Chapitre 33. L'entrevue
L’avion roule tranquillement sur le tarmac en direction de l’aérogare. Dès que les hôtesses d’Air France le permettent, je rallume mon téléphone et m’empresse d’envoyer un message à Luiz :
« Je suis arrivé ».
Je n’en dis pas plus. Je dois bien avouer que je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre de ce passage éclair au Brésil... J’ai prévu trois jours, en tout et pour tout. Mais ai également pris le soin de réserver un billet modifiable, au cas où il faudrait rentrer plus tôt au Canada. Dans mon souvenir, il n’y a pas grand-chose qui m’appartienne dans notre ancien appartement de São Paulo. Une journée devrait donc amplement suffire pour isoler les effets personnels que je souhaite conserver, et jeter le reste. J’ai également prévu un peu de temps pour mettre les choses au clair, une bonne fois pour toute, entre moi et Luiz. Après tout, nous nous sommes quittés sans vraiment nous dire adieu, lui et moi. Trop lâches pour oser mettre un terme définitif à notre relation de cinq ans. La plus belle, la plus heureuse, la plus intense de toutes celles que j’ai eu la chance de vivre jusqu’à présent. Celle qui m’a donné le plus de joie. De bonheur, dans sa forme la plus pure. Mais, en dépit de tout ça, il me semble aujourd’hui impensable de trouver une autre issue à notre histoire, irrémédiablement entachée par la manière dont Luiz et moi nous sommes éloignés puis déchirés, et enfin, séparés. Pour ma part, je ne demande qu’une chose : refermer définitivement ce chapitre de mon existence, à la conclusion au combien douloureuse, et pouvoir aller de l’avant, enfin... Il sera donc bon de voir si Luiz en est au même stade.
Avant de quitter l’appareil, j’envoie un court message à Andre, pour lui dire que j’ai bien atterri, et ainsi éviter qu’il ne s’inquiète plus que de raison. Le pauvre n’était pas enchanté quand je lui ai annoncé que je décalais mon retour au Canada de quelques jours encore, et surcroît pour aller voir mon ex au Brésil... Et je peux le comprendre. Visiblement préoccupé, le beau canadien me répond immédiatement :
« Merci Loïc. Et courage ! Ça ne va pas être facile, mais je suis de tout cœur avec toi... Et je t’attends impatience. Je t’embrasse fort ».
*
Ça me fait tout drôle de me retrouver plongé dans la jungle urbaine de São Paulo, près de deux ans après l’avoir quitté. Mon taxi est pris dans les habituels embouteillages monstres de la cité pauliste, il me faudra bien une heure pour rejoindre le centre-ville. Je serais donc en retard à mon rendez-vous avec Luiz. Mais il le sera sans doute aussi. C’est l’avantage... Pour passer le temps, je contemple le paysage immobile par la vitre du taxi, une pointe de nostalgie m’enserrant la poitrine. Rien n’a vraiment changé. Les immeubles décatis aux tons pastel. Les gratte-ciels de verre et d’acier qui sortent de terre à un rythme effréné, surtout aux alentours des berges du fleuve, où ils s’agglutinent et se font de l’ombre les uns aux autres. Le réseau autoroutier tentaculaire et surchargé de SUV blindés et de tacots carburant à un mélange douteux d’essence et d’éthanol, qui alimentent de leur fumée d’échappement le nuage de microparticules qui stagne au-dessus de la ville. Et en même temps, la végétation luxuriante, qui grignote le bitume partout où elle en l’a occasion. Et le ciel, peuplé d’une quantité improbable d’oiseaux, bien plus que dans n’importe quelle mégapole européenne ou nord-américaine.
J’ai vécu cinq de mes plus belles années dans ce capharnaüm étouffant, bordélique et, tout compte fait, plutôt attachant. Je me revois encore quitter São Paulo, le jour de l’investiture de Luiz, sans la moindre valise, avec mes seuls vêtements sur les épaules, qu’il m’avait fallu abandonner quelques heures plus tard, dans la salle de change de l’aérodrome présidentiel de la capitale fédérale. Je ne me souviens pas avoir fermé la porte à clé, puisque nous étions déjà la protection rapprochée des services du protocole et de la sécurité de la présidence. J’ai dû retourner une ou deux fois à São Paulo après ça, pour un acte officiel ou un meeting politique de Luiz. Mais jamais dans notre appartement, que nous avons laissé tel quel, le jour où nous avons pris nos quartiers dans le palais présidentiel de Brasilia. C’est donc un véritable saut dans le passé que je m’apprête à effectuer. Mais je n’y vais pas les yeux bandés. Pour l’occasion, je serais accompagné de la personne avec laquelle ce passé s’est écrit.
Mes retrouvailles émues avec São Paulo m’ont plongé dans une étrange mélancolie, à la fois douce et amère. Celles avec Luiz m’ont carrément fait fondre en larmes. Quand je l’ai vu passer la porte du restaurant dans lequel nous nous étions donné rendez-vous, je n’ai pas pu retenir d’éclater en sanglots. J’ignore encore pourquoi... Si c’est de le voir pour la première fois en chair et en os depuis plus d’un an. De rhabituer mon regard à se placer à hauteur du sien, comme il l’aurait sans doute fait tout naturellement, il y a quelques mois encore. Et de constater que son iris est plus ambré que dans mes souvenirs, émoussés par le temps qui passe. Si c’est de redécouvrir son beau visage, son nez fin et ses lèvres joliment dessinées, dont la roseur pâle contraste avec la peau hâlée du beau brésilien. Si c’est d’entendre sa voix suave chuchoter « je suis désolé pour ton papa » en portugais, au creux de mon oreille, alors qu’il me serrait contre lui, dans une longue et tendre étreinte dont je ne connaîtrais sans doute plus jamais la chaleur. Ou si c’est de humer le doux parfum qui émane de son cou alors que je refuse de le laisser partir, m’accrochant à lui de manière plutôt pathétique, il faut bien le dire.
Luiz est toujours aussi séduisant. Peut-être même plus encore que dans mes souvenirs. Sa tignasse brune légèrement ébouriffée, comme à son habitude. Une barbe de trois jours, qui ajouter une dose de virilité à son visage mutin. De très légères pattes d’oie au coin de ses yeux d’ambre, qu’il n’avait pas lors de notre dernière rencontre. Il a minci. Ou plutôt, il a retrouvé sa corpulence originelle, puisqu’il avait fini par prendre un peu de poids lors de son mandat, et plus encore lors des premiers mois de notre exil à Montevideo. Bref, Luiz n’a rien perdu de son charme, ni de son charisme. D’ailleurs, je suis tellement absorbé par le beau brésilien que j’en oublie les regards appuyés des rares clients du restaurant, qui ne perdent pas une miette du spectacle. Personne n’a oublié le dernier président démocratiquement élu du pays, et certains doivent même reconnaître en moi celui qui fut leur « first gentleman », l’espace de quelques mois. Par la fenêtre du restaurant, j’aperçois deux gardes du corps qui montent la garde à l’extérieur. Pas de doute, je suis bien de retour au Brésil, dans ma vie d’avant, ou presque.
*
Une fois terminées les effusions de nos retrouvailles, Luiz et moi nous attablons, puis passons commande. Un peu rouillée de prime abord, le temps pour nous de reprendre nos marques, notre conversation trouve finalement son rythme après quelques minutes et, inutile de le nier, quelques verres de vin.
- Et comment va Emerson ? demandé-je, d’un ton le plus naturel possible, mais qui, je le crains, sonne un peu faux.
- Il va bien, il est à l’hôtel, là... Je crois qu’il était soulagé de rentrer au Brésil. On commençait sérieusement à étouffer, tous les deux, à Montevideo ! Surtout avec tout ce qu’il s’est passé ici, ces derniers temps... C’était tellement rageant de rater tout ça !
- En effet, j’ai cru comprendre que ça avait pas mal chauffé, un peu partout dans le pays... Mais j’avoue ne pas avoir vraiment suivi, à cause de la situation à France...
- Oui, c’est terrible... admet Luiz, dont le beau visage s’assombrit tout à coup. Encore une fois, Loïc, je suis vraiment navré pour ton papa, et je m’en veux beaucoup de ne t’avoir rien dit... Je n’avais vraiment aucune idée de ce qu’il se passait dans ta vie, pendant tout ce temps...
- On ne s’est jamais vraiment donnés de nouvelles, c’est autant ma faute que la tienne.
- Ouais... J’aurais aimé que ça se passe autrement...
Il laisse sa phrase en suspens, prenant quelques secondes pour réfléchir – j’imagine – à la manière dont les choses se sont terminées, entre lui et moi. Je décide de ne pas interrompre le cheminement de ses pensées, ne sachant de toute manière pas quoi ajouter sur ce qui semble désormais appartenir au passé.
- Bon, et sinon, comment ça se passe pour toi au Canada ? finit par reprendre Luiz, d’un ton plus détaché.
- Ecoute, commencé-je, tout se passe plutôt bien... Montréal, c’est une chouette ville, et je commence à prendre mes repères. L’hiver est long, mais après toutes ces années passées au Brésil, j’avoue que j’étais assez émerveillé en voyant de la neige ! Et puis, je suis content de travailler à nouveau – je crois que c’était le plus dur pour moi, ici, quand tu étais... Bref, ça m’avait manqué, même si le monde académique c’est un peu plan-plan...
- Je te rassure, rétorque Luiz en riant, tout te paraît un peu plan-plan après la vie politique brésilienne !
- Certes...
Luiz plonge son regard ambré dans le mien. Il pétille. Je ne sais pas si c’est d’avoir ri, d’avoir retrouvé un semblant de complicité, entre lui et moi, qui le met soudainement en confiance, mais il décide alors de passer à un autre sujet, plus intime :
- Et côté cœur ?
J’hésite avant de choisir ma réponse. Jusqu’à présent, quand Alvaro ou Tristan m’ont demandé si j’étais en couple, j’ai toujours répondu que non. Andre et ne formons pas un couple, du moins pas officiellement. Mais là, face à Luiz, mon ex petit ami, que je sais heureux avec Emerson, j’ai bien envie d’enjoliver un peu la réalité. Je me décide finalement pour la version suivante :
- Il y a quelqu’un que... que je vois régulièrement, disons. Je ne sais pas si on peut dire qu’on est ensemble, pour le moment, mais ça y ressemble fortement, et de plus en plus.
- Oh... Je suis content pour toi, Loïc !
- Merci, Luiz...
A ma plus grande satisfaction, je note une pointe de déception dans sa voix, en dépit de ses encouragements de façade. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Notre rupture est trop fraiche pour que nous puissions nous souhaiter d’être heureux l’un sans l’autre avec toute la sincérité du monde.
- Et donc, dis-je pour changer de sujet, comme ça, tu vas de nouveau te lancer dans la course à la présidence ?
- Je n’ai rien annoncé publiquement, pour le moment ! Je me tâte encore... Le parti vert a commandé des sondages sur plusieurs candidats potentiels, dont moi, mais, si les chiffres sont bons, je crois que je vais me laisser tenter.
Je dois avouer que je suis bluffé de retrouver Luiz si combattif. Lui qui avait débuté en politique presque par accident – voire totalement par accident, puisqu’il s’agissait du meurtre de Fábio Martins, pour rappel – est désormais suffisamment accro au pouvoir pour envisager de se porter candidat à un poste dont il a été délogé par un coup d’Etat militaire, il y a quelques mois seulement !
- Il me semble que tu es le favori, et de loin, réponds-je avec malice, prenant soin de flatter son égo. Du moins, c’est ce qu’on peut lire dans la presse...
- Bof, c’est surtout qu’il n’y a pas encore de concurrent sérieux ! La plupart des partis de droite ont entaché leur réputation en collaborant avec Vargas... Mais je suis sûr qu’ils trouveront une manière de se dédouaner, comme toujours ! Pas sûr que ça leur suffise pour gagner, évidemment... Non, par contre, ce qui me préoccupe vraiment, c’est qu’il y a toujours une frange de la population brésilienne qui m’en veut d’avoir fui !
- Comment ça ?
- Certains pensent que le régime est tombé parce que j’ai fui, et non l’inverse...
- Mais, c’est complètement absurde !
Luiz acquiesce d’un léger hochement de la tête, et porte un verre de vin à ses lèvres. Il avale un copieuse gorgée du précieux liquide, et poursuit son explication, avec l’air de celui qui en sait plus, et son ton d’ancien journaliste :
- On ne peut pas leur en vouloir, il n’y a pas eu de presse libre pendant près d’un an. Les gens se sont informés sur les réseaux sociaux, et tu sais bien ce que ça donne ! Rumeurs, théories du complot... On en a entendu de toutes les couleurs, sur la chute de la démocratie... Et il y a une version assez répandue dans la population selon laquelle je porte un certaine part de responsabilité !
- Et du coup, qu’est-ce que tu vas faire ?
- Essayer de redorer mon blason... répond Luiz en haussant les épaules. Globo m’a proposé une « interview vérité » dans deux jours, pour expliquer ce qu’il s’est passé, le jour où on est partis pour l’Uruguay, toi et moi.
- Luiz, tu plaisantes, j’espère... m’indigné-je alors. Globo ?! Ces raclures de pseudo-journalistes qui nous ont enfoncé un coup de poignard dans le dos avec leurs histoires de mœurs à la con, il y a deux ans ? Et tu vas leur accorder ta première interview télévisée depuis ton retour au Brésil ?
- Ça ne m’enchante pas, mais tu sais bien qu’ici, c’est eux qui font la loi, la pluie et le beau temps...
- Mouais...
Luiz marque une courte pause, et avec un léger sourire, presque séducteur, si je ne m’abuse, reprend la parole :
- D’ailleurs, si tu veux y participer, je suis sûr qu’ils adoreraient... Et puis, quelque part, ça renforcerait la crédibilité de l’histoire, puisque c’est la France qui nous a sorti de ce pétrin...
- Luiz...
- Je ne t’oblige pas, se justifie Luiz avec un signe d’apaisement, je te propose juste.
- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée... On n’est plus ensemble, et ce n’est pas seulement toi que j’ai quitté, c’est aussi tout ça... Les meetings, les interviews, les photographes, tout le cirque médiatique, quoi.
- Je comprends parfaitement, ne t’en fais pas.
Malgré sa réponse pleine d’empathie, Luiz ne parvient pas à cacher sa déception, vite noyée dans une nouvelle gorgée de vin, qu’il avale avec une petite mimique irritée. Il pense sans doute que je n’ai rien remarqué. Mais je le connais trop bien...
*
En passant la porte de notre ancien appartement, j’ai immédiatement compris que je ne sortirai pas indemne de cette expérience hors du commun. Personne n’y avait mis les pieds depuis plus de deux ans. Et rien n’avait bougé. Ou presque... Les plantes étaient mortes de soif. Les étagères étaient recouvertes d’une épaisse couche de poussière. L’air poisseux et chargé en métaux lourds de la ville avait corrodé les immenses baies vitrées du salon, qui donnaient sur le balcon, dont le carrelage était recouvert de déjections d’oiseau. Mais à part ça, tout était exactement tel quel nous l’avions laissé, un 1er janvier pas comme les autres, jour d’investiture du premier président vert du Brésil... Et, après avoir commencé à vider les placards, en quête d’objets qu’il vaille la peine de conserver, une foultitude de souvenirs se sont entrechoqués dans mon esprit confus.
Un dîner en tête à tête. Une tâche de sauce tomate sur le menton de Luiz. Que je viens nettoyer d’un baiser fougueux. Un cours de portugais en ligne, tard le soir, que Luiz s’évertue à rendre plus agréable en me massant le dos. Une soirée passée à lézarder sur le canapé. Luiz s’est endormi sur mes genoux, et je n’ose pas bouger par peur de le réveiller, bien que le programme télé soit particulièrement ennuyeux. Des retrouvailles émues, après un court séjour en France en solitaire, pour renouveler mon visa, avant que j’obtienne la résidence permanente. Luiz m’embrasse. Me serre contre lui. S’agenouille devant moi. Et prend mon sexe enflé entre ses lèvres pales. Son regard ambré brûlant d’amour et de désir. Pas la moindre dispute ne me vient à l’esprit. Ni le moindre éclat de voix. Nous nous sommes aimés avec l’intensité des premiers jours, dans cet appartement. Du début à la fin. L’éloignement, puis la rupture, c’est arrivé plus tard, ailleurs. Ça m’a fait tout drôle de réaliser ça. Ou, pour être précis, ça m’a retourné le cœur...
Au départ, j’ignorais s’il en allait de même pour Luiz, qui semblait rester de marbre, trop occupé à trier une pile de magazines, en silence, seul dans un coin de la pièce. Mais, alors qu’il était encore loin d’être venu à bout de la pile de magazines, le beau brésilien m’a prouvé que cette sensation de vague à l’âme était bel et bien partagée. Par un geste. Une étreinte. Son corps qui se colle au mien, dans mon dos. Ses bras qui enlacent ma taille. Et sa tête qui se pose chastement sur mon épaule. J’ai senti son souffle chaud me parcourir la nuque. La caresse de ses mains, qui remontent de mon ventre vers ma poitrine, pour en dessiner les contours. Un léger baiser, déposé dans mon cou, de la pointe de ses lèvres.
Je ne me rappelle pas exactement quand est-ce que j’ai définitivement cédé à la tentation. Si c’est la douceur de ce baiser. La caresse de ses mains posées sur mon torse. La chaleur de son souffle sur ma nuque. Peu importe, au fond... L’important est que, quelque secondes plus tard, je me retrouve enfin face à Luiz, la bouche plaquée contre ses lèvres fines, retrouvant avec bonheur le goût sucré de sa langue qui se frotte contre la mienne. J’aurais du mal à mettre des mots sur ce que je ressens alors. Un savant mélange de nostalgie, d’excitation à l’état pur, et de la certitude de dépasser les limites, de faire quelque chose que je ne devrais pas faire, et que je risque de regretter amèrement, sans pour autant être capable de m’en empêcher. Enivré par notre baiser, qui se fait de plus en plus passionné. Je me délecte de ses lèvres. Prends son joli visage entre mes paumes, et, d’un revers du pouce, lui caresse délicatement les contours des joues, l’arête du nez, l’arcade sourcilière. Je plonge mon regard dans le sien. Et y redécouvre les milliers de paillettes d’or qui donnent vie à son iris ambré. J’enfouis ma main dans son épaisse tignasse et le décoiffe un peu plus encore. Dégageant quelques mèches brunes son front que j’embrasse du bout des lèvres.
Puis, je ne tiens plus. Je saisis Luiz par les hanches, et le porte sur quelques mètres, pour l’asseoir sur le comptoir de la cuisine. Là-bas, je reprends notre baiser, tout en dégrafant l’attache de son pantalon, pour y chercher sa queue, encore endormie dans son petit slip noir. Je la caresse, la pétris, la prends dans ma main et la branle doucement, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment raide pour être sucée. Alors, je m’abaisse pour placer mon visage à hauteur de son sexe. Je redécouvre ses superbes couilles brunes et imberbes, et ne peux résister à la tentation d’y appliquer un rapide coup de langue, qui fait frémir le beau brésilien. Prélude de ce qui l’attend par la suite. Puis, enhardi par sa réaction plutôt prometteuse, je remonte lentement le long de sa verge bandée, déposant en chemin une foultitude de baisers inaudibles. Et quand j’arrive enfin à l’extrémité de sa jolie queue, mes lèvres épousent les contours de sa hampe, avant que je l’engloutisse toute entière. Venant écraser mon nez sur son pubis brun, toujours impeccablement entretenu. Je débute alors un mouvement de va-et-vient qui dure plusieurs minutes, entrecoupées de baisers que Luiz impose pour reprendre son souffle, et retarder sa jouissance.
Dans le même temps, je défais la chemise du beau brésilien, et redécouvre avec enchantement son torse bronzé, finement musclé et à peine poilu. Et un téton brun, que je devine sous un pan de tissu. Je viens y appliquer la pointe de ma langue, un baiser, une légère morsure. Tout en branlant le membre de Luiz avec vigueur. Sans interruption. Jusqu’à ce que le beau brésilien me supplie d’arrêter en gémissant. Je m’exécute alors, délaissant son téton gonflé par l’excitation pour retrouver sa bouche ardent et à bout de souffle, que j’embrasse avec passion. Et, alors que nos baisers se font torrides, ma main s’aventure autour de son cou délicat, puis sur sa poitrine à demi-nue, se glisse sur ses hanches étroites, et dans la cambrure de son dos. Puis, immanquablement, plonge dans son petit slip noir pour y tâter son magnifique derrière. Toujours aussi ferme et rebondi. Un véritable délice... Emporté par un désir fiévreux, je me dirige vers son trou, qui se met à palpiter sous mes doigts, mais Luiz m’arrête net.
- Désolé Loïc, je ne peux pas...
J’ignore pourquoi. Si c’est par principe. Si c’est parce qu’il n’est pas d’humeur. Si c’est parce qu’il n’est pas disposé. Si c’est parce qu’il souffre encore de ses ébats de la veille – ou pire, du matin même – avec Emerson, qui n’y serait pas aller de main morte. Des tas de théories plus déplacées les unes que les autres traversent mon esprit déçu. A ce moment précis, je ne désire rien de plus au monde que de sentir la chaleur divine de son derrière légendaire envelopper ma queue toute entière. Mais il faut me faire une raison. Ce n’est pas pour cette fois. Et Dieu seul sait quand est-ce que se présentera la prochaine occasion, si prochaine occasion il y a...
Peu importe, il me faudra me contenter de ce que Luiz voudra bien me donner. Et, heureusement pour moi, le beau brésilien a bien l’air décidé de se faire pardonner pour son indisponibilité. D’un geste félin, mon ex petit ami se laisse glisser du comptoir de la cuisine, et se place à quatre pattes sur le sol, face à mon entrejambe. Ni une, ni deux, je détache ma ceinture et abaisse mon pantalon, libérant ainsi mon sexe pointé vers le ciel, qui se présente ainsi aisément au visage de Luiz, visiblement ému par ces retrouvailles. Et, au moment où ce dernier y dépose ses lèvres, je suis emporté par une puissante vague de plaisir dont j’avais oublié l’existence. Une sensation à peine croyable, d’une intensité qu’il m’avait été impossible de retrouver avec un autre partenaire. Il n’y a aucune doute là-dessus, je n’avais pas ressenti une chose pareille depuis... depuis Luiz. Lui seul détient le secret de ces fellations qui me provoquent un orgasme quasi-immédiat. Et il s’en donne à cœur joie, et joue sa partition à la perfection. La caresse de ses lèvres se mêle à celle de sa langue et de son souffle chaud sur ma verge trempée de sa salive. De temps en temps, quelques doigts habiles se joignent à sa bouche experte, dans un concert de gestes aussi surprenants qu’efficaces, qui me font perdre le sens de la réalité. De petits cris de plaisir s’échappent de ma gorge sans que je puisse les retenir. Je suis complètement à la merci du beau brésilien, qui s’applique sur ma queue avec une dédication admirable. J’ai presque envie de dire « avec amour », mais je n’ose employer ce terme, trop chargé en émotion quand il s’agit de Luiz.
Après quelques minutes d’une lutte courageuse mais vaine contre la jouissance, j’exulte enfin, et déverse une quantité impressionnante de liquide tiède et salé dans la bouche de mon ex petit ami, qui ne résiste pas à l’envie de l’avaler. J’admire son beau visage alors qu’il se délecte de ma semence, les yeux mi-clos et les lèvres humides. Puis, c’est à son tour de déposer les armes. Pour ne pas le laisser seul dans ce combat au combien important, je me précipite vers son entrejambe, qu’il branle avec énergie, et place ma bouche grande ouverte à proximité de sa jolie queue sur le point d’entrer en éruption. Quelques secondes plus tard, je sens le goût âcre de son jus se répandre dans le fond de ma gorge. Un jet rate sa cible, et termine sa course sur ma joue, y laissant une longue balafre blanche et effervescente. Luiz vient la chasser d’un coup de langue, qui se termine en baiser passionné.
Et nous restons ainsi pendant de longues minutes, dans les bras l’un de l’autre, à moitié déshabillés, sur le sol poussiéreux de notre ancien appartement. En silence. Faisant notre possible pour imprimer ce moment hors du temps dans notre mémoire, pour toujours. Conscients du fait que cela ne se répétera plus. Que rien ne sera plus jamais comme avant. Que ce n’était qu’une parenthèse, un capsule spatio-temporelle vouée à disparaître dès le moment où nous mettrons le pied hors de l’appartement. Et que, bien que nous continuerons à nous aimer, nos vies prendront désormais des chemins séparés. Qui nous éloigneront, inlassablement, l’un de l’autre, pour le reste de nos existences respectives. Emporté par puissant un élan de nostalgie, je décide alors d’accorder une dernière volonté à Luiz :
- Luiz, si c’est toujours d’actualité, je veux bien faire l’interview avec toi...
*
Le moins que l’on puisse dire, c’est que rien ne s’est passé comme prévu. Dès notre arrivée au studio de la Globo, Luiz et moi avons été choqués par la désinvolture dont faisait preuve le personnel de la chaîne à notre égard. Habitués à l’accueil cinq étoiles généralement réservé au président et à son conjoint, notre loge paraissait subitement petite et mal éclairée. Un buffet froid et de l’eau du robinet en carafe avaient été mis à notre disposition dans un coin de la pièce. On était loin du traitement reçu il y a quelques années, où coupes de champagne et amuses-bouches raffinés nous étaient servis sur un plateau sans que l’on n’ait rien à demander... La journaliste vedette de la chaîne de télévision n’est même pas venue nous saluer avant de débuter l’interview, comme le veut généralement le protocole. Nous aurions donc dû nous douter que quelque chose ne tournait pas rond.
Quand Emerson nous a rejoint dans la loge, l’ambiance s’est encore dégradée d’un cran. Je n’avais pas revu l’ancien conseiller politique et nouvel amant de mon ex-petit ami depuis mon départ d’Uruguay. Il n’avait pas changé. Plutôt grand et large d’épaule, la peau mate, il portait toujours ses insupportables lunettes sans montures, qui lui donnait un air de premier de la classe. Il va sans dire que nous n’étions pas spécialement restés en bons termes, lui et moi, et il n’était manifestement pas venu pour faire la paix... Après m’avoir salué sans la moindre chaleur, Emerson m’a tourné le dos pour ne plus jamais m’adresser la parole. Puis, alors que la maquilleuse s’acharnait sur mon visage pour lui ôter toute brillance avant le passage à l’antenne, j’ai remarqué qu’il m’observait du coin de l’œil, me jetant à intervalles réguliers des regards noirs, le visage empreint d’une expression mêlant hargne et dégoût. Bref, il n’y a rien de tel pour vous mettre à l’aise avant de passer en direct devant plusieurs millions de téléspectateurs.
Au vu des circonstances, on aurait donc pu se dire que le début de l’interview s’était finalement plutôt bien passé. Maria Júlia Coutinho, la célèbre présentatrice du programme politique phare de la première chaîne brésilienne, « Boa Noite Brasil », nous avait présenté, Luiz et moi, avec rigueur et professionnalisme. Sans faire dans la démagogie, ni dans le sensationnalisme, et surtout, sans la moindre marque d’hostilité. S’en était suivie une série de questions relativement neutres sur les derniers mois du mandat présidentiel de Luiz, sur notre exil forcé en Uruguay, et, bien sûr, sur l’opération d’exfiltration menée par la France. J’avais alors été durement questionné. Et à juste titre.
« La France a-t-elle déployé cette opération simplement parce que vous étiez, vous êtes toujours, un ressortissant français, ou parce que Paris avait une dette envers l’administration de votre conjoint ? »
« Pouvez-vous nous assurez qu’il n’y a eu aucun quid pro quo entre la France et le gouvernement du président da Silva, qui pourrait expliquer ce traitement de faveur de la part de votre pays d’origine, d’ordinaire plutôt en retrait de la scène diplomatique en Amérique latine ? »
Je pensais m’en être plutôt bien sorti. Mes explications avaient fait mouche auprès de Maria Júlia Coutinho, qui semblait croire à ma version des faits. Chacune de ses relances visaient à me permettre de clarifier les choses, plutôt que de chercher à perdre le téléspectateurs avec des détails inutiles ou des théories absurdes. Fait plutôt rare à la télévision brésilienne, l’interview permettait d’élever le débat et de faire éclater la vérité au grand jour, au service de la population, qui avait vécu sous une épaisse chappe de plomb médiatique pendant de longs mois. C’était presque trop beau pour être vrai ! Et pour cause...
J’ai senti le vent tourner au moment où Coutinho a posé la question qui fâche, l’ombre d’un sourire se dessinant sur ses lèvres brunes :
- J’aimerais que l’on revienne sur un moment marquant de votre mandat, Luiz : votre cérémonie d’investiture. Regardez ces images, si vous le voulez bien. Le symbole très est fort, non, le premier couple d’hommes au palais de l’Aurore ! Malheureusement l’idylle aura été de courte durée... Il me semble avoir compris que vous n’étiez plus ensemble, aujourd’hui. Est-ce que vous pouvez le confirmer ?
- En effet, je le confirme.
- Loïc, vous vivez désormais au Canada, n’est-ce pas ?
- C’est exact.
- Et, si je peux me permettre un indiscrétion, est-ce que vous êtes en couple ?
Encore cette satanée question... C’est une véritable obsession. Depuis que j’ai quitté le Canada, il ne se passe pas un jour sans qu’on me la pose. Mais qu’est-ce que ça peut bien leur faire, à tous. Et surtout à cette maudite journaliste, qui espère sans doute être en première page des magazines people le lendemain matin. Je n’ai aucune envie de lâcher quoique ce soit... Et en même temps, je ne veux pas qu’Andre tombe sur l’émission et me voie nier la réalité de notre relation devant le Brésil tout entier... Je décide donc de botter en touche.
- Je... je ne pense pas que ce soit une information qui intéresse les téléspectateurs.
- Ce n’est pas à vous d’en juger, Loïc ! proteste la journaliste. Et, si je peux ajouter quelque chose, je pense même que vous devez bien ça aux citoyens brésiliens, qui ont soif de transparence, après le traumatisme qu’ils viennent de vivre.
- Je ne suis pas d’accord avec vous, Maria Júlia, réponds-je alors, le plus calmement possible. Je ne suis candidat à aucun poste, je me suis définitivement retiré de la scène politique de ce pays, dans lequel je ne vis plus, d’ailleurs. Je n’ai de comptes à rendre à personne, du moins, pas en ce qui concerne ma vie privée...
Je comprends mon erreur avant même d’avoir terminé ma phrase. Le piège vient de se refermer sur Luiz...
- C’est très intéressant ce que vous dites-là, reprend Maria Júlia Coutinho, d’un ton satisfait. Luiz, vous ne vous êtes pas retiré de la vie politique de ce pays, n’est-ce pas, vous avez l’intention de revenir vivre au Brésil, et de participer à la vie démocratique, d’une manière ou d’une autre.
- Certainement, oui...
- Nous sommes donc en droit de vous demander un minimum de transparence sur votre privée.
- Je ne sais pas si...
- Luiz, êtes-vous en couple ? le coupe la présentatrice.
- Je... oui.
- Et peut-on savoir de qui il s’agit ? insiste-t-elle.
- Je... j’aimerais... je préfèrerais ne pas divulguer son identité ce soir, de manière à ce qu’on puisse en discuter ensemble, lui et moi, avant d’officialiser notre relation en public. Je pense que c’est une demande raisonnable, n’est-ce-pas ?
- Et pourquoi ne pas le faire maintenant ?
- Pardon ?
Il y a un moment de flottement sur le plateau. On ne s’en rend pas compte tout de suite, Luiz et moi, mais les caméras se sont tournés vers la régie, où Emerson regarde la scène hors champ, à l’abri des regards indiscrets. Enfin, plus maintenant... C’est en regardant dans le moniteur qui retransmet l’image qui est diffusée à l’antenne que je comprends enfin. Je donne un coup de coude à Luiz, qui prend soudain conscience de ce qui est train de se passer, horrifié.
- Monsieur, rejoignez-nous sur le plateau, si vous le voulez bien, insiste Maria Júlia Coutinho. N’ayez pas peur, voyons !
La journaliste jubile, son plan a fonctionné à merveille. Emerson, le visage écarlate, résiste un instant à son injonction, puis finit par céder sous la pression des caméras. On lui apporte un siège et un micro, et il prend place aux côtés de Luiz, visiblement mortifié.
- Pourriez-vous vous présenter à nos téléspectateurs, s’il-vous plait.
- Je... Je m’appelle Emerson Bragança, balbutie Emerson, d’un voix mal assurée.
- Emerson, merci de nous avoir rejoint. Pouvez-vous nous expliquer la nature de votre relation avec l’ancien président da Silva.
- Je...
- Nous sommes ensemble, intervient Luiz, excédé. Et vous le savez très bien, sinon vous n’auriez pas demandé à Emerson de nous rejoindre ! Sachez que je n’apprécie pas du tout vos méthodes de presse à scandales !
- Luiz, je comprends parfaitement votre indignation, mais croyez bien qu’il y a un peu plus que du voyeurisme dans ma question. Emerson, quelle était la nature de votre relation avec le président da Silva lorsque que vous êtes devenu un couple ?
- Je... je ne vois pas où vous voulez en venir...
- Et bien laissez-moi vous aider, alors. Vous étiez le directeur de campagne du candidat da Silva, avant de devenir le conseiller principal de président da Silva une fois ce dernier élu. Est-ce correct ?
- Oui...
- Et d’après nos informations, votre relation aurait commencé vers la fin de la campagne électorale, avant même que Luiz da Silva n’ait été élu. Êtes-vous en mesure de confirmer ?
Silence sur le plateau. Emerson se refuse à répondre. Luiz aussi. Quant à moi, on ne m’a rien demandé, mais je dois faire un drôle de tête... Et pour cause : je n’avais aucune idée que la relation entre Luiz et Emerson avait commencé dès la campagne électorale. Je m’étais toujours dit que c’était l’exercice du pouvoir qui nous avait éloignés, et considérais que nous étions encore proches et amoureux, lors de la campagne... J’ai dû me tromper... En tout cas, la journaliste remarque ma confusion, car elle décide de se retourner vers moi, après plusieurs minutes sans m’adresser la parole.
- Loïc, étiez-vous au courant de la liaison de votre conjoint avec son directeur de campagne devenu conseiller principal ?
- Euh... Ecoutez, je crois qu’au final, ce n’est pas le sujet. Peu importe ce qu’il s’est passé entre Luiz et Emerson. Ce n’est pas un crime, à ce que je sache !
- Offrir le poste de conseiller principal du président à son amant est un cas d’école en matière de conflit d’intérêts, riposte la journaliste, bien décidée à ne pas en démordre. C’est un délit de corruption aggravé, passible de destitution et de sanctions pénales et financières. A moins que vous considériez le président au-dessus des lois, Loïc.
- Ce n’est pas ce que j’ai dit, réponds-je avec force. Et enfin, ne soyez pas ridicule, Luiz n’a pas offert le poste de conseiller principal à Emerson parce qu’ils couchaient ensemble !
- Donc vous étiez au courant ?
- Eh bien...
- Luiz, demande alors la présentatrice, sans me laisser le temps de répondre, peut-on se représenter aux élections si l’on n’a pas été exemplaire lors de son précédent mandat ?
- Maria Júlia, je ne crois pas qu’on puisse poser la question en ces termes me concernant...
- Mais enfin Luiz, nous venons d’établir en direct sur le plateau de Boa Noite Brasil que vous avez nommé votre amant à un poste clé du gouvernement, lui donnant accès à des informations confidentielles, des secrets d’Etat, et à un salaire généreux, payé par le contribuable brésilien. Comment pourriez-vous prétendre à être de nouveau candidat à la présidence, dans de telles circonstances ?
Je vois Luiz encaisser la remarque de la journaliste, et tenter de contenir sa rage. Il le fait plutôt bien, en bon professionnel des plateaux télé. Je n’en attendais pas moins de lui. En revanche, ce à quoi je m’attendais moins, c’est la réponse qu’il décide de donner à Maria Júlia Coutinho :
- Et bien, Maria Júlia, je ne suis pas candidat à la présidence, donc je vous suggère de mieux préparer les procès d’intention que vous infligez à vos invités, la prochaine fois.
- Vous l’avez entendu sur Globo, l’ex-président Luiz da Silva ne se représentera pas à l’élection présidentielle de novembre, et laisse la voie libre à une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques brésiliens, dont le nom n’est pas entaché par les scandales de corruption et de népotisme. C’est une page de l’histoire politique de notre pays qui se tourne, qui permet au Brésil de renouer avec l’espoir et la confiance en l’avenir...
Le générique de fin retentit sur le plateau. A ma gauche, Emerson semble complètement abattu, tandis que Luiz fulmine. Dès que les caméras se coupent, le beau brésilien bondit de sa chaise et se dirige d’un pas furieux vers Maria Júlia Coutinho, qui le toise d’un air narquois.
- Je suis navrée, lui assène-t-elle d’une voix ferme, alors que Luiz la toise d’un air menaçant, mais le Brésil est une démocratie fragile. On ne peut pas se permettre de retomber dans les combines du monde d’avant, qui ont failli faire chuter le régime pour de bon. Je ne pouvais pas vous laisser refaire subir à notre pays ce que vous lui avez fait subir il y a deux ans.
*
Déjà trop tiède pour être consommée, ma demie Skol s’évente sans que je daigne la terminer. Le visage caché derrière une paire de lunettes noires, je suis attablé avec Luiz et Emerson, dans un bar impersonnel du hall des départs de l’aéroport de São Paulo. Priant pour que personne ne nous reconnaisse. J’ai eu ma dose de scandales lors de ce court séjour au Brésil... Chose étrange, il n’y a plus aucune animosité entre Emerson et moi. Le fiasco de l’interview aura au moins permis de nous faire enterrer définitivement la hache de guerre. Si ce n’est même de créer une forme de complicité, au sein de ce trio maudit sur lequel le Brésil a manifestement tiré un trait. Définitivement. Soit. Nous repartons presque aussi vite que nous sommes arrivés après l’annonce du retour de la démocratie. Il y en aura d’autres pour reprendre le flambeau.
Luiz et Emerson retourneront d’abord à Montevideo, où ils passeront quelques mois à se remettre de ce nouvel échec. Et après ? Ils ne le savent pas encore. Peu probable qu’ils en restent là, ayant visiblement fait le tour de la capitale uruguayenne... Mais ils n’ont aucune idée de ce que le destin a en réserve pour chacun d’entre eux, et encore moins pour leur jeune couple. Pour ma part, je rentre enfin au Canada, après quasiment un mois d’absence, moi qui était initialement parti pour trois jours. L’année scolaire a déjà débuté, il faudra que je rattrape mon retard auprès de mes étudiants de l’université McGill. Sans parler de mes travaux à la fondation McKenzie-Laurier, que j’ai complètement laissé en plan. La rentrée s’annonce donc éprouvante. Mais avoir la tête occupée ne pourra pas me faire de mal, après avoir subi autant de mésaventures en si peu de temps. Et puis, au fond, je ne suis pas mécontent à l’idée de retrouver Andre. Je ne peux pas dire qu’il m’ait vraiment manqué, pendant ces quelques semaines mouvementées – les circonstances n’ont clairement pas joué en sa faveur – mais je suis désormais prêt à retrouver la quiétude de ses gros bras.
Le vol de Luiz et Emerson est annoncé pour embarquement immédiat. Luiz, le visage grave, et la voix étranglée, me quémande une ultime étreinte de ses beaux yeux d’ambre. Je sers mon ex-petit ami dans mes bras pendant de longues secondes, humant pour la dernière fois son doux parfum, qui me rappelle à des jours plus heureux. Puis, c’est au tour d’Emerson de me proposer une embrassade. Un peu surpris, je décide malgré tout de m’y plier, prenant le grand gaillard entre mes bras, avant de lui glisser à l’oreille :
- Prend bien soin de Luiz, s’il-te-plait.
Je sens sa tête qui acquiesce sur mon épaule. Et, alors qu’il se retire, je crois deviner une raideur se former contre ma cuisse. J’ignore si ce sont mes paroles qui ont inspiré le beau brésilien, ou si c’est le fait d’embrasser l’ex de son petit ami, mais Emerson est visiblement satisfait de la manière dont les choses se terminent, entre lui et moi ! Nos adieux s’éternisent, jusqu’à ce qu’ils ne le puissent plus. Luiz et Emerson me laissent alors seul, avec l’image du joli derrière de Luiz s’éloignant inéluctablement vers la porte d’embarquement. Il va me manquer, le bougre... Quelques heures plus tard, ce sera à mon tour d’embarquer, d’abord pour Miami, avec United, puis pour Montréal, avec Air Canada. Le périple touche à sa fin.
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