Chapitre 44 : Les Nouveaux maîtres de l'Orvbel - (1/2)
Le lendemain, un eunuque vint réveiller Deirane. Le Seigneur lumineux voulait la voir. Elle disposait de trois calsihons pour se préparer. Cette nouvelle l’emplit de joie, elle allait savoir ce que son bébé était devenu. Elle se dégagea de l’étreinte de ses amies, Sarin s’était carrément allongée sur elle. La peintre, malgré sa minceur, était plus lourde qu’elle ne le paraissait.
Elle avait dormi dans sa robe de la veille qui était toute froissée. Et ses cheveux étaient emmêlés. Elle n’était pas présentable. Sous le regard impassible de l’eunuque, elle commença à ôter ses vêtements. Impassible, pas tant que ça. Une lueur d’intérêt vite réprimée s’était allumée dans ses yeux. Loumäi, qui s’était réveillée, ramassa les vêtements au sol et les jeta dans un panier qu’elle transporterait ultérieurement à la laverie. Maintenant qu’elle savait ce qu’elle y faisait, Deirane comprenait mieux pourquoi elle se montrait si empressée de s’y rendre. Elle s’enveloppa dans une grande serviette et se dirigea vers la douche, laissant à la domestique le soin de lui préparer une robe. Elle accordait toute confiance en son choix.
Quand Deirane revint, elle fut surprise. Loumäi avait sélectionné une tenue neutre et élégante. Elle pensait que sa silhouette représentait son meilleur atout dans sa future discussion avec Brun, cependant la jeune femme en avait décidé autrement. Après tout, jusqu’à présent son instinct s’était révélé sûr. Autant le suivre. Elle la laissa s’occuper de sa chevelure. Deux calsihons plus tard, elle était prête. Le temps qu’elle se rendît à son entretien, elle arriverait avec un peu d’avance.
Empruntant la voie privée qui traversait l’aile qu’avaient habitée Dayan et Cali, l’eunuque la guida à travers les couloirs jusqu’au bureau de Brun, situé derrière la salle du trône. Il frappa. Une voix masculine les invita à entrer.
Deirane prit une grande respiration afin de se donner du courage, et pénétra dans la pièce. Brun l’y attendait. À la surprise de la jeune femme, il n’était pas seul. Deux des cheffes des principales factions du harem lui tenaient compagnie. Elles étaient installées à la table de réunion qui occupait la majeure partie de l’espace. Tout comme elle, Lætitia avait revêtu un ensemble qui atténuait ses formes avantageuses. Par contre, Mericia était restée fidèle à elle-même, elle ne portait qu’un simple pagne. Enfin, Deirane le supposait, le plateau de bois marqueté masquait le bas de son corps. Il ne manquait que Larein, tête de la dernière faction.
De la main, Brun fit signe à Deirane de s’asseoir. La jeune femme hésita. Les deux concubines déjà présentes s’étaient placées l’une en face de l’autre. Elle allait devoir décider à côté de laquelle elle allait s’installer. Et son choix serait interprété. Se mettre au bout de la table était tout autant exclu, les deux autres risquaient de considérer cela comme une déclaration de guerre. Si Larein était arrivée, Deirane n’aurait eu qu’une seule possibilité, personne n’aurait rien pu lui reprocher. Là, la situation était explosive.
Après réflexion, elle choisit de s’installer à côté de Mericia. Cette dernière était prompte à réagir, elle préférait ne pas s’en faire une ennemie, d’autant plus qu’elle avait déjà entamé des manœuvres en direction de Deirane. Et les aventures qu’elles avaient vécues ensemble avaient créé des liens plus étroits qu’avec Lætitia. En plus, avec un peu de chance, en interposant cette beauté dénudée dans l’axe de vision de Brun, le roi serait distrait chaque fois qu’il s’adresserait à Deirane.
Brun s’assit le dernier, il prit place au bout de la table.
— Je suppose que vous savez pourquoi je vous ai convoquées, commença-t-il.
Aucune ne réagit.
— Je n’ai plus de ministre (il accompagna ces paroles d’un regard appuyé vers Deirane) et il m’en faut un.
— L’une de nous va le remplacer, osa proposer Mericia.
— Non !
La réponse claqua, la coupant net dans son élan.
— Aucune d’entre vous n’est en mesure de le remplacer. J’entretiens une école à grands frais, mais une seule la fréquente assidûment parmi vous trois. Je devrais choisir au sein des concubines de second ordre si je m’en tenais à cet unique fait. Et encore, la seule qui pût prétendre à ce rôle n’est même pas promue.
Deirane ne put retenir un petit sourire. Le roi ne pouvait que parler de Dursun.
— Salomé n’est pas une imbécile, non plus, protesta Mericia.
Le roi lui adressa un regard glacial sans que celle-ci parût s’en émouvoir avant de continuer.
— J’ai donc décidé de vous réunir dans le but de discuter de la nouvelle organisation du gouvernement.
Les trois femmes attendirent, suspendues aux révélations de leur souverain.
— Puisque personne dans le harem ne peut succéder à Dayan, c’est tout le harem qui constituera le gouvernement du royaume. Tout le harem !
Il martela ces mots pour bien les faire entrer dans leur tête.
— Et vous, les cheffes de factions, vous représenterez mon interface avec lui.
— Seigneur lumineux, que voulez-vous dire par interface ? s’enquit Mericia.
Deirane ne l’avait jamais vue aussi prudente et mesurée dans ses paroles.
— Cela signifie que je n’aurai affaire qu’à vous dans la marche du royaume. Vous vous organiserez ainsi que bon vous semblera avec vos subordonnées, mais vous seules me rendrez des comptes et vous seules serez responsables devant moi des résultats. En bien comme en mal.
Il se tut, laissant aux trois femmes le temps de digérer cette révélation.
— Excusez-moi, intervint Deirane. Si les chefs des factions forment le nouveau gouvernement, ne devrions-nous pas attendre Larein ? Elle tient une place importante parmi nous. En fait, sa présence se justifierait davantage que la mienne. Certains groupes mineurs sont plus gros que le mien.
Le regard de Brun se dirigea vers elle, abasourdi.
— Tu es sérieuse ? s’étonna-t-il enfin.
— Il y a un problème avec Larein ? demanda Laetitia.
Brun ne réagit pas tout de suite. Un silence pesant s’installa. Finalement, il reprit la parole :
— Nous en parlerons après cette réunion.
Cette réponse donna un élan de joie à Deirane. Elle allait avoir l’occasion d’aborder la question de sa fille. Vivement que cette séance se terminât !
— Je n’ai pas encore décidé comment vous organiser. Et d’ailleurs, ce sera votre première tâche. Comprenez bien une chose. Vous ne bénéficierez pas des pouvoirs de Dayan. Vous ne commanderez pas aux fonctionnaires, à l’armée ou à la population. Je vous transmettrai toutes les données nécessaires, vous aurez accès à tous les documents voulus, tous les rapports, les traités. Votre rôle consistera uniquement à me conseiller au mieux. Vous appartenez à un harem cloîtré. Et cela ne change pas.
Les concubines ne disaient pas le moindre mot, digérant l’information. Elles dirigeraient l’Orvbel, sans vraiment le diriger.
— L’une d’entre nous va-t-elle être au-dessus des autres ? s’informa enfin Mericia.
— Mericia, tu as toujours espéré devenir la reine d’Orvbel. Pour une raison inexpliquée, tu n’es jamais tombée enceinte. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. Parmi toutes mes concubines, tu es celle qui a mis le plus de cœur à l’ouvrage.
Cette remarque arracha quelques sourires à ses deux consœurs.
— Cependant, Serlen t’a coiffée au poteau. C’est elle qui sera reine. En public toutefois. Dans cette assemblée, il n’y aura aucune préséance. Je vous l’ai dit, vous vous organisez à votre convenance. Ce que je veux, c’est que vous me conseilliez. Et seuls comptent les résultats, qu’importe le moyen par lequel vous les obtiendrez.
Il marqua une pause pour qu’elles intégrassent bien ce fait. En particulier, il confirmait la future nomination de Deirane au rang de reine. La mort de Dayan n’avait apparemment pas entamé ses chances.
— Il est de notoriété publique que je hais l’Helaria. Pourtant, je dois admettre que leur succès est dû en grande partie à leur mode de fonctionnement : cinq pentarques, hiérarchiquement égaux, dont chacun parle au nom de tous. Toutefois, les cinq ne travaillent pas sur tout, ils se sont spécialisés. Chacun exerce ses talents dans son domaine de prédilection. Et dans ce domaine particulier, il est le meilleur. Je vous conseille de vous en inspirer. Vous n’arriverez pas les copier. Cette hiérarchie ne marche que grâce à la faculté qu’ils ont de communiquer entre eux instantanément et à tout moment, chose qui est hors de notre portée, nous autres humains dépourvus de magie. Malgré tout, elle constitue une bonne base de travail.
Brun posa son menton sur ses mains jointes, les coudes sur la table, une attitude que ses nouvelles assistantes finiraient par associer à une attente de sa part. C’était à elles de parler maintenant. Les trois femmes se regardèrent. Depuis des années, elles se combattaient de façon plus ou moins sournoise, dans le but de prendre l’ascendant. Elles devinaient confusément que ce temps était fini. Elles allaient devoir collaborer. Brun ne tolérerait plus leurs frasques.
— Puisque vous n’avez pas de questions – je suppose qu’elles viendront par la suite –, mettons-nous au travail.
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