Chapitre 7 : La Confrontation - (1/2)
Les premiers rayons du soleil qui pointèrent par la fenêtre réveillèrent Deirane. Il n’était pas fréquent qu’elle se levât aussi tard depuis qu’elle vivait dans le harem. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, la pièce était vide. Brun était déjà parti. Elle quitta le lit, et bien qu’elle fût seule, elle s’enveloppa dans le drap avant de se diriger vers l’une des fenêtres orientées au sud et contempla l’océan. La chambre du roi était l’unique endroit de tout le palais où elle pouvait l’admirer d’aussi haut. Le regard portait loin au large. Mais elle ne remarqua rien, aucune île ne perçait la surface de l’eau. Même La Griffe, la plus proche de l’Orvbel, restait bien au-delà de l’horizon. Elle ne décela pas la moindre lueur qui aurait pu lui indiquer la direction. Elle demeura là un moment à rêvasser.
La veille, quand un eunuque était venu lui annoncer de se préparer pour passer la nuit avec Brun, elle avait éprouvé un instant de panique. Elle avait espéré échapper aux attentions du roi. Après tout, il ne l’avait prise qu’une seule fois. C’était illusoire, toutes les concubines y passaient un jour ou l’autre. La rareté de leurs rencontres n’était due qu’au choix important dont Brun disposait dans le harem, et qu’il avait ses préférées qui le visitaient souvent. Mericia par exemple, qu’il honorait une fois par douzain. Comme d’habitude, il s’était montré très attentionné. Et cette fois-ci encore, l’image de Dresil était venue se substituer à celle de Brun, ce qui avait rendu la soirée supportable. Elle avait de la chance qu’il se contentât de moins d’une convocation par mois. Cependant, elle craignait qu’une fois que l’héritier serait né, il n’augmentât leur fréquence. C’était déjà assez difficile maintenant, sa vie deviendrait alors pénible.
La porte s’ouvrit. Elle se retourna, une domestique venait d’entrer et déposait un plateau sur la table basse.
— Merci, dit Deirane. Savez-vous où est passé le roi ?
Elle se releva avant de répondre.
— Le Seigneur lumineux s’entraîne avec son maître d’armes, expliqua-t-elle, comme tous les matins.
— Vous a-t-il laissé des instructions me concernant ?
— Pourquoi l’aurait-il fait ?
Excellente réponse. Devait-elle en déduire qu’elle était libre de partir ? Très certainement.
Elle s’approcha du plateau et découvrit ce qu’on lui avait préparé. Comme d’habitude, le repas était copieux. Bien trop à son goût, même si elle n’avait pas un petit appétit.
— Ce n’est pas agréable de manger seule, voulez-vous prendre le déjeuner avec moi ?
La domestique hésita.
— Je ne sais pas si j’ai le droit, répondit-elle.
Il était évident qu’elle en mourrait d’envie. Même s’il était bien nourri, le personnel n’avait pas accès à des mets aussi délicats que les concubines.
— Seriez-vous rassurée si je vous en donnais l’ordre ?
Elle hocha la tête.
Deirane s’installa sur une des deux chaises. La femme de chambre prit place sur la seconde, du bout des fesses. Elle jetait de fréquents coups d’œil vers la porte, comme si une menace pouvait surgir à tout instant. Sans attendre que la domestique s’en occupât, Deirane se servit une bonne part de la salade de crudité. Puis elle remplit une deuxième assiette. Cela la fit aussi réagir.
— Madame, vous faites mon travail ! s’écria-t-elle.
— Quand nous sommes entre nous, quelle importance ?
Elle posa la deuxième portion devant son invitée.
— Si tu me donnais ton nom, reprit Deirane, cela serait plus facile pour parler.
Comme elle hésitait, la jeune femme adopta un ton taquin.
— Tu en as bien un.
— Sehin, répondit la domestique.
— Et moi c’est Deir… Serlen.
Elle jeta un coup d’œil inquiet vers le plafond. Avec soulagement, elle n’y vit pas ce petit globe noir que Cali lui avait désigné comme un espion feytha. Le roi protégeait son intimité.
— Deirserlen ? répéta Sehin, c’est un étrange nom.
Deirane éclata de rire.
— Non, juste Serlen.
La joie de Deirane rassura la domestique qui se détendit. Elle prit une tranche de pain et y déposa quelques lamelles de fromage.
— Je peux vous demander quelque chose ? bafouilla-t-elle entre deux bouchées.
— Bien sûr, répondit Deirane, nous naviguons toutes dans le même bateau. Je trouverais dommage que l’on ne s’entraide pas.
— Vous n’allez pas vous mettre en colère ?
— Pourquoi me mettrais-je en colère ?
Avant qu’elle ait terminé de parler, elle avait compris.
— Votre tatouage, je peux le voir ? confirma Sehin.
Deirane soupira. Néanmoins, elle se leva. Elle fit glisser le drap qui la couvrait jusqu’aux hanches, dénudant le buste. Sehin était subjuguée. Elle dévorait des yeux la moindre volute dorée ou pierre précieuse. « Au moins, elle ne s’intéresse pas à mon corps », pensa Deirane. Et c’était bien le cas. Aussi magnifique que fût la silhouette de Deirane, ce n’était pas cela qui la captivait, mais les milliers de gemmes incrustées dans la peau que sous-tendait un motif brodé au fil d’or.
Au bout d’un moment, Deirane mit fin au spectacle. Elle remonta le drap sur son corps et retourna s’asseoir.
— C’est incroyable ! s’exclama Sehin.
— Je m’en passerai bien, c’est à cause de ça que je suis ici.
— Ça ne fait pas mal ?
— Je préfère ne pas en parler. C’est lié à des moments douloureux de ma vie.
— Je vous prie de m’excuser.
Un silence pesant s’installa. Au bout d’un moment, Deirane tenta de relancer la discussion et Sehin saisit aussitôt la perche. Mais l’ambiance était brisée.
De retour dans ses quartiers, Deirane s’offrit une douche. Elle resta longtemps sous le jet. Malheureusement, l’eau était incapable de nettoyer ce qui la salissait. Aussi doux que se montrât Brun, ce n’était pas lui qu’elle désirait dans son lit. Elle y allait parce qu’elle n’avait pas le choix. Un instant, elle se demanda ce qui se passerait si elle refusait d’obéir la prochaine fois. Elle ne risquerait pas grand-chose, ce tatouage maudit la rendait invulnérable. Seulement, elle s’était fait des amies. Brun aurait tôt fait de s’en prendre à elles. Sans compter que s’il ne pouvait ni la tuer ni la blesser, elle ressentait normalement la douleur. Il pourrait donc la torturer. Ce n’était finalement pas une bonne idée.
Elle s’enveloppa dans une grande serviette et rentra dans la chambre. Comme d’habitude, tout paraissait impeccable. Loumäi avait tout rangé. Deirane l’entendait s’affairer dans la pièce voisine. Elle regarda sur le lit les vêtements qu’elle lui avait préparés. En les découvrant, elle manifesta un mouvement de recul.
— Ce n’est pas sérieux ! s’écria-t-elle.
Elle prit les deux minuscules morceaux de tissu qui étaient censés l’habiller. Elle les examina comme si elle avait aperçu un serpent. Soudain, elle s’élança dans la pièce voisine.
— Loumäi, j’ai un problème ! Je ne peux pas…
Elle s’immobilisa. La domestique n’était pas Loumäi. La femme qui se tenait devant elle était une inconnue. Et surtout, elle n’était pas seule. Un eunuque lui tenait compagnie. Elle reconnut Daniel, l’amant de Loumäi, qui les avait aidées en faisant entrer Biluan dans le harem quelques mois plus tôt.
— Qui êtes-vous ? demanda Deirane.
— Kathal, répondit la domestique.
Deirane l’observa ranger la pièce méthodiquement, surprise par cette domestique presque aussi âgée qu’Orellide qui avait pris la place de Loumäi. Dans sa jeunesse, elle avait dû être très belle. Cette époque était révolue depuis une dizaine d’années.
Daniel avait profité de la surprise de Deirane pour s’approcher.
— Serlen, je peux vous parler un instant ? demanda-t-il poliment.
— Vous ne voulez quand même pas voir…
Il sourit.
— Je l’ai déjà vu. Ce que j’ai à dire est plus sérieux.
La réponse qu’il avait donnée troubla Deirane. Seuls ses amies et Brun l’avaient vue nue. Alors comment quand en avait-il eu l’occasion ? Elle se laissa entraîner dans la chambre. L’eunuque ferma la porte.
— Je suis venu parler de Loumäi. Vous n’êtes pas sans savoir qu’elle est ma compagne.
— Bien sûr ! Il ne lui est rien arrivé de grave, j’espère.
— Pas encore.
— Pas encore ? Que voulez-vous dire par là ?
— Hier soir, Larein l’a agressée. Depuis, elle est terrorisée. Elle se cache dans le quartier des domestiques et elle a peur d’en sortir.
La nouvelle laissa Deirane sans voix. Elle sentit une boule se former au milieu de son ventre.
— Elle ne reviendra pas travailler tant que le problème de Larein ne sera pas réglé.
— Je peux la protéger, affirma Deirane. Naim…
— Naim s’occupe déjà Cali et Sarin. Vous comptez lui rajouter Loumäi ? Cela fait beaucoup entre les mains d’une seule personne. Elle est forte, mais elle ne peut pas se trouver partout.
Il avait raison. Fournir un garde du corps à Loumäi n’était pas une solution. Elle devait neutraliser Larein une fois pour toutes.
— Vous savez où se trouve Larein ? demanda-t-elle soudain.
— Bien sûr, répondit Daniel. Dans le jardin, comme tous les matins. Elle ne va pas tarder à rentrer.
— Bien ! Le temps est venu que j’aie une discussion avec elle !
Elle quitta la chambre en coup de vent.
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