Chapitre 10. L'afterwork
Quitter un meublé pour un autre présente l’avantage de ne pas avoir à gérer la logistique d’un déménagement complet. Filip et moi avons donc rassemblé nos affaires dans de grands sacs et valises, avant de prendre un simple taxi vers le nouvel appartement. Le chauffeur, un pakistanais pas franchement aimable, nous a jeté un sale regard, sans doute avait-il l’impression de se faire avoir en beauté, à jouer les déménageurs pour le prix d’une simple course. Il a tout de même essayé de nous imposer des frais supplémentaires pour le nombre de bagages transportés, mais s’est finalement rabattu sur le tarif classique après avoir vu ma réaction outrée. Je doute qu’il ait pris le chemin le plus court, après cela, mais nous sommes finalement arrivés à bon port, une grosse demi-heure plus tard. Et pour un prix modique.
Notre nouvel appartement, à Filip et moi, se trouve toujours dans l’Upper East Side, un peu plus proche de l’Hudson. Le quartier est plus animé, l’entrée de l’immeuble est située sur une large avenue bruyante, mais les fenêtres de l’appartement donne sur l’intérieur du bloc, plus paisible, et même presque verdoyant, peuplé de quelques arbres encore nus en ce début du mois de mars. Après avoir monté les sacs et valises jusqu’au treizième étage, heureusement avec le concours bienvenu d’un ascenseur, nous avons déballés nos affaires et investi nos placards. Dans une atmosphère heureuse et détendue, je dirais. Comme dans les publicités pour les assurances, où un jeune couple s’installe dans son premier appartement. Filip me décochant régulièrement un baiser ou deux, voire une affectueuse tape sur les fesses. Pour que l’on maintienne le rythme.
Puis, très vite, c’est au tour de mes affaires de Genève d’arriver par camion, le porte-conteneur ayant accosté en début de semaine dans le port de New York, après une traversée de l’Atlantique éclair depuis Anvers. « Historiquement, le principal port d’Europe continentale pour les trajets transatlantiques » comme s’évertue à me rappeler Filip, anversois d’origine et visiblement fier de l’être. Je le fais taire en posant mes lèvres sur les siennes. Douces et tièdes. Un magnifique sourire se dessine sur son visage blond. Rayonnant. Solaire. Ses mains puissantes se posent sur mon torse, sur mon entrejambe, sur mon derrière, et y dessinent des caresses évocatrices de futurs ébats passionnés.
Il me rend mon baiser avec une tendresse infinie. Sachant raison garder, je me sépare de Filip à contre-cœur et entreprends de vider les innombrables cartons qui me sont parvenus de mon ancien chez-moi genevois. La motivation retrouvée à l’idée de finir cette journée épuisante dans les bras de mon beau flamand. Et, soyons réalistes : plus vite j’aurais terminé d’entreposer mes assiettes dans les placards de la cuisines et mes lampes dans les étagères du salon, plus vite nous pourrons passer aux choses sérieuses, et inaugurer notre nouvelle chambre par une première nuit d’amour.
*
De retour au bureau, le lundi suivant, j’ai les biceps en compote et le bas du dos courbaturé. Et pourtant, ce n’est pas comme si j’avais porté un triptyque d’armoires normandes sur cinq étages sans ascenseur, dans une cage d’escalier trop étroite. Mais visiblement, il ne m’en faut pas plus. Malgré tout, mes nouveaux collègues semblent compatir. Ça ne m’étonne pas de la part d’Erika et de Sanjay, qui sont clairement nés avec une cuillère en argent (voire en or massif) dans la bouche, et n’ont pas l’air d’avoir beaucoup remué leur petit doigt de leur vie. Le simple fait que je déménage sans faire appel à une société spécialisée les a déjà grandement impressionné.
- Si tu as besoin, je connais un mec qui saura te faire ça pour pas cher, m’avait dit Louise, d’un ton mystérieux. Ne me demande pas comment je le connais ni où je l’ai rencontré, mais il est super pro.
Je n’ai pas insisté, me sentant parfaitement capable de me débrouiller tout seul. Et surtout quelque peu dubitatif quant à la proposition plutôt louche de Louise, qui, chaque jour que nous passons ensemble dans le bureau, me semble être plus étrange encore. Et vivre en marge du reste de la société.
Pour le reste, les préparations de la prochaine conférence pour le climat de Buenos Aires vont bon train. Ce matin, nous avons une réunion d’équipe, avec Idriss et Ewelina. Je prépare rapidement mes notes, réfléchis encore quelques minutes à des ajustements dans l’agenda de la plénière d’ouverture et modifie l’ordre des interventions pour prendre en compte les équilibres politiques. Une fois prêt, je suis Erika, Sanjay et Louise jusqu’au bureau d’Idriss, où Ewelina nous accueille chaleureusement, sublime comme toujours, dans une magnifique combinaison noire dans un tissue riche et fluide qui virevolte au moindre de ses mouvements et lui donne l’air d’un mannequin en plein défilé.
Idriss nous rassemble autour de la table de réunion, tout sourire, et nous demande à chacun de faire le point sur les préparatifs. C’est Louise qui commence. Lapidaire dans ses réponses. Mais précise et, d’après ce que je peux juger, plutôt efficace dans son approche. Elle semble avoir de bonnes relations avec le gouvernement argentin, avec qui elle est en contact régulier. Elle s’occupe principalement de la communication, ce qui est relativement peu surprenant, avec la personnalité excentrique et le style vestimentaire décalé qui est le sien. Puis Erika et Sanjay enchainent en évoquant leurs analyses des contributions proposées chaque Etat.
Ewelina, qui est censée rédiger le compte-rendu pour Idriss, est visiblement complètement perdue, et demande plusieurs fois à ce qu’ils répètent. Elle semble d’ailleurs ne pas avoir du mal qu’avec les concepts scientifiques et les formules mathématiques : plusieurs fois, elle écorche le nom d’un petit pays africain ou d’une île dans le Pacifique – le « Mala-qui ? », le « Vanua-quoi ? » - déclenchant de légers sourires moqueurs chez le reste d’entre nous. Mais Ewelina est d’un naturel si désarmant que cela en devient presque charmant, et personne ne pipe mot, Idriss veillant de toute manière au grain à ce que chacun reste courtois. Sa manière d’animer la réunion est vraiment agréable, et son amabilité et sa gentillesse à toute épreuve me permettent vraiment de me sentir dans mon élément.
Je dois avouer que je suis tout autant séduit par sa personnalité que par sa personne, ses gestes chaleureux, ses yeux sombres et francs qui vous encouragent et vous rassurent lorsque vous prenez la parole, et sa manière de sourire brièvement mais systématiquement après que chacun ait parlé. Il s’avère être particulièrement patient avec moi, et s’efforce de m’expliquer tout ce qui n’est pas une évidence lors de face-à-face réguliers dans son bureau. Pour résumer, c’est un homme charmant, intelligent, et qui sait parfaitement gérer ses équipes en conséquence. Bref, tout l’inverse de Hristov.
- Loïc, à ton tour me dit-il, une fois qu’Erika et Sanjay ont terminé. Où est-ce que tu en es rendu avec le programme.
- J’ai fait quelques ajustements pour refléter l’état des négociations. Je pense que le Cameroun devrait représenter l’Afrique dans le premier panel, plutôt que l’Afrique du Sud, pour pouvoir parler de leur engagement en faveur de la protection de la forêt tropicale.
- Bonne idée, répond Idriss avec un sourire appuyé, en plus ça permettra de casser le bloc francophone pour le panel suivant.
- Oui, tout à fait. J’ai aussi révisé les notes explicatives pour les modérateurs et intégré les derniers changements politiques en Asie du sud-est, après les élections en Thaïlande et le changement de régime au Myanmar.
- Excellent. On n’a presque plus rien à t’apprendre, Loïc !
- Pour le reste, ce ne sont que des évolutions mineures par rapport à ce que tu as déjà validé. Je peux t’envoyer un récapitulatif par mail avec le suivi de changement.
- On fait comme ça, merci Loïc, dit Idriss d’un ton chaleureux avant de poursuivre, en s’adressant au groupe tout entier, cette fois. Bon, je pense qu’on a fait le tour pour aujourd’hui. Je voulais juste vous rappeler que ce soir, nous avons le fundraiser de John Newman. Je sais qu’il est insupportable et que sa conversion à la protection de la planète est plutôt récente, mais on a besoin de ses dons, donc je compte sur vous pour être présents, et souriants !
Ewelina proteste, elle ne pourra pas venir car elle doit conduire ses nombreux enfants à leurs activités extra-scolaires du soir, évidemment différentes pour chacun, de la danse classique au cours de piano, en passant par « le hip hop pour mon fils adolescent », pour reprendre ses mots. L’événement de ce soir m’était complètement sorti de la tête. J’envoie un message à Filip en sortant du bureau d’Idriss :
« Ne m’attends pas ce soir, j’ai un afterwork. Tu vas me manquer ! »
Il répond un simple « Toi aussi ! » accompagné de plusieurs émoji « cœur » un peu ridicules mais qui me fendent le cœur en mille morceaux. Je crois que je suis en train de devenir sentimental, avec Filip. De m’attacher vraiment. En même temps, il vaut mieux, puisque l’on vient de signer un bail d’un an à nos deux noms.
*
La levée de fonds à lieu sur la terrasse d’un gratte-ciel emblématique de Manhattan, avec une vue imprenable sur la jungle urbaine qui s’étend à perte de vue, et sur l’Hudson qui marque l’horizon, seul élément horizontal de ce paysage de forêt de béton, de verre et d’acier en perpétuel mouvement. John Newman est l’archétype du milliardaire newyorkais. La soixantaine déjà bien entamée, mais une santé de fer insolente. Le costume hors de prix à la chemise déboutonnée au col, pour paraître plus décontracté lors des événements mondains. Il multiplie les promesses de dons pour des causes peu controversées, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la recherche médicale. Et ce toujours en présence de nombreux journalistes, car Newman n’est pas fou, et tient à soigner son image, sans doute en perspective d’une prochaine candidature à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine.
Bref, le paysage est superbe, la foule est au rendez-vous, les tenues des femmes sont plus éblouissantes les unes que les autres, et les discussions sont superficielles, égocentriques, et tournent autour de l’argent, nerf de cette guerre sociale qui se joue devant mon regard agacé. Je ne suis pas le seul à trouver le spectacle répugnant. Certes, Erika, la « newyorkaise typique », est comme un poisson dans l’eau dans ce genre d’environnement. Sanjay, pour sa part, est trop timide et socialement inapte pour oser prendre position. Il s’est d’ailleurs éclipsé avec un groupe d’ingénieurs tous aussi paumés les uns que les autres dans cette démonstration outrancière de fric et de glamour, sans doute pour parler comptabilité climatique. Idriss et Louise, en revanche, ont également un œil sévère devant tant de frivolité et d’hypocrisie. Le premier, par véritable conviction environnementaliste. La seconde par haine à peine dissimulée de l’humanité toute entière et plus particulièrement encore de son « élite capitaliste mondiale, stupide et décomplexée de l’être grâce à des années de lobotomisation dans des établissements privés hors de prix où on leur a inculqué à grands coups d’ateliers pour la confiance en soi qu’ils étaient la crème de la crème de la race humaine ». Je la cite, bien évidemment. Mais sans ne trouver rien à redire de cette analyse cruelle et réaliste, ce qui semble être la spécialité de l’esprit acerbe de Louise. Que je commence à apprécier.
N’étant visiblement pas capable de faire semblant plus longtemps, elle quitte d’ailleurs précipitamment la soirée avant que Newman ne prononce son speech, me laissant seul avec Idriss, certes un peu moins extrême dans ses propos mais tout aussi mal-à-l’aise dans cet univers outrancier. Et alors que Newman monte sur la scène qui surplombe la foule, Idriss me jette un regard complice et exaspéré d’avance. Le discours commence. Insupportable d’autocongratulation. Et franchement mal rédigé. Alignant les constats ridicules, inutiles, et les formules toutes faites. L’homme n’a, pour ainsi dire, que très peu de charisme, il est même étonnant qu’il soit parvenu à faire fortune dans la finance, domaine qui repose en grande partie sur sa capacité d’un individu à convaincre pour entourlouper à la fois ses clients et ses concurrents. Alors que le one-man-show n’en est qu’à sa moitié, et encore, Idriss s’agite à mes côtés. Il grommèle à voix basse, de sorte que je sois le seul à l’entendre :
- Mais quel abruti… Je ne vais pas tenir une minute de plus à écouter ses conneries.
Puis il se dérobe, se frayant un passage dans la foule dans l’indifférence générale, le reste de l’assistance étant en extase complète devant celui qu’elle considère comme une semi-divinité. N’étant pas particulièrement intéressé par la suite des annonces de Newman, je décide de suivre Idriss.
Je le retrouve quelques instants plus tard, à l’écart du reste des invités, dans un endroit calme et isolé, accoudé au rebord de la terrasse, le visage encore un peu agacé mais les gestes déjà plus détendus. Une cigarette grillant entre lèvres. Il a défait sa cravate et ouvert quelques boutons de sa chemise, laissant apparaître quelques poils bruns et frisés. Ses cheveux noirs et ondulés flottent vaguement dans la brise légère du printemps en train d’éclore. Je le salue d’un petit geste, et il me fait signe d’approcher.
- Tu fumes ? me demande-t-il en français, en me tendant son paquet de cigarettes.
Je ne fume pas, mais accepte l’offre, ne me demandez pas pourquoi. Il n’y a pas d’âge pour succomber à la pression stupide de vouloir apparaître « cool » aux yeux de ses pairs. Et puis je crois, tout au fond de moi, que j’espérais un peu le voir allumer ma cigarette une fois celle-ci entre mes lèvres, dont il approcherait ses mains viriles. Ce qu’il fait, pour mon plus grand bonheur. Je tire sur le filtre et aspire un grande bouffée de fumée. Et dois produire tous les efforts du monde pour me contenir et ne pas partir dans une interminable quinte de toux.
- Ce type est vraiment insupportable, poursuit Idriss, feignant de ne pas remarquer ma détresse respiratoire. Il se prend pour un sauveur, alors qu’il a contribué au réchauffement climatique plus que quiconque d’autre présent ce soir. Tu sais qu’il possède toujours des parts dans des sociétés pétrolières ?
- Il le cache bien, mais je l’ai dû le lire quelque part. C’est un bel arnaqueur.
- Oui, il donne un million par-ci, un million par-là, ce qui ne représente absolument rien pour lui, c’est comme si toi et moi donnions cinquante dollars, et ça suffit à ce qu’il se rachète une conscience et une réputation aux yeux de tous…
- Ouais, c’est dégueulasse, ajouté-je sans trop savoir quoi dire de plus.
Le sujet est clos. On termine notre cigarette en discutant de tout et de rien. Idriss s’exprime toujours dans un français si parfait qu’il en devient presque exaspérant. Mais j’y devine malgré tout une intonation étrangère, très légère, mais absolument captivante, située quelque part entre l’accent américain et ce que j’imagine être l’accent arabe, sans être parfaitement sûr si ce que j’entends est bien le fruit de ce métissage béni des dieux.
Pour ne pas tourner plus longtemps autour du pot, je suis tout bêtement en train de tomber sous le charme d’Idriss. Ses yeux noirs et rieurs. La manière dont il passe sa main dans ses cheveux noirs et ondulés pour les remettre en place. Le sourire éclatant, plein de contraste entre ses dents blanches et ses fines lèvres brunes. Perdues dans la toison impeccablement entretenue de sa barbe sombre, légèrement plus épaisse au-dessus des lèvres. J’essaye de faire preuve de retenue en le dévorant des yeux, mais ce ne doit pas être très efficace, car je le devine légèrement troublé par ma présence. Il prétend vouloir arrêter de fumer, puis me propose une autre cigarette. Que j’accepte, également. Hypnotisé par la tension sensuelle qui se devine de plus en plus entre mon chef et moi.
Il me tend une nouvelle cigarette. Ma main effleure la sienne. La sensation est électrique. Je frémis. Idriss aussi. C’est presque si je devine ses poils se dresser sur sa peau ambrée. Le temps est suspendu. Je le sens très nerveux. Ses doigts s’agitent légèrement. Mais il semble avoir envie que quelque chose se passe, entre lui et moi. Et l’envie est réciproque. A cet instant, je ne pense qu’à ça. Qu’à lui. Le reste n’a plus d’importance. Le reste n’existe plus. Je m’approche d’Idriss, très doucement, pour ne pas le faire fuir, et dépose un baiser sur ses lèvres foncées. Les poils de sa barbe viennent caresser ma lèvre supérieure. Son souffle chaud frôle les contours de ma bouche. Se glisse dans la fossette entre mes lèvres et mon nez. Puis sa langue vient se frotter contre la mienne. Légèrement parfumée par le tabac. Sans que ce soit désagréable.
Ignorant la cigarette qu’il me tend toujours, je viens plaquer ma main contre sa nuque, et donne à notre baiser une dimension plus sauvage. Il m’imite, enfermant mon visage dans la chaleur de ses larges paumes. Nos langues se lient et se délient, se battent entre-elles dans un duel délicieux.
Soudain, Idriss se détache de mes lèvres. Et se détourne de moi. Le visage pris de tics. Les gestes agités. Il replace la cigarette qu’il allait m’offrir dans le paquet, et triture machinalement l’alliance argentée qu’il arbore à la main droite. Les yeux rivés sur l’Hudson, au loin, qui prend peu à peu une couleur métallique sous l’effet du coucher du soleil.
- Loïc, dit-il enfin, sans me regarder pour autant, ce n’est pas une bonne idée.
Je ne dis rien. Le temps pour moi d’encaisser la sentence qu’il vient de prononcer. Interprétant mon silence comme une demande de plus d’explications, Idriss poursuit sa tirade embrassée :
- Je suis ton chef, je suis marié, et …
- Tu as raison, Idriss, le coupé-je brusquement. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je t’assure que ça ne se reproduira plus.
- Ne t’en fais pas, tu n’es coupable de rien, répond Idriss d’un ton compréhensif, avec peut-être même une pointe de déception. J’en avais envie aussi… Mais je te propose qu’on rentre chacun chez soi, qu’on se change les idées, et qu’on revienne au bureau demain en ayant définitivement fermé cette parenthèse.
J’acquiesce. J’ai les joues en feu, même si je dois avouer qu’il a été très diplomate dans sa manière de me rejeter. Décidemment, même quand il dit « non », il sait le faire en parfait gentleman… Ne trouvant rien à ajouter, Idriss se retire dignement et me laisse seul face au panorama majestueux de la nuit tombant sur New York. Il n’y a pas meilleur remède pour apaiser la blessure un homme éconduit.
*
J’entre dans l’appartement, en silence. Tout est noir, Filip est déjà couché. Ce n’est pas plus mal, de voir son beau visage et son adorable sourire m’accueillir quelque part entre le salon et la cuisine m’auraient ravagé le cœur. Je passe rapidement à la salle de bain, me rince la bouche et me brosse les dents. Pour effacer l’haleine de tabac froid. Sait-on jamais. Puis quitte mes vêtements du soir pour un simple caleçon qui suffit généralement à me tenir chaud lors des nuits partagées avec Filip, qui génère à lui seul suffisamment de chaleur pour deux.
Je regarde mon reflet dans la glace. Petit à petit, je me trouve assailli par les remords. Je n’aurais pas dû me laisser emporter de la sorte, j’ai été stupide, égoïste, et me suis comporté comme un parfait abruti. Tout ça pour quoi ? Quelques secondes d’un plaisir coupable… Et encore. Après mon expérience malheureuse avec Hristov, on aurait pu imaginer que la leçon avait été apprise. Que je ne recommencerais plus, ou du moins, pas de sitôt. Ou, strict minimum de la décence, que je serais un poil plus prudent, désormais. Et plus intelligent. Bref, manifestement, ce n’a pas été le cas ce soir. Idriss a eu raison de mettre un terme à l’expérience avant qu’il ne soit trop tard. Furieux envers moi-même, je me fais promettre que cela ne recommencera pas.
Une fois prêt, physiquement et psychologiquement, je sors de la salle de bain et pénètre dans la chambre. Filip semble déjà profondément endormi. Je me glisse doucement entre les draps, sans faire de bruit. Mon côté du lit est encore frais, je tressaille. Et soudain, le bras de Filip s’abat sur moi, et toute la chaleur de son corps me recouvre. Il ne dormait pas si profondément que ça, visiblement. Je sens la piqûre de sa barbe sur la peau nue de mon cou. Il y dépose un baiser. Puis un autre. Et encore un autre. Toujours échaudé par la honte, je décide finalement d’y mettre du mien, et me retourne vers lui, et goute ses lèvres, d’abord, puis sa bouche toute entière.
La familiarité et la tendresse de ce baiser, si différent de celui échangé en cachette avec Idriss plus tôt dans la soirée, précipité et malhabile, me console quelque peu. En quête d’encore un peu de réconfort, j’enfouis mon visage contre le torse musclé de mon bien-aimé, et viens lécher ses tétons qui se durcissent sous la pointe ma langue. Je descends rapidement vers son bas-ventre, et remarque qu’il ne porte pas de sous-vêtement, même pas de petit slip moulant comme il en a l’habitude. Ou peut-être l’a-t-il retiré en m’entendant rentrer. Peu importe, cette configuration nouvelle me permet d’accéder directement à sa queue, déjà raide, et à l’avaler d’un trait, pour y appliquer un rapide mouvement de succion. Mes lèvres s’accrochent à son gland gorgé de sang et de plaisir, et coulissent le long de son membre qui se raidit davantage en réaction. J’entends Filip gémir, plus haut, signe que, malgré mon œuvre un peu précipitée, il apprécie le geste.
Enfin, pour finir de me racheter, je roule sur le ventre et, le guidant par la main dans l’obscurité de la chambre à coucher, lui indique le chemin de mon trou, qu’il trouve facilement. Son gland encore humide de ma salive se colle contre ce dernier, et s’y introduit sans effort particulier. S’en suit le reste de sa queue, qui me pénètre de toute sa longueur jusqu’à ce que son pubis se colle à mon derrière. Je me suis parfaitement accoutumé à le recevoir ainsi. Entrainé par des semaines de répétition où cet exercice a fini par se ritualiser. La suite, aussi, ne me laisse aucune surprise.
Filip se tend en moi et, accélérant le rythme petit à petit, inflige d’amples saillies à mon derrière qui l’accueille. M’arrachant de longs gémissements, et même quelques cris de plaisir. Très vite, une sensation chaude et familière jaillit en mon for intérieur. Il se vide en moi, puis, après s’être retiré, s’endort subitement, me laissant seul avec mes remords. L’esprit trop préoccupé pour avoir sommeil, je traîne encore quelques minutes sur mon portable. J’ouvre les applis au hasard, sans n’avoir rien d’autre à faire. Soudain, sur LinkedIn, je remarque une invitation. D’un certain Alvaro, travaillant pour le ministère de l’environnement et du climat de l’Uruguay. Tiens ! Ça me dit quelque chose, pas vous ?
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