Chapitre 38 : Trahison - (2/2)
Dans la chambre, Cali écoutait la conversation. Des éclats lui parvenaient à travers la porte, mais elle ne comprenait pas les mots. Afin de mieux entendre, elle se leva, s’enveloppant dans le drap, puis elle se dirigea vers la pièce qui abritait les deux maîtres du pays. Elle colla son oreille contre l’huis. Le bois était trop épais, l’audition n’était pas meilleure, juste plus forte. La voix colérique appartenait bien à Brun, que celle de Dayan, plus calme, essayait de tempérer.
Inquiète, elle retourna dans la chambre. Finalement, elle se tourna vers le buffet qui conservait la réserve d’alcool du ministre. Elle ouvrit la porte. Il était petit. La vraie réserve, plus conséquente, se trouvait dans le salon. Elle regarda les trois bouteilles qu’il abritait. La taille réduite du meuble avait obligé à transvaser les liqueurs dans des flacons de moindre capacité. Elle les examina attentivement, les sortant pour mieux les voir. Dans la pénombre, Cali ne distinguait pas grand-chose. Elle fut obligée de retirer le bouchon et de les sentir comme seul moyen d’identifier leur contenu. Le premier, dépourvu d’odeur, lui fit penser à de l’eau. Elle le rejeta. Le second en revanche se révéla être un hydromel au bouquet généreux. Tout d’abord, elle prit un verre, puis changea d’idée et emporta la bouteille entière.
La discussion entre Dayan et Brun dura pendant plusieurs calsihons. Dès que son roi eut quitté ses appartements privés, il réintégra la chambre. Brun avait raison d’éprouver de la colère. Découvrir que ces maudits serpents se promenaient librement dans les coins les plus secrets du palais avait été particulièrement déplaisant. Jamais Dayan n’avait vu Brun aussi furieux. Il était heureux que cette violence ne fût pas dirigée contre lui.
Tout à ses pensées, Dayan mit un moment à se rendre compte de l’absence de Cali dans le lit commun. Il la chercha du regard dans la pièce sombre. Soulagé, il la découvrit endormie sur le grand fauteuil qui trônait dans un coin. Elle détestait ce fauteuil, et il reconnaissait qu’elle n’avait pas tort. Il jugeait laid ce don du roi précédent. Il envisageait depuis longtemps de s’en séparer, de le remplacer par un autre en accord avec le reste de la chambre.
Puis il remarqua le flacon à ses pieds, et le meuble à liqueur ouvert. Il se précipita, en proie à la panique. Il ramassa la bouteille et la huma. De l’hydromel. Rassuré, il reposa le breuvage à sa place dans le bar puis il retourna vers sa maîtresse. Elle dormait sereinement. Sa poitrine se soulevait régulièrement. Elle n’avait bu que la dose nécessaire pour se calmer les nerfs. La veille, ils avaient dégusté le contenu de cette bouteille ensemble. Et il avait oublié de la faire remplir.
Il pensa avec nostalgie à ces temps, quinze ans plus tôt, où il l’aurait prise dans ses bras et transportée jusqu’au lit sans la réveiller. La vieillesse avait laissé son empreinte. Il avait encore la force de le faire, mais le lendemain il payait un tel effort de nombreuses courbatures. La vigueur n’étant plus qu’un souvenir, la satisfaire l’obligeait à déployer des trésors d’imagination. Il était cependant persuadé que même si elle appréciait, elle s’en passerait au besoin. Seule sa présence était nécessaire, le reste ne constituait que du luxe.
Il la contempla en train de dormir, si calme, en paix. Le drap avait glissé, révélant une épaule et le haut de la poitrine. Un moment, il envisagea de le pousser davantage. Il désirait en voir davantage ; il ne se lassait jamais de l’admirer. Il tendit la main. Au dernier moment, il renonça. Elle semblait si paisible, il ne voulait troubler son sommeil d’aucune façon.
À regret, il retourna seul à son lit finir sa nuit interrompue par son roi. Les yeux mi-clos, Cali le regarda s’éloigner, regrettant qu’il n’ait pas achevé son geste.
Une fois qu’il eut quitté Dayan, Brun se rendit dans sa suite. D’un tiroir, il sortit deux tubes lumineux. Puis il descendit l’escalier qui menait aux appartements de sa mère. Il ne s’y arrêta pas, continuant au sous-sol, en dessous même des tunnels de services. Au plus profond, une porte métallique bloquait le passage. Il posa sa main sur la plaque translucide encastrée à côté. Un déclic le prévint qu’elle était déverrouillée. Il la poussa.
Derrière, le couloir était sombre. Il brisa un des tubes. La lumière chiche qu’il émit lui permettait juste de s’orienter. Il s’engagea dans le tunnel. Après presque un calsihon de marche, il arriva à ce qui semblait constituer un cul-de-sac. La paroi devant lui coulissa et il se retrouva dans une salle bien éclairée. Au centre, le bassin était vide. Il n’avait jamais réussi à comprendre en fonction de quoi il était plein ni ce qu’il contenait. Des traces noires sur les murs témoignaient que quelque chose s’était passé ici. Il allait éclaircir ce mystère.
Il se dirigea vers le rideau métallique qui fermait la salle à sa droite. Juste à côté se trouvait une porte en acier. En utilisant son médaillon royal comme clef, il l’ouvrit. Une fois de plus, il se demanda ce qui avait nécessité la construction de couloirs aussi immenses. Au centre, une masse de gélatine dégorgeant un liquide huileux attira son attention. Il ignorait ce qu’était cette chose, à chacune de ses visites, il n’avait jamais rien vu de ressemblant. Une explication s’imposait : quelqu’un s’était introduit dans son repère secret. Et cela ne pouvait être que ce maudit serpent. De fureur, il donna un coup de pied dans le débris, projetant un morceau visqueux contre un mur. Puis il reprit sa marche dans les profondeurs du complexe.
Il arriva rapidement à la salle qu’il cherchait. Il entra. Le centre de contrôle du palais l’entourait. Il avait été construit par les feythas, au cours de la guerre. À l’origine, ils l’avaient destiné à des stoltzt. Les humains, anatomiquement semblables, étaient donc capables de l’utiliser. Il se dirigea vers ce qui semblait être un bureau sur lequel trônait un clavier. Il enfonça quelques touches et la vitre fumée devant lui s’éclaira. Il afficha une carte du palais.
— Voyons où s’est rendue la pentarque juniore, dit-il à voix haute.
Quelques commandes supplémentaires et une ligne colorée se dessina à l’écran. Sans surprise, elle était surtout concentrée au niveau des appartements des invités et dans la salle de bal. Brusquement, elle s’interrompit. Dinan avait échappé aux détecteurs. Elle réapparut quelques calsihons plus tard, dans le grand hall au bassin. Cela confirma ses craintes, le serpent avait découvert son secret. Son trajet dans le complexe souterrain montrait qu’elle avait circulé partout. Pourtant, elle n’avait pas semblé y accorder d’intérêt, elle n’avait rien détruit. Il était arrêté quand elle y était passée, peut-être le croyait-elle non fonctionnel. Et, le plus important, elle n’avait pas découvert le centre de contrôle. Elle ignorait donc encore qu’une forteresse feytha en parfait état de marche se dressait à deux pas de l’Helaria.
« Ce n’est pas logique », pensa-t-il, « si elle peut échapper aux détecteurs, pourquoi n’est elle pas rentrée discrètement ? Sa démarche est incompréhensible. »
Il s’enfonça dans son fauteuil.
« Elle détournait l’attention », déduisit-il. « Elle cherchait à éloigner les gardes. Et s’ils l’ont trouvée nue, ce n’est pas par exhibitionnisme, mais parce que ses vêtements les auraient avertis qu’il se tramait quelque chose. Elle n’est pas tombée ici par hasard, on l’y a conduite. »
Il tapa quelques commandes. Une seconde ligne, d’une couleur différente, apparut. Elle ne côtoyait la première qu’en quelques points : la salle de bal, l’appartement des invités et enfin, le centre de contrôle. Tous ses autres déplacements se situaient dans l’enceinte du harem.
« Ma petite Deirane, tu essaies de me trahir. J’aurais dû m’y attendre. »
Puis il remarqua un fait intéressant, Deirane était entrée dans le complexe par un chemin différent de celui utilisé par Brun. Il existait donc un deuxième accès. Cette seconde voie partait de la chapelle de Matak. Et c’était dans ces parages que les eunuques étaient tombés sur la pentarque.
Brun réfléchit un instant aux implications de cet événement. Il estima qu’il était sans gravité. L’Helaria ne pourrait jamais s’emparer de cet appareil. Et même si cela était, quel avantage gagnerait-elle d’un système permettant de surveiller le harem ? Quoique, elle saurait peut-être en tirer quelque chose. Il avait du mal à croire que les capacités de ce centre se limitaient à aussi peu. Les feythas avaient construit cette forteresse dans le but d’espionner l’Helaria, il devait y avoir un moyen d’y arriver, voire plus loin encore. Le poste de garde visualisait des images du palais, il avait l’intuition que ce centre le pouvait également. Malheureusement, les notes que son grand-père avait laissées s’avéraient si imprécises. Et il avait toujours échoué à trouver des explications plus complètes. Son père, dans sa folie, lui avait fait perdre tant de secrets.
Il était temps de rentrer. Si ce serpent avait découvert ce lieu, les pentarques connaissaient maintenant son existence. C’était gênant, mais pas grave. Quant à Deirane, elle l’avait trahi. Il allait devoir lui donner une petite leçon. Il ignorait encore comment il allait la punir. Ce n’était toutefois pas les options qui manquaient. Avec les concubines, il était obligé de faire attention, les châtiments devaient être suffisamment légers afin de ne pas endommager leur beauté. En revanche, avec Deirane, c’était différent. On ne pouvait pas la blesser. Par contre, elle ressentait la douleur normalement. Son officiant allait s’en donner à cœur joie. Enfin, après que ces intrus fussent partis. Tant qu’ils résideraient chez lui, ils l’empêcheraient de lui faire du mal. Mais leur séjour ne durerait pas éternellement.
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