Chapitre 24. La campagne électorale

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Sept heures moins cinq. Plus que quelques minutes avant les premières estimations officielles. L’ambiance est tendue. Nous sommes en comité restreint dans le salon notre appartement, en plein cœur d’un São Paulo étrangement calme pour une fin d’après-midi dominicale. Moi, Luiz, et son directeur de campagne, Emerson. Une petite dizaine de cadres du parti et de militants. Deux journalistes, dont les caméras et les micros ne tournent pas encore, comme convenu. C’est tout. Un silence pesant règne sur la pièce, entrecoupé de murmures discrets et de timides éclats de voix, tentatives futiles de détendre l’atmosphère. Nous sommes tous rongés par le stress. Luiz, et c’est bien normal, est le plus affecté d’entre nous. Je le regarde, face à moi, faisant les cents pas autour de la table à manger, évitant de croiser nos regards, de peur d’y déceler quelque chose, une émotion, un sentiment, ou que sais-je, en tout cas, quelque chose qu’il ne pourrait pas encaisser. Les nerfs à vif. La mâchoire serrée. Les épaules voûtées, ployant sous la pression médiatique, et, peut-être plus encore, sur celle de l’espoir que, tous ici, nous fondons sur sa candidature. Quel que soit le résultat, c’est notre héros du soir. Lui qui n’a pas démérité une seule fois lors de cette drôle de campagne, acceptant de prendre au pied levé la succession du très charismatique Fábio Martins, tombé sous les balles d’un militant d’extrême-droite lors d’un vendredi noir à Belo Horizonte. Et faisant mieux que simplement acte de présence. Tirant le parti vert vers le haut, dans les sondages, d’abord, et dans le cœur des brésiliens, surtout. Il avait su convaincre. Défier les adversaires politiques les plus aguerri, y compris dans un âpre débat télévisé à la veille du scrutin, dont il était sorti vainqueur.

La campagne n’a pas été une partie de plaisir pour autant. Il y a eu les calomnies, les insultes. Les slogans scandés par le candidat de la droite évangéliste, Nelson Carvalho, et repris en chœur par ses supporters dans la rue, dans les stades, sur Twitter. « Pas de péché au Planalto* ». « Dieu et patrie : Luiz, non merci ». « Ni folle rouge, ni folle verte au pouvoir. Votez Nelson ». Une référence peu élégante aux deux principaux opposants de ce dernier, en tête dans les intentions de vote, talonné par Ana Melo, « la folle rouge » du parti des travailleurs, et Luiz, mon Luiz, « la folle verte » du parti écologiste. Même moi, pourtant resté en retrait de la campagne, n’ai pas échappé à quelques quolibets, qui, je peux désormais vous le dire, et fort heureusement d’ailleurs, vous affectent beaucoup moins lorsqu’ils sont proférés dans une langue étrangère.

En dépit de ce climat électoral délétère, Luiz est devenu de plus en plus populaire, au fil des semaines, ce qui n’a pas manqué d’agacer la sphère ultraconservatrice qui domine l’élite politico-économique du Brésil. Heureusement, quelque part, qu’il était blanc, sans quoi il aurait coché toutes les cases de ce qu’abhorrent les puissants dans ce pays pourtant si divers et métissé. Dans les dernières enquêtes, Luiz n’était plus qu’à quelques points d’Ana Melo, sa principale rivale à gauche. L’espoir est donc permis, ce soir. De toute manière, nous n’aurons plus à tergiverser longtemps.

Sept heures moins une. Les secondes défilent sur l’écran de la télévision, un décompte savamment orchestré pour faire monter la pression, qui devient vite insoutenable. Luiz ne tient pas en place. Les mains derrière la tête, il regarde la télévision du coin de l’œil, l’air terrifié. Je ne peux supporter de le voir souffrir autant... Sans prévenir, j’intercepte Luiz dans sa ronde infernale, et plonge mon regard dans le sien, paniqué. Pour tenter de l’apaiser, je dépose un baiser sur ses lèvres, scellées par l’angoisse.

- Quoi qu’il arrive, Luiz, tu peux être fier de toi, tenté-je de le raisonner, de le rassurer. Moi, je le suis. Tout le monde ici le sera. Quoi qu’il arrive. Tu m’entends ? Quoi qu’il arrive.

Je sais que ça ne vaut pas grand-chose, ce n’est pas ces quelques paroles convenues qui vont faire dire à mon beau brésilien « mais oui, c’est vrai, tu as raison, pourquoi est-ce que je stresse, au fond, c’est ridicule, ça ne changera rien ». Mais bon, c’est le service minimum, quand même.

Plus que dix secondes. Neuf... Les journalistes demandent l’autorisation de filmer, pour capturer notre réaction. Emerson, le directeur de campagne de Luiz leur fait « oui » d’un signe de la tête. La mine grave. Les yeux rivés sur l’écran. Six. Cinq. J’ai peur… Quatre. Trois. J’ai si peur… Deux... Et qu’est-ce qu’il se passe s’il perd, on retourne à nos vies d’avant, comme si de rien n’était ? L’idée me paraît incongrue, maintenant, on n’a pas fait tout ça pour revenir à la routine du quotidien… Un... Et s’il passait au second tour ? Et s’il gagnait… Le grand saut vers l’inconnu, la tête la première et les yeux fermés… Je préfère ne pas y penser. Je n’ai pas le temps, de toute façon. Zéro...

Sur l’écran, s’affichent trois visages. Celui d’Ana Melo. « 17,1% ». Celui de Luiz. « 18,4% ». Et celui de Nelson Carvalho. « 34,8% ».

Luiz est devant Ana Melo. Il est qualifié pour le second tour. Le premier candidat gay, de moins de quarante ans, et écologiste à passer le cap du premier tour dans une élection présidentielle au Brésil. Et sans doute, dans une élection tout court. C’est un moment historique que nous sommes en train de vivre. Par réflexe plus qu’autre chose, je me tourne vers mon beau brésilien, et l’embrasse de toutes mes forces. L’aventure continue.

*

Quelque jours plus tard, en plein entre-deux-tours, le bus officiel de la campagne nous dépose devant un hôtel du front de mer, en plein centre de Rio de Janeiro. Ce sera le dernier meeting de la campagne. Le point culminant de plusieurs mois de travail acharnés, à parcourir l’immense pays qu’est le Brésil, du nord au sud, d’est en ouest. En bus, en avion, et même en pirogue, pour se rendre dans les recoins les plus reculés d’Amazonie. A serrer des milliers de mains, embrasser une bonne centaine de vieillards et de bébés. Comme si les baisers de Luiz étaient portaient chance, ou rendaient la santé. A en juger par l’aura quasi-mystique dont bénéficient les hommes politiques brésiliens auprès de leurs plus fervents supporters, c’est peut-être même le cas, au moins par effet placebo. « Luiz, thaumaturge des temps modernes »...

A la sortie du bus, nous sommes rejoints par Mauricio Nunes, le candidat au poste de vice-président. Issu d’un petit parti libéral du centre du pays, dépourvu de la moindre de chance de l’emporter en son propre nom ou en celui de son parti, Nunes a su flairer le potentiel de Luiz avant tout le monde, s’assurant ainsi une place confortable de numéro deux sur ce qui pourrait être le ticket gagnant de la présidentielle brésilienne. C’est un homme de petite taille, dénué de charisme, qui a fait fortune dans les énergies renouvelables, ce qui a au moins le mérite de coller plus ou moins au profil de Luiz en matière d’écologie, même si Nunes est bien plus conservateur sur le plan social. Ce qui peut paraître difficile à croire en regardant sa femme, Laila, un mannequin « à la retraite », c’est-à-dire une bimbo de vingt ans sa cadette, qui semble tout autant apprécier son mari que la possibilité qu’il lui donne de vivre une vie luxueuse tout en restant sous le feu des projecteurs, en s’affichant à son bras lors de la campagne. On se sert la main, Laila m’embrasse même, enfin, pas vraiment, ses lèvres claquent dans le vent alors que sa joue effleure à peine la mienne, de peur de gâcher l’épaisse couche de fond de teint autobronzant étalée sur son visage.

Emerson émerge du bus à son tour. Le directeur de campagne de Luiz est un grand gaillard d’un bon mètre quatre-vingt, ce qui, au Brésil, en fait un véritable géant. Le costume toujours impeccable, les cheveux courts et coiffés en brosse, le regard intelligent derrière ses lunettes sans monture, il a des allures de premier de la classe. Premier de la classe assez sexy, quand même, avec ses larges épaules et son teint halé, ses lèvres brunes et son air à la fois malin et mystérieux, comme s’il avait toujours une longueur d’avance sur le reste d’entre nous. Dernier détail, et après j’arrête de vous bassiner avec Emerson, il semble être doté d’un pénis surdimensionné, d’après la taille du lourd paquet qu’il arbore en permanence à l’entrejambe. Ça, ou alors ses costumes sont beaucoup trop serrés. En tout cas, vous aurez bien compris que je ne dirais pas non à une partie de jambes en l’air avec le bel Emerson, si cela ne risquait pas de mettre en péril le précaire équilibre qui permet à une équipe de campagne de fonctionner, et ce à quelques jours du vote seulement.

- Luiz et Loïc, dit-t-il alors de son habituel ton dirigiste – après tout, c’est lui le vrai chef d’orchestre, dans le concert permanent qu’est la campagne de Luiz. Je vous rappelle que vous avez la séance photo avec Vanity Fair, avant que le meeting ne commence...

Pourquoi une interview à Vanity Fair en pleine campagne, me direz-vous ? Eh bien, bonne question... J’ai moi aussi du mal à comprendre comment nous en sommes arrivés là. Mais il semblerait que la beauté, la fraicheur et l’énergie de Luiz ait tapé dans l’œil des médias, surtout des titres de presse étrangère, qui se passionnent pour notre histoire, moi l’ex-fonctionnaire international devenu professeur par amour, et lui, l’ex-journaliste qu’un tragique coup du destin a fait candidat à la présidentielle. Un couple gay, jeune – j’ai trente-cinq ans, Luiz trente-trois – et plein d’ambition, et suffisamment de culot pour briguer la présidence de la neuvième économie mondiale, le géant émergent de l’Amérique du sud, avec un programme radicalement différent de celui de tous ses prédécesseurs. L’affaire fait couler pas mal d’encre. Et, dès le soir du premier tour, Vanity Fair nous a offert la une de la prochaine édition, qui devrait paraître la veille du second tour. Une opportunité unique d’atteindre un public qui n’est pas le cœur de cible de Luiz : la riche ménagère du centre-ville de São Paulo, qui lit la presse people chez le coiffeur, ou encore le client de la clinique privée d’un quartier huppé de Salvador de Bahia qui feuillette un magazine dans la salle d’attente avant son rendez-vous médical. Et par la même occasion, de voler quelques voies à Nelson Carvalho. Emerson s’est donc empressé d’accepter.

Nous voilà donc dans une gigantesque suite d’un hôtel cinq étoiles, avec une vue imprenable sur la baie de Rio, en train d’enfiler les tenues coordonnées que le journal a choisi pour nous – un costume gris pour Luiz, estival mais présidentiable, un simple pantalon vert sombre et une chemise de lin pour moi, suffisamment décontracté pour qu’on comprenne qui est candidat, et qui ne l’est pas. Un rapide passage à la retouche maquillage, lors duquel Luiz doit insister pour qu’on ne lui rase pas la barbe – un changement de look à ce stade de la campagne serait trop risqué – et nous passons au shooting. Sous la direction de Tobias Reumann, un jeune photographe allemand d’une trentaine d’année, le cheveu cendré et le regard glacial, perçant. L’air désabusé, les lèvres roses et pincées en une sorte de moue perpétuelle, encadrées d’un bouc au poil légèrement plus sombre que sa chevelure. Il porte un jeans et une chemise bleue froissée, ouverte sur un t-shirt sombre qui laisse deviner un torse musclé. Ses instructions sont claires et détaillées. Il sait exactement ce qu’il veut. Moi et Luiz sur le balcon, la baie de Rio en arrière-plan. Et un jeu d’acteur studio.

« Luiz, tu me regardes, appuyé sur la rambarde, et Loïc, tu te mets de profil ».

« Non, plus décontracté que ça, s’il-te-plait, Loïc ».

« Luiz, ne regarde pas Loïc, regarde-moi »

« Loïc, pose ta main sur l’épaule de Luiz, comme si tu ajustais son costume »

« Là, c’est mieux. Luiz, écoute-moi bien : tu es jeune, tu es beau, tu es brillant, tu as tout le Brésil à tes pieds, et ton mec aussi. C’est cette énergie-là que je veux retrouver dans ton regard »

« Loïc, très bien, la pose. Mais déboutonne un peu ta chemise, qu’on voit un peu de peau. Là, on dirait un mormon ».

« Parfait, très sexy. Un petit sourire complice en coin, et ça serait parfait ».

« Superbe. On va la refaire parce que le vent t’as un peu décoiffé, mais sinon c’est exactement ce qu’il me faut, Loïc ».

Luiz et moi sommes de plus en plus mal à l’aise face à la pluie de compliments du photographe, qui, à mesure que le shooting avance, se font plus insistants. Déplacés, presque. Même s’il y a aussi quelque chose de grisant à entendre de telles paroles prononcées par un homme aussi séduisant et charismatique que le jeune allemand... Inutile de le nier. Lorsqu’il a le dos tourné, ou le regard absorbé par le moniteur, Luiz et moi échangeons un regard amusé. Et sans doute un peu excité, aussi. Finalement, après avoir passé en revue la totalité du shooting, Tobias Reumann n’est pas encore pleinement satisfait. D’une voix dure et autoritaire, il s’adresse alors à l’assemblée des maquilleuses et assistants techniques :

- Bon, on y est presque, mais pas encore tout à fait. Je vais avoir besoin d’un peu de silence et de concentration... Donc, tout le monde dehors, à part Luiz et Loïc, s’il vous plaît... Allez, allez ! Plus vite !

Le personnel s’exécute sans broncher, sans doute habitué aux caprices de Reumann. Nous nous retrouvons donc seuls, tous les trois, dans la suite de l’hôtel. A la merci de Tobias et de son impitoyable objectif.

- Vous êtes beaucoup trop distants, tous les deux... lâche-t-il enfin, après quelques secondes de silence. J’ai l’impression de prendre une photo de famille ! Vous n’êtes pas frères, vous êtes ensemble, non ? Alors, montrez-le moi. Montrez-le au Brésil. Les couples gays qui ne montrent aucun signe d’affection, ça appartient au passé. Vous, vous représentez le futur. La jeunesse. La décomplexion. La tolérance. Le sex-appeal. C’est votre image de marque. Vendez-moi du rêve, un peu...

- Je ne vois pas ce qu’on peut faire de plus... osé-je timidement.

- Embrasse ton mec, par exemple.

Je rougis. Et m’exécute, n’ayant pas le courage de m’opposer à la volonté de fer du photographe. Je plonge alors mon regard embarrassé dans celui ambré de Luiz, qui scintille sous l’effet du soleil de cette fin d’après-midi, et, doucement, vient poser mes lèvres sur les siennes. Dans un geste lent et tendre. Ponctué par les cliquetis de l’appareil photo de Reumann, qui mitraille notre baiser.

Quand je me retire, je jette un regard ce dernier, pour sonder sa réaction. J’ai la surprise de le voir se caresser l’entrejambe, déformé par une bosse dont la forme et la taille ne laissent que très peu de place à l’imagination. J’en reste bouche-bée. Frappé de stupeur. Et, encore une fois, d’une pointe d’excitation. Je jette un regard en coin à Luiz, qui semble aussi médusé que moi. Il fixe l’entrejambe du photographe avec insistance, alors que ce dernier se touche désormais sans retenue, comme s’il se masturbait à travers l’épais tissus de son jeans. En dépit du silence qui règne dans la pièce, la tension sexuelle est palpable. Insoutenable, même. Lentement, je sens ma queue se réveiller dans l’étroit pantalon prêté par Vanity Fair. Et je sais qu’il en va de même pour Luiz, à en juger par son visage de plus en plus marqué par une inextinguible soif de désir.

Soudain, d’un geste étudié, théâtral, Tobias Reumann – que j’appellerai désormais Tobias – déboutonne son jeans, et abaisse sa braguette, afin de libérer son sexe. Une queue longue et épaisse, charnue, à demi-bandée, ornée de magnifiques couilles roses, lourdes et imberbes. Il se caresse encore quelques instant, jusqu’à ce que son membre finisse de s’ériger vers le ciel. Luiz et moi le contemplons d’un œil avide. Et, après quelques hésitations, il suffit d’un regard complice partagé avec mon bien-aimé pour se mettre d’accord sur la marche à suivre. Nous allons jouer le jeu périlleux proposé par le photographe. Et goûter au fruit interdit de sa jolie queue qu’il nous implore de sucer de ses grands yeux bleus et tristes. D’un pas décidé, nous quittons alors le balcon et regagnons la suite de l’hôtel, pour y retrouver un peu d’intimité, ainsi que celle de Tobias.

*

C’est Luiz qui s’y colle en premier. Docile, il s’agenouille devant Tobias, plaçant son beau visage au teint halé face à la queue pâle du photographe. Il y dépose ses lèvres fines. Tète le bout de son gland rose, enflé de désir. Joueur. Puis, ne résistant pas plus longtemps aux injonctions de l’allemand, Luiz ouvre grand la bouche, et laisse l’impressionnant morceau de chair s’y glisser jusqu’à lui cogner au fond de la gorge. Presque immédiatement, Tobias pousse un profond soupir , et bascule la tête en arrière. Je ne suis décidément pas le seul à succomber au talent inégalé de Luiz pour la fellation. Pendant ce temps, je le place derrière Tobias et lui embrasse le cou. La joue. Et, enfin, les lèvres. Je n’ai pas l’habitude de démarrer au quart de tour, comme Luiz en est capable. Il ne m’est donc pas inutile de m’imprégner de l’odeur suave et virile qui se dégage de la peau claire de l’allemand, histoire de m’y habituer avant d’aller plus loin. Les baisers donnés par Tobias contribuent eux aussi à cette lente acclimatation. Ils correspondent parfaitement au caractère du photographe, alternant savamment entre la sévérité et la tendresse. L’ordre et la récompense. La douce piqûre de son bouc et la douceur piquante de sa langue...

D’une main fine et délicate, Tobias emprisonne la nuque de Luiz, qui continue de s’appliquer sur son sexe, dont la taille semble croître, encore et encore. Sans jamais s’arrêter. En jetant un œil en contrebas, je découvre le visage de Luiz sous un nouvel angle. Quelque peu déformé par l’effort que constitue le fait d’engloutir le membre épais de Tobias, il n’en reste pas moins magnifique, d’une beauté rare. Inexplicable. Je suis alors submergé par un mélange de fierté et de désir. Il faut se rendre à l’évidence : Luiz est le plus beau de tous les hommes qu’il m’a été donné de rencontrer. J’ai tellement de chance qu’il m’ait choisi pour partager sa vie, ses nuits, et ses amants d’un soir... Ou d’une après-midi, en l’occurrence.

Engaillardi par la vision enchanteresse de Luiz suçant la queue épaisse de l’allemand, j’insuffle une fougue inédite à nos baisers. Il semble apprécier, d’ailleurs. Et, alors que je m’écarte de son visage dur, après avoir dévoré ses lèvres avec passion, il me jette un regard glacial et brûlant à la fois. Je ne suis plus habitué aux yeux bleus, j’ai du mal à le déchiffrer. Il doit le comprendre, car il décide de joindre la parole à son regard :

- Déshabille-toi.

Clair et concis. Il n’a rien perdu de son côté autoritaire, qui n’est pas pour me déplaire... Je m’exécute, et déboutonne ma chemise pour lui faire découvrir mon torse, sur lequel il pose sa main et applique une caresse un peu rude. Ses doigts parcourent ma poitrine, puis se dirigent vers mon bas-ventre, et se glissent enfin dans mon pantalon, afin de s’enquérir de la douceur de mon derrière. Je le sens qui s’aventure entre mes fesses pour y titiller mon trou, qui vibre au passage de son index. Impatient, Tobias finit par défaire la fermeture de mon pantalon, et le fait descendre à mi-cuisse, emportant mon slip avec lui. Il dégage ainsi ma queue entièrement bandée, qu’il empoigne pour la branler doucement, tout en réclamant ma bouche avec toujours plus d’ardeur.

A mesure qu’il s’adoucit à mon égard, Tobias adopte une attitude plus agressive vis-à-vis de Luiz, et n’hésite plus à forcer mon beau brésilien à avaler toujours plus de son membre turgescent, accompagnant ses allers-retours de saillies de plus en plus amples et sournoises. L’étouffant parfois au passage... Impitoyable, l’allemand rudoie ainsi le pauvre Luiz pendant de longues minutes, un sourire mauvais dessiné sur ses lèvres roses. Quant à moi, j’hésite entre la préoccupation et l’excitation de voir mon petit-ami totalement soumis à la volonté bestiale du photographe.

Puis soudain, je sens une chaleur familière s’emparer de ma queue. C’est Luiz, qui délaisse un instant le sexe de Tobias pour s’occuper du mien, résolument plus praticable. Je gémis de plaisir en retrouvant la sensation des lèvres de mon bien aimé qui s’emparent de ma queue. Jaloux, Tobias étouffe mon gémissement d’un baiser, long et passionné, presque obscène, comme s’il souhaitait récupérer mon attention, soudainement toute consacrée à Luiz. Mais c’est peine perdue, mon beau brésilien est bien trop doué en la matière. Visiblement peu habitué à subir une telle défaite, l’allemand prend la mouche, et, d’un signe dédaigneux de la tête, m’ordonne de m’accroupir à mon tour, pour prendre le relai de Luiz sur sa queue en mal d’attention.

J’obéis avec une jubilation à peine dissimulée. Me retrouvant face au membre de Tobias, je dois avouer être impressionné. Ça fait bien longtemps que je n’ai pas croisé un spécimen aussi imposant. Heureusement, je ne suis pas seul, et Luiz est là pour partager la tâche quasi-inhumaine qui m’incombe : procurer ne serait-ce qu’un peu de plaisir à Tobias sans me déboîter la mâchoire. Ainsi, je m’applique quelques instants sur sa queue, arrachant quelques grognements satisfaits à l’allemand, qui m’aide dans ma besogne d’une main fermement posée sur ma nuque. Mais très vite, j’ai besoin de l’appui de Luiz, qui ajoute un peu d’art à mon œuvre trop mécanique. Il prend l’énorme gland luisant entre ses lèvres expertes, et déclenche chez Tobias un gémissement rauque qui confirme sa supériorité dans le domaine. Pour ma part, je me rabats sur les couilles du photographe, rondes et blondes, que je lèche avec soin. Travaillant de concert, nous poursuivons nos efforts pendant quelques minutes, pendant lesquelles Tobias semble toujours plus près de l’extase ultime, à en juger par les grimaces qui se succèdent sur son visage, jusque-là imperturbable.

*

Au grand dam de Tobias, et du mien, le téléphone de Luiz finit par sonner. A ce stade de la campagne, tous les appels qu’il reçoit sont importants. Sans exception. Luiz recrache donc l’épaisse queue de Tobias, à contre-cœur, et, décroche, nous suppliant de ne pas faire un bruit, d’un doigt posé sur les lèvres.

« Je t’écoute, Emerson ».

« Tu ne peux pas les faire patienter encore un peu ? Je suis encore au shooting de Vanity Fair, là... ».

« On a pris un peu de retard, mais on n’en a plus pour longtemps ! »

« Je vois... »

« Non, évidemment que c’est la priorité. Je... J’arrive tout de suite... ».

Luiz raccroche, le visage dépité. Emerson vient de couper court à notre plan à trois improvisé. Le meeting est sur le point de commencer, Luiz doit se rendre en coulisses pour monter sur scène dès que possible. Impossible de se dérober : la foule le réclame, et le discours de Mauricio Nunes, censé faire gagner un peu de temps à Luiz, ne semble pas convaincre les fervents supporters mobilisés par le parti. Il faut donc se rendre à l’évidence et tirer un trait sur la partie de jambes en l’air qui s’annonçait.

- Je n’ai pas le choix, s’excuse Luiz, je dois vraiment y aller, sinon Emerson va me tuer...

- Dommage, répond Tobias, le ton légèrement déçu. Je prenais mon pied, moi.

- Oui, dommage, renchéris-je.

- Tu peux rester, toi, Loïc, assure Luiz.

- Bien-sûr que non, je ne vais pas te laisser y aller tout seul ! réponds-je, indigné. C’est hors de question.

- Tu es sûr ? Je ne t’en voudrais pas du tout. En fait, je crois que ça m’exciterait même un peu... De savoir que tu es là pour finir proprement ce qu’on a commencé, alors que moi je retourne au front... Je dois être un peu dérangé...

- Non, je vois ce que tu veux dire... dis-je, songeur.

- En tout cas, reprend Tobias d’un ton neutre, si Loïc veut rester, je m’occuperai bien de lui, Luiz, tu peux en être assuré...

- Je n’ai pas de doute là-dessus, répond Luiz.

Il se redresse, et, d’un geste assuré, lisse quelques plis sur la veste de son costume. Le devoir l’appelle, il est visiblement sur le départ, rien ne pourra l’arrêter, désormais. Pour ma part, je reste accroupi devant la queue immense de Tobias, immobile, ne sachant que faire.

- Loïc, reste ici, finit par dire Luiz, l’air sûr de lui. Quand tu as fini, tu rejoins l’équipe en coulisse, et je te retrouve après le meeting. Je ne crois pas qu’on aura l’occasion de remettre ça de sitôt, donc profites-en tant que tu peux !

Tobias acquiesce. Je ne sais pas quoi penser. La situation est assez cocasse, il faut bien l’avouer. Mais, d’un autre côté, je n’ai pas spécialement envie de laisser passer une telle occasion. Je finis donc par me faire à l’idée, et consens à rester auprès du jeune allemand pour quelque temps encore. L’air satisfait, Luiz se penche vers moi, et m’accorde un rapide baiser, en guise de « à tout à l’heure ». Puis, il embrasse longuement Tobias. Un vrai baiser d’adieu... Enfin, il s’essuie les lèvres du revers de la main, et quitte la suite d’un pas précipité, courant à grandes enjambées vers son destin présidentiel. Me laissant seul à la merci de Tobias, bien décidé à ne pas briser la promesse faite à Luiz de me faire découvrir une palette plus large de ses talents d’amant.

A peine la porte de la chambre a-t-elle claqué que Tobias m’ordonne de reprendre là où nous nous étions arrêtés. Le visage ferme, et le ton impérieux. Obéissant, je prends donc l’énorme queue de l’allemand en bouche, et commence un lent va-et-vient. Considérablement limité, il faut bien le dire, par la taille ubuesque du sexe de Tobias. Rapidement, ce dernier prend conscience de l’écart d’aptitude entre moi et Luiz, et, légèrement déçu par ma prestation, décide de mettre un autre de mes atouts à profit. D’un coup de menton, il me fait signe de me relever, puis m’invite à m’allonger à plat-ventre sur le lit de la chambre, le pantalon et le slip à mi-cuisse, s’arrogeant ainsi un accès libre à mon derrière. De deux doigts mouillés d’un peu de salive, il retrouve mon trou, qu’il caresse un temps, puis, très vite, pénètre. D’abord, d’une phalange seulement. Puis, de deux. La sensation est grisante. Je ne cache pas mon plaisir, et pousse de petits gémissements évocateurs. Tobias redouble alors d’efforts, et ce jusqu’à ce que je sois parfaitement détendu, et prêt à accueillir le large morceau de chair qu’il s’apprête à m’offrir.

- Tu n’aurais pas un peu de lubrifiant ? osé-je timidement, pas franchement rassuré par le gabarit de la queue de Tobias.

- Non, il va falloir faire sans... murmure l’allemand en secouant la tête, l’air faussement désolé.

« Facile à dire, pour toi ! », m’indigné-je, à moi-même. Mais je ne me formalise pas pour autant, l’appréhension n’est pas aussi forte que le désir que j’éprouve à l’égard de son membre viril. Et je suis un peu rassuré par la quantité généreuse de salive qu’il applique à la fois sur mon trou et sur sa queue, jusqu’à ce que cette dernière glisse parfaitement entre mes fesses. Je sens alors son gland se poser contre mon trou. Je prends une profonde inspiration... Et quand Tobias y insère enfin le bout de sa queue, je réprime un hurlement de surprise, et de douleur.

La brûlure est cuisante. Et nouvelle, surtout, moi qui suis d’ordinaire plutôt souple et habitué à être pénétré sans peine, même par les partenaires les mieux dotés. Mais là, c’en est trop, même pour moi... C’est donc au prix d’un effort considérable que je ravale mes larmes. Tobias doit remarquer ma réticence, car il cesse tout mouvement pendant trente bonnes secondes, le temps pour moi de vaincre la douleur, et de m’habituer à l’épaisseur de son membre. Et, lorsque je me détends enfin, il reprend sa quête de mon profond intérieur, et provoque en moi une nouvelle vague de douleur qui, cette fois, est trop violente pour que je parvienne à réprimer un cri déchirant. Tobias s’immobilise de nouveau. Et laisse passer l’orage. Impassible. Jusqu’à ce qu’il m’estime prêt à subir un nouvel assaut. Et ainsi de suite, pendant d’interminables minutes, jusqu’à ce qu’il se retrouve enfin entièrement en moi, allongé sur mon dos, tout habillé, son sexe m’emplissant le derrière jusqu’au bas-ventre.

Je ne suis pas encore tout à fait exempt de douleur face aux mouvements courts et secs de son bassin, qui m’arrachent de petits cris d’animal blessé. Il y a deux écoles, face à ce genre de situation. Soit on redouble de douceur pour éviter les cris. Soit on les étouffe en plaquant sa main sur la bouche de son partenaire malmené. Et, visiblement, Tobias est de la deuxième école. Sa paume moite fermement placée sur mes lèvres, il amplifie ses saillies. Les accélère, aussi. Provoquant chez moi de terribles tremblements, qui me traversent le corps tout entier. Et puis, à force de répéter inlassablement ces coups de reins impitoyables, Tobias finit par prendre ses aises dans mon derrière. Et, je dois avouer, moi aussi. La douleur cède la place à la jouissance, et je goûte enfin au plaisir infini procuré par son membre immense. Qui m’emplit et me vide au rythme soutenu de ses allers-retours. Dans un concert de gémissements rauques, qui font courir le souffle bestial de l’allemand sur ma nuque.

Quand, enfin, Tobias daigne m’accorder quelques baisers entre deux à-coups, notre étreinte prend une nouvelle dimension. Plus tendre. Plus complice. Un point de non-retour, duquel nous ne reviendrons pas, d’ailleurs, complètement emportés par le désir, qui commande au beau photographe d’accélérer la cadence, et à moi de capituler sous les assauts répétés de sa queue. Je suis alors à peine conscient, entièrement consommé par la fièvre du désir. Perdu dans le bleu de ses yeux, que je retrouve par intermittence. Ivre de la piqûre de son bouc, quand il pose son menton dans le creux de mon cou. J’en oublie presque de respirer, puisque seul m’importe le membre viril de Tobias, désormais.

Je n’ai donc pas tout à fait conscience de la rumeur qui monte progressivement au dehors.

« Luiz, président ! »

« Luiz, président ! »

C’est la foule, rassemblée sur le front de mer, devant la baie de Rio, qui acclame son candidat, lequel vient vraisemblablement de monter sur scène. Ou, en tout cas, c’est ce que je déduis, une fois que je commence à reprendre lentement mes esprits, après avoir joui copieusement sur le matelas contre lequel Tobias me plaque avec force à chaque coup de reins. Il faudra d’ailleurs encore quelques minutes à l’allemand pour terminer sa besogne et exulter en moi, laissant échapper un impressionnant rugissement de plaisir, alors que sa semence bouillante emplit mes entrailles.

« Luiz, président ! »

« Luiz, président ! »

Alors que la foule en liesse scande le nom de mon bien-aimé, le photographe de Vanity Fair s’extirpe péniblement de mon derrière. La situation est pour le moins surréaliste... Si je n’avais pas le souffle coupé par le l’orgasme, et le derrière endolori par l’effort, je pense qu’il serait de bon ton d’éclater de rire.

*

Dans la nuit précédant le jour du vote, Luiz s’est réveillé à plusieurs reprises, la respiration saccadée, le front trempé de sueur. Rongé par le stress. La peur de perdre autant que de gagner. A ce stade, peu importe le résultat, la vie en sera changée à jamais. Le pauvre n’arrivait pas à fermer l’œil. Patiemment, et avec toute la tendresse du monde, je l’ai enlacé, embrassé. J’ai passé ma main dans son épaisse tignasse brune. J’ai plongé mon regard clair dans le sien, ambré, pour le rassénérer du mieux que je pouvais. Et puis, à court d’astuces, j’ai simplement appliqué la formule de sagesse populaire, « aux grands mots, les grands remèdes », et me suis plié en quatre pour faire étalage de mes talents d’amant auprès du pauvre Luiz, qui, après avoir subi l’ardeur de ma queue insatiable trois fois d’affilée en moins d’une heure et demie, a fini par s’endormir dans mes bras, épuisé autant par l’angoisse que par nos ébats. Et ce jusqu’à ce que le réveil sonne, à huit heures précises.

Nous avons alors revêtus nos habits du dimanche, et, lors d’un cérémonial savamment répété avec les communicants du parti, nous nous sommes rendus dans le bureau de vote, où Luiz a déposé son bulletin dans l’urne sous le regard des caméras de télévision. N’étant pas citoyen brésilien, et n’ayant donc pas le droit de vote pour l’élection en question, je me suis contenté de sourire aux photographes comme j’ai si bien appris à le faire au cours de la campagne.

Le reste de la journée, nous avons tenté, tant bien que mal, de vaquer à nos occupations. Nous avons mangé en tête-à-tête, en se disant que c’était peut-être la dernière fois qu’on le faisait en tant que citoyens lambda. A quinze heures, j’ai reçu un série de messages d’Europe, correspondant plus au moins à l’heure du journal télévisé du soir, sur le vieux continent. Mes parents avaient ainsi dû voir quelques images du vote au vingt-heures de France 2, car il m’ont adressé un court message de soutien, à moi et Luiz :

« On est à fond derrière vous. Embrasse Luiz de notre part. Ici, on y croit ! ».

Le message était accompagné d’une photo de ma mère et de mon père, portant un t-shirt vert à l’effigie de Luiz, tels que nous en avions distribué des milliers lors des innombrables meetings que Luiz a tenu à travers le Brésil. La photo est parvenue à décrocher un éclat de rire à Luiz. Mission accomplie. Bravo maman, bravo papa ! Quelques minutes plus tard, ce fut au tour de Maria de nous distraire.

« Que ce soit Nelson ou Luiz qui gagne, je vous préviens : j’ouvre tout de suite un bureau au Brésil pour vous coller un procès au moindre faux pas environnemental. Donc, réfléchissez bien : vous avez vraiment envie de gagner et de m’avoir comme adversaire ? Je dis ça pour dédramatiser, bien sûr... Je crois les doigts, les mains, les bras, les orteils, les pieds, les jambes, et je tente même le tout pour le tout : je louche ! Avec ça, si la chance n’est pas avec vous, je ne sais plus quoi faire… ».

Sacrée Maria. Elle m’a fait rire. Luiz, seulement sourire. J’ai alors compris qu’il était de nouveau en proie au doute, au stress, à la peur de ne pas avoir les épaules pour assumer ce pour quoi il avait pourtant bataillé bec-et-ongles, des mois durant. J’ai donc dû intervenir, et me suis déshabillé devant ses yeux hagards, pour faire passer l’orage de ses sombres pensées par un simple don de mon corps.

A dix-sept heures, nous quittons l’appartement, accompagnés par le service de sécurité de l’Etat, pour rejoindre un hôtel du centre de São Paulo dans lequel le parti vert a établi son QG pour la soirée électorale. Nous y retrouvons Emerson et la direction du parti, ainsi que quelques représentants du parti libéral avec lequel Luiz a construit son ticket.

Dans une chambre attenante à la pièce de réception, un groupe de plumes rédigent deux discours. Un en cas de victoire. Et un en cas de défaite. Optimiste, je demande à jeter un œil à celui réservé à la victoire. J’en parcoure les premières lignes, et les dernières. Ce qui marque le plus les esprits, lors d’une pareille intervention. Je l’ai fait mille fois, auparavant. Pour les Nations Unies, pour l’Union européenne. Pour moi, aussi, quand je fais classe à l’université. Je m’y connais un peu, en discours. Certes, la plupart n’étaient pas censés être aussi émouvant et prompts aux envolées lyriques que celui-là. Mais quand même, si je peux me rendre utile, c’est bien comme ça... Alors je rature quelques lignes, propose une accroche alternative, et souligne quelques mots que Luiz devra accentuer pour négocier l’emphase. Puis, satisfait du résultat, je retourne dans la salle principale, où l’histoire est en train de se jouer sous mes yeux ébahis. S’il gagne, Luiz aura le meilleur discours qu’un candidat élu n’a jamais prononcé !

Il est presque dix-neuf heures. Encore une fois. Comme il y a quinze jours, lors du premier tour, le silence se fait immédiatement dans la pièce, alors que le décompte commence. Les visages se contractent. Les yeux se plissent. Les mains tremblent. Les pieds s’affolent. Certains grincent des dents, d’autres toussent nerveusement, d’autres tournent de l’œil, et doivent s’asseoir pour prendre leurs esprits. Cette fois, je ne pense pas à la suite. L’esprit complètement vide, et, aussi surprenant que ça puisse paraître, parfaitement serein. Pas mécontent de pouvoir m’en remettre au destin, ou, plus exactement, à l’expression du vote démocratique des citoyens brésiliens, qui seuls détiennent les clés de notre futur, à Luiz et moi. Un grand nombre de bulletins dans l’urne, et nos vies basculent. Du tout au tout, et du jour au lendemain. Une nombre faible, et nous retournons dans notre appartement de São Paulo. Comme de simples quidams. Sans regrets, sans rancune.

Dix-neuf heures. Ça y’est. C’est fini. Je regarde l’écran. Incrédule.

Nelson Carvalho, 49,6% des voies. Luiz da Silva, 50,4% des voies.

Luiz a gagné…. Je n’arrive pas à y croire. C’est impossible… Et pourtant, si… Luiz a gagné… Enfin, il semblerait… Plus je fixe l’écran, et le score des deux candidats affiché en grand sous leurs portraits respectifs, plus le doute s’installe. Et, visiblement, je ne suis pas le seul… Toutes les huiles du parti se dévisagent dans la suite de l’hôtel. Sans oser ouvrir la bouche. Luiz, le principal intéressé, reste interdit. L’écart est si faible… Après tout, ce n’est qu’une première estimation, basée sur quelques bureaux électoraux seulement. Et si le résultat changeait et fur et à mesure du comptage des voies ?

- C’est impossible, explique Emerson, se tenant face à Luiz, qui le regarde d’un œil vitreux, le visage dénué d’expression. Tu ne peux pas perdre après avoir été désigné comme vainqueur à la télévision, Luiz, tu m’entends ? Quasiment un point d’écart, c’est beaucoup, c’est plusieurs millions de votes. Les estimations ne peuvent pas se tromper. S’ils n’étaient pas sûrs de leur coup, ils ne se seraient pas risquer à faire l’annonce en direct. Il auraient joué la montre. J’en suis sûr, sûr et certain. Fais-moi confiance. Dans cinq minutes, tu recevras un appel du…

Emerson n’a pas le temps de finir sa phrase que, déjà, le téléphone de Luiz se met à sonner. C’est le Tribunal Supérieur Electoral. Qui lui confirme froidement ce qu’Emerson s’est évertué à lui dire. Il a gagné... Luiz a gagné... Ça y’est, c’est officiel. J’explose de joie. Et lui saute au cou pour embrasser ses lèvres fines, qui dessinent enfin un drôle de sourire, quelque part entre la joie et la surprise. Notre baiser est magnifique, plutôt chaste, comme si nous savions que nous serions photographiés – et, je vous le donne en mille, c’est le cas, l’image sera reprise à la une des journaux du monde entier – et ce en dépit de la violente poussée de désir qui monte en moi, comme une lame de fond. Imperceptible, d’abord. Puis, inarrêtable. Si nous n’étions pas entourés de dizaines de personnes armés de leurs téléphones portables pour immortaliser chaque instant de ce moment historique, je ne pense que je ne pourrais pas me retenir de lui arracher sa chemise. Luiz sera le prochain président de la république fédérale du Brésil. Et moi, le premier « first gentleman » que ce grand et beau pays ait connu.

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