les rencontres bilatérales avec les représentants des différents gouvernements, l’autre parce qu’elle a rendez-vous dans plusieurs boutiques de créateurs argentins, et qu’elle compte bien revenir à New York les valises pleines de nouvelles tenues. Pour ma part, je dois simplement rester en alerte, suivre les grandes avancées, et préparer les discours pour la cérémonie de clôture. J’ai déjà plusieurs brouillons prêts à être utilisés, un en fonction de chaque scénario. La tâche devrait donc être raisonnablement aisée.
Après une journée à errer dans les couloirs du centre de conférence, prenant le pouls des négociations auprès d’Erika et Sanjay à échéance régulière, je rentre à l’hôtel à la nuit tombée. Quelques minutes plus tard, je reçois un message de Maria :
« Alvaro est disponible ce soir. On se donner rendez-vous dans le lobby de l’hôtel d’ici une grosse demi-heure et on va manger en ville ? Alvaro m’a dit de te prévenir : habille-toi suffisamment classe pour pouvoir rentrer dans un club, si tu es encore capable de danser après une telle journée ! »
Tu parles, ma grande, je n’ai pas fait grand-chose ! Et suis totalement apte à prolonger la soirée, s’il le faut. Je délaisse mon t-shirt et mon pantalon de jogging pour un jeans sombre et une chemise blanche, en espérant que cela suffise à rentrer dans un club de Buenos Aires. A priori, les argentins ne sont que des cowboys en version latino, ça devrait donc faire l’affaire.
*
Maria et moi rejoignons Alvaro dans une steakhouse du centre-ville. Le bel uruguayen tenait à nous faire goûter à la spécialité locale : la côte de bœuf grillée, « tendre et juteuse, pas comme les steaks en plastique dont vous vous contentez, en Europe », selon sa propre description. Végétarien pointilleux que je suis, je vais sans doute devoir décevoir notre hôte, et me rabattre sur un choix plus respectueux de mes convictions. En espérant qu’il y ait une option salade dans le menu, chose loin d’être acquise dans ce pays addict à la carne rouge.
Si le choix du restaurant n’est pas à mon goût, il n’en va pas de même pour Alvaro. Cela fait maintenant plus d’un an que nous nous sommes vus pour la dernière fois. Le souvenir de son visage viril mais harmonieux, de sa jolie barbe taillée en pointe, de son regard de braise et de ses lèvres rouge brique s’était légèrement estompé dans ma mémoire. Et à le découvrir ainsi, posté en face de la devanture du restaurant, beau comme un dieu, le voilà ravivé. Il porte un jeans sombre, plutôt moulant, et un pull de maille gris qui épouse à merveille la forme bombée de son torse musclé, plus impressionnant encore que lors de notre dernière rencontre. Passer ces quelques mois seul en Uruguay à manger de la viande rouge et, sans l’ombre d’un doute, à soulever de la fonte, n’a pas donc eu que des désavantages. Loin de là.
Débordant de joie de retrouver son ami, Maria saute au cou d’Alvaro en poussant de petits cris d’excitation. Si ça ne tenait qu’à moi, j’en ferais de même. Mais bon, j’essaye tant bien que mal de me tenir à carreau, tant que je suis en mesure de le faire, et opte pour un salut plus sobre, un sorte de poignée de main qui se transforme un peu maladroitement en étreinte pseudo-amicale. Lorsque que nous nous séparons, le regard brûlant d’Alvaro plonge dans le mien, à la fois intense et plein de malice, et je devine déjà comment la soirée risque de se terminer. Du moins, je l’espère.
Le repas me donne l’occasion de dérouiller mon espagnol, que j’utilise finalement peu depuis mon arrivée à New York. Maria me fait remarquer ; à juste titre, que c’est plutôt une bonne chose, car ça signifie que je n’ai pas encore cédé à la tentation de m’offrir une nounou portoricaine ou une batterie de domestiques venus du Mexique ou d’Amérique centrale, comme nombre de mes homologues expatriés. Certes, c’est une manière de voir les choses… Comme prévu, le menu n’avait pas d’option végétarienne. Ou plutôt, en apparence seulement : la « salade de crudités » s’avère en fait être un salade de gésiers. L’Argentine a une vision un peu particulière de ce qui constitue ou non un légume vert.
Hormis cet incident gastronomique, le dîner se passe à merveille. L’alchimie de notre petit groupe fonctionne parfaitement. Vers la fin du repas, sans doute aidé par les quelques verres de merlot engloutis avec l’énorme steak dont il n’a fait qu’une bouchée, Alvaro nous livre quelques informations sur sa nouvelle vie en Uruguay. Il est rentré chez ses parents, et il n’a pas fallu longtemps avant qu’il ne leur avoue son homosexualité. Ces derniers l’ont d’abord plutôt mal pris, avant de revenir à la raison une fois que leur fils ait quitté le domicile familial et coupé les ponts pendant quelques semaines. Finalement, les choses vont beaucoup mieux aujourd’hui. Alvaro n’est pas mécontent d’habiter son Montevideo natal, d’autant plus que son nouveau travail le passionne et lui laisse beaucoup plus de marge de manœuvre pour influencer la prise de décision que son ancien poste à Genève. Bref, quitter les Nations Unies s’est révélé être un pas dans la bonne direction pour notre latino à l’esprit torturé. D’ailleurs, cette confiance en soi retrouvée transpire sur son beau visage. Serein. Séduisant. Plus encore qu’il ne l’était il y a un an de cela.
- Bon, tu vas finir par nous faire pleurer, dit Maria, visiblement émue mais parvenant malgré tout à conserver le ton de la plaisanterie pour détendre l’atmosphère. Puisque c’est ça, je propose qu’on aille fêter ton bonheur retrouvé !
Tout le monde tombe d’accord pour dire qu’il s’agisse d’une excellente idée, et nous quittons le restaurant avec précipitation pour prendre la direction du club soi-disant le plus en vogue de Buenos Aires. C’est Alvaro qui nous y emmène. Il connaît bien la ville, qui n’est à quelques encablures de Montevideo. Deux heures et demi de ferry, pour être exact. J’ai vérifié sur Google Maps.
Une fois plongé dans l’ambiance moite et étouffante du club, le vin me monte rapidement à la tête. Et les verres de gin tonic que j’enchaine pour essayer de me désaltérer aussi. Très vite, Alvaro, Maria et moi sommes complètement désinhibés par l’alcool. Nous nous agitons comme des dérangés en plein milieu de la piste de danse, pas toujours avec élégance et raffinement, mais toujours en riant aux éclats. Cette scène me ramène quelques mois en arrière, lors du pot de départ d’Alvaro. Je retrouve ses gestes sensuels et virils. Son visage en transe, qui se secoue au rythme de la musique latine. Ses lèvres charnues et sombres sur lesquelles s’impriment les paroles de chansons que je n’ai jamais entendu, et qui, pour être tout à fait franc, se ressemblent toutes. Se mélangent les unes aux autres dans mon esprit confus. A chaque coup de hanche qu’il donne, à gauche ou à droite, peu importe, mon cœur fait un bond vertigineux dans ma poitrine. Et mon entrejambe se fait un peu plus à l’étroit dans mon jeans.
*
Nous avons dansé de la sorte pendant des heures, jusqu’à ce que le club ferme ses portes. Harassés par l’effort, nous avons commandé un taxi pour nous ramener à l’hôtel. Alvaro, pourtant logé dans un établissement différent, a insisté pour nous accompagner. Et, d’une manière ou d’une autre, et je ne saurais pas dire exactement comment, encore trop imbibé de boisson pour comprendre ce qu’il se passe autour de moi, nous avons réussi à nous dire adieu, tous les trois, à nous embrasser, à tour de rôle, puis à nous débarrasser de Maria, sans qu’elle ne s’en rende compte, et à nous retrouver tous les deux, Alvaro et moi. Sur le parvis de l’hôtel. Le front encore luisant de sueur, et transis par le froid mordant de la nuit porteña*.
Sans un mot, nous nous sommes dirigés vers ma chambre. Moi en éclaireur. Lui en embuscade, juste derrière moi, si proche que je sentais son souffle brûlant s’évanouir sur ma nuque. Quand la porte de ma chambre se referme derrière lui, Alvaro se précipite sur moi, et, dans un élan de passion que je n’avais pas connu depuis longtemps, m’embrasse de toutes ses forces, faisant travailler de concert ses mains larges et puissantes sur mon torse, ses lèvres douces et pleines sur les miennes, et sa langue ardente qui se glisse dans ma bouche sans rencontrer la moindre résistance. Emportés par notre baiser, nous nous jetons l’un contre l’autre, puis lui contre moi, et moi contre le mur. Emprisonné par ses bras épais. Il me soulève légèrement, pour que mon visage soit à la hauteur du sien. Et applique à mes lèvres un baiser si long et torride que j’en perds la notion du temps.
Quelques secondes, minutes ou peut-être même quelques heures plus tard, qui sait, Alvaro me conduit jusqu’au lit, et m’y dépose avec douceur. Lui reste debout, au pied du lit. Il se défait de son pull en mailles alors que je retire ma chemise imprégnée de sueur. Je redécouvre alors son torse, large, bombé, recouvert d’une épaisse toison brune, où je m’empresse d’enfouir mon visage pour rappeler son odeur suave et mâle à ma mémoire. Je le respire. Ivre de vin, de gin, de phéromones et de désir. D’une main sournoise, il défait le bouton de son jeans et baisse sa fermeture éclair. Puis, dévoile sa queue, courte mais épaisse, brune et délicieuse, dont le souvenir ému m’appelle à venir y déposer mes lèvres gonflées d’envie. J’emprisonne ainsi son gland sombre juste à l’orée de ma bouche, et commence à le sucer avec application, lentement, d’abord, puis de plus en plus rapidement, guidé par le rythme imposé par sa main qui me tient fermement la nuque.
Et puis soudain, alors que je n’étais pourtant pas prêt d’interrompre ma besogne, Alvaro me repousse et s’agenouille devant moi. Il dégrafe mon pantalon, et, sans la moindre hésitation, vient chercher mon sexe au fond de mon caleçon, pour y appuyer ses délicieuses lèvres rouge brique. La sensation de plaisir qui s’empare de moi est incomparable à ce à quoi je suis habitué. Les mouvements de sa langue sur mon membre provoquent chez moi de véritables tremblements. Incontrôlables. En enfin, alors que je croyais l’extase à son apogée, Alvaro se retire et se relève d’un trait.
Sa main virile plonge dans la poche de son jeans, et il en sort un préservatif. Il m’interroge du regard. Sans un mot. Je sais parfaitement où il veut en venir. Pas besoin de me faire un dessin. Je hoche la tête avec frénésie, et me débarrasse de mon pantalon et de mon caleçon, qui atterrissent à mes chevilles. Alvaro enfile la capote, et la couvre de salive, pour pallier le manque de lubrifiant. Puis il s’approche de moi, et replie mes jambes, place mes chevilles sur ses épaules, et colle son gland large et rond contre mon trou encore serré.
Habitué à accueillir Filip, dont la queue doit être plus ou moins de la taille de celle d’Alvaro, je me détends très vite, et, centimètre par centimètre, commence à sentir Alvaro qui s’enfonce en moi, de tout son poids, de toute sa virilité. Il termine de s’insérer dans un long soupir rauque. J’avais oublié à quel point la sensation procurée par l’épaisseur son membre n’était que pure jouissance. Tout comme les mouvements lents et régulier qu’il impose à mon derrière. Je ferme les yeux, et me focalise sur sa queue, qui m’évide, puis me remplit, se fraie un chemin de plus en plus profond en moi. Je jubile. Laisse échapper quelques gémissements évocateurs. Puis, quand je rouvre les yeux, j’ai le privilège d’admirer le visage rassurant de mon bel uruguayen, visiblement concentré sur son œuvre. La sueur perle au coin de son front, sur sa tempe. Et, alors que ses va-et-vient se font plus violents, il me décroche un long baiser, collant ses lèvres aux miennes pour tenter tant bien que mal d’étouffer mes jappements de plaisir.
J’ai l’impression de flotter, dans un état second, sous l’effet de ses saillies. D’ailleurs, je jouis sans pouvoir m’en empêcher, et sans que lui ou moi n’ait effleuré mon sexe. Un ou deux jets giclent avec force de ma queue et atteignent mon torse. Voire même mon menton. Puis, me découvrant ainsi couvert jusqu’au cou de mon propre jus, Alvaro ne peut que m’accompagner. Je le sens se raidir en moi, ses bras et ses jambes se crispent. Il émet quelques grognements d’animal. Et sa semence termine sa course au fond du préservatif. Puis, Alvaro s’effondre entre mes jambes. La tête posée contre ma poitrine. Son corps tout entier est recouvert d’une fine pellicule de transpiration.
La sensation de chaleur qui s’empare de mon bas-ventre me laisse songeur. On ne m’avait pas pris comme ça depuis une éternité. C’est cruel, et injuste, d’avoir une telle pensée à ce moment précis, mais je ne peux m’en empêcher : je dois me rendre à l’évidence, Filip ne fait vraiment pas le poids, sur ce plan-là.
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