Chapitre 20 : L'annonce

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L’attaque du monstre avait mis le harem en ébullition. Les concubines, terrorisées, avaient quitté leur chambre pour se réfugier dans les couloirs, loin des fenêtres. Chenlow accompagné de quelques eunuques essayait de les calmer. Malgré sa forte voix, il avait du mal à se faire entendre dans le tumulte des cris de peur et des sanglots. Il remarqua deux Osgardiennes qui ne pleuraient plus, elles étaient bien au-delà. Elles s’enlaçaient convulsivement, en apparence indifférentes à ce qui se passait autour d’elles.

« Elles sont en état de choc », pensa Chenlow.

Il sélectionna deux membres âgés de sa troupe, à l’allure rassurante de grands-pères.

— Amenez ces deux-là, à l’infirmerie, ordonna-t-il.

Elles se laissèrent entraîner sans résistance. Mais elles ne pouvaient s’empêcher de jeter des regards craintifs autour d’elles. Chenlow n’avait aucun mal à les comprendre. Le palais était l’endroit le mieux protégé de la ville. Et cette créature y était rentrée sans difficulté en semant les cadavres derrière elle. Cela faisait des décennies que les feythas avaient éliminé la mégafaune de l’Ectrasyc. Jusqu’alors, il n’avait jamais vu un animal sauvage plus grand qu’un lézard. Pourquoi fallait-il que le retour des gros animaux se produisît avec une telle horreur ? Et surtout, comment cette chose les avait-elle atteints ? En nageant ou en volant depuis un autre continent ? Peut-être qu’on l’avait amenée. Trois pays fabriquaient des bateaux capables de la transporter. Et n’importe qui pouvait les affréter. Elle avait également pu arriver petite et grandir sur place. Ou sortir d’un de ces endroits si ravagés par les feythas que toute vie en avait disparu aujourd’hui. À moins qu’elle ait toujours été présente, qu’elle se cachait dans l’épaisseur de la forêt jusqu’à ce que le tsunami la débusquât.

Il y avait trop de possibilités, il ne parvenait pas à se décider. Heureusement, ce n’était pas son rôle de comprendre. Brun disposait de conseillers pour cela. Lui, il devait maintenir l’ordre dans le harem.

— Calmez-vous, répéta-t-il une fois de plus, et retournez dans vos chambres. Vous y serez en sécurité. Cette créature est trop grosse, elle ne passe pas par les fenêtres.

Une concubine sortit du groupe : Mericia. Elle était sûrement aussi terrifiée que les autres, ce que son rôle de meneuse lui interdisait de montrer. Chenlow remarqua que cette fois-ci, elle était habillée. Elle portait une robe de chambre en soie dorée.

— La domestique qui a été tuée était à l’intérieur, protesta-t-elle. Cette créature ne peut pas rentrer, mais elle possède des bras capables de nous attraper dans le palais.

— La domestique se trouvait dans le hall. Elle traversait un espace dégagé.

Mericia n’insista pas. Une de ses grandes qualités était de comprendre quand il fallait arrêter de discuter. Elle n’ergotait jamais contrairement à beaucoup de ses semblables. La verrière n’avait toujours pas été réparée. Les messagers de Brun n’avaient certainement pas eu le temps d’atteindre le territoire des bawcks qui étaient les seuls à savoir produire des vitres transparentes. Les rapporter nécessiterait encore plusieurs mois. Les menuisiers avaient bien construit des passages en bois, qui ne manquaient pas de charme d’ailleurs. Ils n’étaient destinés qu’à protéger les passants des pluies de feu, personne n’avait imaginé qu’une telle chose existât.

— Vous avez compris que le hall est dangereux maintenant, continua-t-il. Pour autant, n’ayez pas peur. D’autres voies relient les différents bâtiments entre eux. Nous allons vous les ouvrir pour vous permettre de circuler en toute sécurité.

Cette annonce sembla rassurer les femmes autour de lui. Pourtant, Chenlow ne pouvait s’empêcher de penser au casse-tête que cela constituerait. Il allait déverrouiller les couloirs de service. Bien que les concubines eussent le droit de les emprunter – tout au moins ceux qui desservaient le harem –, elles ne disposaient pas des codes ce qui les obligeait à s’adresser à leur personnel pour y entrer. La plupart ne s’en donnaient pas la peine. Pour leur sécurité, il allait leur offrir un libre accès. Les portes de service ouvertes en permanence. Le commandant de la garde allait piquer une crise à cette annonce.

Au soulagement de Chenlow, elles commencèrent à réintégrer leur chambre. Il remarqua qu’elles se regroupaient par deux ou trois. Aucune n’avait envie de retrouver seule cette nuit. Il les comprenait. Il soupira. Dix-huit couloirs tels que celui-ci restaient à inspecter. Ensuite, il rendrait visite au roi afin de lui transmettre son rapport. L’eunuque n’était pas près de voir son lit. Heureusement qu’une aile était en cours de rénovation. L’âge commençait à se faire sentir. Il ne savait pas s’il aurait la force d’aller jusqu’au bout. Et des jeunes aux dents longues guettaient le moindre signe de faiblesse de sa part dans le but de prendre sa place. Chenlow ne pouvait pas se permettre de flancher.

Deux monsihons s’étaient écoulés quand il trouva enfin le temps aller voir Deirane. Elle dormait, d’un sommeil qui n’avait rien de paisible. La jeune femme était agitée de petits mouvements convulsifs et parfois poussait quelques gémissements. Elle était en train de faire un cauchemar. Avant, lorsqu’il était ignorant, il aurait été tenté de la réveiller. Depuis, il avait appris que si on laissait un rêve se dérouler jusqu’au bout, le dormeur n’en gardait aucun souvenir au réveil. Heureusement, ses amies veillaient sur elle. Les jumelles l’entouraient. Elles étaient si petites que même avec une personne aussi menue que Deirane, elles n’arrivaient pas à elles deux à l’enlacer. Elles avaient en partie compensé en se servant de la jeune femme comme d’un oreiller. Leur présence semblait la calmer.

Derrière lui, Dursun s’était endormie sur les genoux de sa maîtresse. Cette dernière, confortablement installée dans un fauteuil épais, veillait. Un poignard en obsidienne était posé, dégainé, sur la table juste à portée de main. Les Samborrens étaient réputés pour défendre chèrement leur vie. Le regard qu’elle jetait sur Deirane semblait confirmer cette réputation. Le Sambor, petit pays coincé entre deux voisins plus puissants, avait réussi à préserver son indépendance. Et bien que Nëjya ne fût pas une combattante, elle saurait certainement se servir de cette arme avec efficacité. A priori, ce soir elles étaient trop ébranlées pour s’écharper, bien que cela n’eût rien d’impossible. Peut-être, l’une d’elles connaissait-elle le genre de monstruosité qui les avait attaqués, certaines venaient de si loin qu’il ignorait le nom de leur contrée d’origine. Il faudrait qu’il les interroge demain.

Nëjya n’était pas la seule à veiller. Loumäi, rendue nerveuse par la présence du chef des eunuques, s’agitait à ranger un appartement déjà impeccable.

— Loumäi, appela-t-il.

— Oui.

Elle s’immobilisa, en proie à une profonde panique.

— Deirane va quitter le palais quelques jours. Tu vas préparer son sac.

Soulagée de recevoir un ordre si anodin, elle se détendit. Elle se tourna face au vieil homme.

— Combien de temps ? Quels genres de vêtements ?

— Des vêtements solides pour une voyageuse. Inutile de prévoir des robes de courtisanes. Elle n’en aura pas besoin. Son absence ne durera pas plus un mois, et elle aura de quoi les nettoyer sur place.

— Trois tenues intégrales suffiront.

Elle se trouvait dans son élément, elle reprenait confiance. Déjà, elle regardait les différentes armoires qui abritaient les vêtements de sa maîtresse pour déterminer ce qu’elle allait emporter.

— Je te laisse toute latitude pour prendre ce qu’il faut.

Il lui adressa un sourire engageant qui la rassura tout à fait. Elle restait au service de Deirane.

— Ensuite, tu te rendras dans l’appartement de Mericia et tu prépareras ses affaires à elle aussi.

L’étincelle de panique qui traversa ses yeux clairs l’incita à aussitôt corriger sa proposition.

— Non, c’est la chambrière de Mericia qui va passer ici te les montrer et tu les vérifieras. En particulier, veille à ce qu’elle n’emporte aucune arme. Et qu’elle n’oublie pas les vêtements de voyage. Il n’est plus temps à ce jour de se promener en pagne.

— Pourquoi Serlen et Mericia ? s’informa Nëjya.

Chaque fois qu’elle parlait, le contraste entre sa voix grave et sa silhouette menue surprenait Chenlow.

— Brun les met à l’abri le temps que le palais soit sécurisé.

— Comment compte-t-il procéder ? Ce monstre escalade les murs les plus hauts comme je monte un escalier.

— Par le passé, cet endroit était un avant-poste des feythas. Ils l’ont protégé grâce aux technologies à leur disposition. Cela fait soixante ans que l’on n’a pas eu besoin de les utiliser. Leur réactivation va nécessiter un peu de temps.

— Pensez-vous y arriver ?

— Les rois successifs ont pris soin de ne pas perdre ces connaissances. Aujourd’hui, elles ne sont plus que théoriques et c’est pour cela que le Seigneur lumineux se donne un mois. À ce moment-là, même un moustique ne pourra pas rentrer dans l’enceinte protégée sans être repéré.

— À quoi ressemblent ces défenses ?

Il leva les bras en signe d’ignorance.

— Personne ici n’était né quand Brun, le premier du nom a investi les lieux et les a coupés. À part peut-être Arsanvanague qui à l’époque vivait en Melia.

— Donc un homme normal a réussi à les passer. Et vous estimez qu’elles arrêteront ce monstre !

— Elle. Le premier Brun était une femme. Et elle disposait de la magie des Helariaseny pour l’aider.

Nëjya semblait satisfaite des réponses.

— Vous pouvez me parler d’elle ? reprit-elle. Était-ce une bonne combattante ?

— Tu n’aurais pas tenu dix tösihons contre elle. Même nos gardes rouges n’auraient pas fait le poids. C’est d’ailleurs elle qui a entraîné les premiers. Je ne t’en dirai pas plus maintenant. Si tu veux un jour je te raconterai tout ce que je sais sur elle.

Nëjya comprenait, elle n’avait qu’à regarder son visage pour déceler le degré d’épuisement de l’eunuque. Sa main se resserra autour de la taille de son amante, puis elle reprit sa veille.

Chenlow remarqua que Loumäi avait sorti deux sacs d’une armoire.

— Un seul suffira, intervint-il, elle devra voyager léger. La vitesse est plus importante que le décorum.

— Le second est le mien, répondit-elle.

— Toi tu restes ici.

— Ici !

L’affolement avait repris la jeune femme.

— Je vais faire quoi ?

— Cet appartement ne restera pas vide. Celui de Nëjya et Dursun nécessitera encore au moins un douzain de travaux avant qu’elles puissent le réintégrer. Peut-être deux. Et qui s’occupera des jumelles en son absence ?

— Je ne serai pas réaffectée ?

— Bien sûr que non.

— Vous n’êtes pas chef des domestiques.

— Je commande ce harem et j’ai mon mot à dire. Tu n’as rien à craindre.

Loumäi n’était qu’à moitié rassurée par ces paroles. Il la comprenait. À la différence des autres concubines, Deirane la traitait davantage telle une amie que comme une servante. Souvent, elle l’aidait dans les tâches ménagères. Et la Salirianer avait beau protester que ce n’était pas son rôle, il voyait bien que ces attentions la touchaient. Tout le contraire de ses semblables qui n’avaient pas tardé à oublier leurs origines modestes et n’hésitaient pas à frapper leur personnel à la moindre erreur, aussi insignifiante fût-elle.

Chenlow se retira enfin. Il allait pouvoir se coucher. Il pensa avec désespoir à la marche qui l’attendait à travers ces immenses bâtiments. Heureusement, Deirane logeant au quatrième, il n’aurait pas d’escalier à monter.

Avant de sortir. Il adressa un salut à Nëjya.

— Je t’envoie un garde que tu puisses dormir.

— Merci, dit-elle simplement.

En quittant la pièce, il se dit que si elle avait été un peu plus épaisse, comme Naim par exemple, Jevin n’aurait jamais réussi à abuser d’elle. Et l’histoire de ce palais se serait déroulée d’une façon bien différente.

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