Chapitre 39 : Un nouvel espoir

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À la demande de Calen, Deirane se rendit aux appartements des invités au petit matin. Elle n’eut que le temps de se préparer. Contrairement à ses craintes, Brun n’avait pas opposé d’objection. Au contraire, l’eunuque venu la chercher lui avait transmis les consignes de son roi. Elle devait s’habiller conformément à son statut de future reine d’Orvbel. Elle n’était pas trop sûre de ce que cela signifiait. Heureusement, Loumäi le savait. La robe en soie écarlate était décorée de broderie au fil d’or. Elle manifestait pleinement la richesse du propriétaire de la jeune femme. Habituée aux tenues légères qu’elle portait depuis son arrivée au palais, elle étouffait sous la masse de tissu.

Ainsi engoncée, l’eunuque la guida jusqu’aux appartements attribués à Calen et à sa suite. Elle fut conduite dans le petit jardin qui faisait face à l’est. Ksaten et Dinan étaient déjà présentes à se prélasser aux rayons du soleil levant. Calen par contre, était habillée. Une robe simple qui mettait en valeur sa taille fine et sa poitrine opulente.

— Bonjour Deirane, commença Calen.

Cela faisait longtemps que Deirane savait que l’aveugle était capable d’identifier les personnes autour d’elle. Elle ne fut donc pas surprise d’être ainsi accueillie.

— Bonjour Calen.

Elle salua également les deux autres femmes qui lui répondirent distraitement.

— Je suis étonnée que Brun m’ait laissée venir. Depuis que les eunuques ont trouvé Dinan dans les jardins du harem, il se méfie.

— Il faut croire que la peur que nous lui inspirons lui fait reconsidérer ses priorités, répliqua Ksaten sans bouger le moindre cil.

— Ou alors, il a une autre idée derrière la tête, ajouta Calen.

La bibliothécaire tapota la chaise longue à côté d’elle.

— Assieds-toi, et ouvre cette robe, tu dois étouffer là-dessous.

— En fait, il ne fait pas si chaud que cela pour la saison.

— Tu n’as pas tort, cela ressemble au temps de mon enfance, avant l’arrivée des feythas.

La jeune femme s’installa auprès de son amie.

— Ce qui s’est passé hier est très grave, continua Calen, tu t’en rends compte.

— Brun est en colère, mais il ne prendra aucunes représailles contre qui que ce soit.

— Ce n’est pas de ça que nous parlons, intervint Dinan.

— Il subsiste sur Uv Polin des machines feythas autonomes, expliqua Ksaten. Nous l’ignorions.

— Elle est la seule, et elle le restera. Sans compter qu’enfermée dans ses souterrains, elle ne peut commettre aucun dégât. En plus maintenant elle est démolie.

— Faux, faux et faux ! assena Dinan.

Calen sourit à la réaction de la jeune stoltzin.

— Je vais un peu argumenter les réponses de Dinan, ironisa-t-elle. Tout d’abord, les machines se reproduisent sans avoir besoin d’un partenaire. Il suffit d’en assembler une autre. Nous croyions les avoir toutes détruites. Nous disposons maintenant de la preuve que non. Combien d’entre elles nous ont échappé ? Pire ! Et si c’était une unité de production que nous avons oubliée ? Tu as rencontré deux dieux. Y en a-t-il d’autres ?

— Je comprends ce que tu veux dire. Ces machines représentent-elles un danger ?

— Une seule, non. Mais elles pourraient bien nous submerger si elles trouvaient assez de matière première. Et dire qu’après la guerre, nous craignions d’avoir laissé un feytha en liberté. Nous étions tellement soulagés que nous avions oublié les machines.

— Elles n’ont pas de cerveau, pas de pensées, on ne peut pas les détecter, se désola Dinan.

— Un feytha aurait donc mieux valu, en déduisit Deirane. Au moins, vous pourriez reconnaître sa présence. Sans compter que seul, il ne représenterait pas une menace.

— Tu te fais de fausses idées sur ces monstres en les comparant à nous, la contredit Calen.

En disant cela, Calen avait attiré la jeune femme contre elle pour la câliner. Deirane se laissa faire.

— Autre chose. J’ai appris qu’une stoltzin vivait dans le harem.

— En effet, répondit Deirane, une acquisition récente de Brun. Pourquoi ?

— Elle doit repartir avec nous.

— Brun ne voudra jamais s’en séparer. Elle est unique dans le harem.

— J’en suis consciente. Seulement, elle va mourir si elle reste ici.

Deirane se dégagea de l’étreinte.

— Pourquoi ? s’écria-t-elle.

— La cuisine humaine peut nourrir un stoltz. Pourtant, il manque quelque chose dedans. Nous ignorons quoi. Au début, tout se passe bien. Puis l’individu finit par tomber malade, il s’affaiblit et il décède. Afin de rester en bonne santé, un stoltz doit manger au moins une moitié d’aliments déjà présents avant l’arrivée des feythas.

— En Orvbel, à part le jurave, nous ne disposons que de ce que les feythas ont créé.

— Depuis quelques jours que nous vivons ici, je m’en suis rendu compte. Bien qu’excellente, la nourriture est inadaptée.

Deirane réintégra les bras protecteurs de la Bibliothécaire.

— Heureusement, vous ne resterez pas suffisamment pour en ressentir les effets.

— Heureusement. Les symptômes mettent du temps à se manifester, plusieurs mois. Mais quand ils apparaissent, c’est trop tard.

— Et si Brun refuse de la laisser partir, que devrons-nous lui donner ?

— Un maximum de produits originaires de notre monde. Du poisson, des céréales indigènes, des algues. Vous consommez des poely et des trosy. Même si c’est un bon début, ce n’est pas suffisant. L’idéal serait que vous les prépariez en utilisant la recette originale qui contient de la farine de mer¹⁰.

— Cet ingrédient est toxique ! s’exclama Deirane.

— Pour les nouveaux peuples uniquement. Vous aurez à faire attention à ne pas mélanger les portions. Ce ne sera pas un problème je pense.

Deirane hocha doucement la tête, oubliant que la belle stoltzin ne la voyait pas.

— Non bien sûr. On aura juste à surveiller les enfants pour pas qu’ils n’en mangent. Et quand repartez-vous ?

— Bientôt. Notre visite touche à sa fin. Les négociations avec Brun sont presque achevées. Dès qu’il nous aura restitué notre bateau et notre équipage, nous continuerons notre tournée.

Une pointe de nostalgie traversa l’esprit de Deirane. Cet intermède allait se terminer. Et avec lui, elle allait retomber dans la routine du palais, privée de toute liberté.

— Nous t’avons réservé une place à bord, ajouta Calen.

Un moment, Deirane n’en crut pas ses oreilles.

— Une place ? Comment ça ?

— Nous t’emmenons.

— Comment ? Brun ne me laissera jamais embarquer.

— Nous n’avons pas l’intention de lui demander l’autorisation, intervint Dinan. Juste après notre départ, je viendrai te chercher.

— Comment ?

— On pense à moi comme une guerrière, on oublie souvent que je suis magicienne aussi. Et une bonne. Je peux projeter mon corps à distance de là où je me trouve. Instantanément. Ou presque.

Deirane médita à ces paroles. Parlait-elle réellement de téléportation ? Elle avait rencontré ce terme dans des romans, sans se douter qu’il fut accessible aux enchanteurs.

— J’ignorai que c’était réalisable.

— Ce n’est pas facile. Ça nécessite beaucoup de préparation. Je dois connaître le point d’arrivée. Et celui-ci doit être absolument vide. Si une autre personne ou un objet se trouve à l’endroit où on se projette, on meurt.

— Cela s’est déjà produit ?

— Certains gems sont morts ainsi. D’ailleurs, cela explique qu’ils ne nous aient jamais envahis. Se matérialiser à l’intérieur de nos cités troglodytes était trop dangereux, ils risquaient d’apparaître dans un mur.

— Et donc, vous viendrez me chercher ?

— Deux téléportations successives, dont une accompagnée, ce n’est pas possible. Je vais devoir trouver une solution afin de rester en arrière pendant que Calen s’en va.

— Si vous restez ici, Brun le remarquera ! s’écria Deirane.

— C’est pourquoi je partirai après-demain dans la matinée. Ostensiblement. Je me débrouillerai pour revenir plus tard, discrètement, puis je me dissimulerais jusqu’à l’appareillage de la flotte.

— Vous allez rester invisible ?

— Pendant au moins une journée entière ? Certainement pas. Après, je n’aurai plus la force de me téléporter avec toi. Non, je vais me trouver une bonne cachette. Ça fait un moment que tu habites ce palais, as-tu une idée ?

La jeune femme examina les souvenirs qu’elle avait de ses explorations. En dehors du harem et des jardins, elle n’avait pas accédé à beaucoup d’endroits. Peut-être l’appartement de Jevin, inoccupé depuis son départ, ou celui de la reine en titre, qu’Orellide avait libéré en devenant reine mère. Personne n’y allait jamais, une personne pourrait s’y cacher sans que quiconque n’eût l’idée de l’y chercher. Elle risquait cependant d’avoir du mal à s’y introduire. Ces deux appartements étaient situés dans la tour qui abritait la suite de Brun, ils avaient une porte qui donnait sur le harem. Malheureusement, ils étaient verrouillés et elle ignorait où se trouvait la clef. Peut-être Dinan disposait-elle d’une solution.

— Il y a bien…

— Silence ! s’écria soudain Calen.

Aussitôt, Dinan se mit sur ses gardes. Elle regarda autour d’elle.

— Vous n’entendez pas ce bruit ? reprit Calen.

— Quel bruit ? demanda Dinan.

— Une sorte de bourdonnement d’insecte, avec une composante plus aiguë.

Elle tendit le doigt en l’air.

— Par là.

Deirane tourna ses yeux dans la direction indiquée. Dans le ciel, elle distingua quelque chose qu’elle ne parvint pas à identifier. En tout cas, ce n’était pas un oiseau, ceux-ci ne volaient pas sur place. Par contre, Ksaten le reconnut.

— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Deirane.

— Un espion mécanique aérien. De conception feytha.

— Matak est détruit. Comment peut-il nous surveiller ?

— Soit ce n’était pas la seule machine, soit quelqu’un d’autre peut utiliser cette technologie.

Calen se tapa sur le front.

— Je suis stupide ! s’écria-t-elle. Si Brun a réussi à remettre le bouclier du palais en route, c’est qu’il a accès à ces contrôles.

— Tu crois que ce palais abrite quelque part un centre manipulable par les humains ? s’enquit Dinan.

— C’est évident.

— En attendant, je vais m’occuper de ce truc.

La stoltzin rousse leva le bras en direction de l’objet. Une ondulation, décelable par une sorte de flou dans l’air, se propagea depuis sa main. En quelques tösihons, elle atteignit l’espion, un craquement nettement audible leur parvint, malgré la hauteur. Il retomba, broyé, juste à côté du groupe.

— À l’avenir, ça serait bon d’éviter cela, fit remarquer Calen. Il vaudrait mieux les récupérer intacts. La technologie feytha nous est précieuse.

— Cette technologie a failli nous anéantir. Même après leur disparition on a frôlé la mort. Les pluies de feu qui empoisonnent le continent, les terres invivables à l’ouest, le génocide dont on a été victime. On peut se passer de cette monstruosité.

La petite stoltzin n’avait pas tort. Les stoltzt, Helaria en tête, avaient constitué le moteur qui avait mené à la victoire contre les feythas. Mais à quel prix ? D’ailleurs, Calen qui avait connu les horreurs de cette guerre ne dit rien.

— Ce palais est quand même étrange, lâcha Dinan en examinant l’épave de l’espion volant. La technologie feytha y côtoie la magie.

— La magie ? s’étonna Deirane.

Dinan la dévisagea, intriguée.

— Oui. Tu l’ignorais ?

— Pourtant les humains ne peuvent pas la pratiquer.

— Ils peuvent utiliser des sorts gems. Et des charmes gems sont à l’œuvre dans ce palais.

— De quelle nature ?

— Je ne sais pas. Je sens sa présence, c’est tout. Et uniquement parce que son utilisateur s’en sert de façon grossière.

Deirane réfléchit à cette annonce. Qui dans le palais pouvait bien manipuler la magie ? Brun ? Possible. Sa richesse lui permettrait de s’offrir les sorts les plus puissants s’il le désirait.

— Combien coûte un sort gems ? demanda-t-elle soudainement.

— Cela dépend de sa nature. Les plus onéreux valent des milliers de cels, répondit Dinan.

— Et les moins chers ?

— Quelques cels. Voire moins pour les plus basiques tels que les cosmétiques.

Des sorts cosmétiques ! Dans un harem où la beauté régnait en maître ! Une concubine se ferait-elle passer pour plus jolie qu’elle n’était ? Cette idée amusa Deirane.

— Si tu veux en savoir plus, trouve la gemme, reprit Dinan.

— La quoi ?

— Mes sensations ont une durée prolongée, entre un et deux calsihons. Pour cela, l’utilisateur doit disposer d’une gemme.

Elle montra le pendentif qu’elle portait au bout d’une chaîne en or. Un morceau de quartz taillé avec art.

— Si tu vois quelqu’un avec ce genre de cristal sur elle, tu auras découvert ton magicien. Mais contrairement aux sorts, une gemme coûte très cher. La sienne risque d’être petite ou de piètre qualité. Donc, ouvre bien l’œil.

Dinan rangea son bijou. Puis elle ramassa les débris de l’appareil détruit.

— Cette réunion est finie, déclara Calen. Nous nous reverrons plus d’ici à notre départ, tout au moins en privé. Bonne chance. Et soit à l’heure, avec ta fille, si tu veux que nous t’emmenions.

— C’est une bonne idée, remarqua Dinan. Personne n’y vit puisque Brun n’a pas choisi de reine en titre.

— Mais comment …

Dinan était une télépathe. Elle avait certainement lu l’information dans sa tête. C’était préférable, si on pouvait écouter les conversations, personne ne pouvait espionner les pensées des gens.

La jeune femme se leva. Calen fit de même. Les deux amies s’enlacèrent. Ainsi serrées l’une contre l’autre, la différence de taille entre elles était flagrante. Deirane, toute petite, face à Calen qui était plus grande que la moyenne. La tête de Deirane arrivait tout juste à hauteur de la poitrine de la stoltzin. Après une longue accolade, elles se séparèrent.

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8 - Galettes à base de farine de rhizomes de fougère.

9 - Pâtes confectionnées avec la farine de fougère et des œufs de jurave.

10 - Algues bleues séchées et réduites en poudre.

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