Une seconde explosion secoue le vaisseau. Tina se bouche les oreilles... pour ne plus entendre les gros mots de Cook. Orass se lève pour rejoindre le mercenaire à l’arrière du vaisseau.

Tina reste seule dans le cockpit. A-t-elle peur ? Est-elle en danger ?

Non. Oui.

La peur de la mort, vaine et encombrante, a été estompée dans l’Essaim, surtout sur Ker Rock. Le programme s’appelle NoMoreFOD (NoMoreFearOfDeath). Ce déconditionnement performant est enseigné dès le plus jeune âge dans toutes les éco'Oles des vaisseaux de l’Essaim, tant les éco'Oles spirituanistes publiques que les sections autonomo-corporisantes privées.

Un des avantages non-négligeables de la suppression de cette angoisse a évidemment été un allongement de la durée de vie moyenne. Actuellement, seuls certains poètes en mal d’inspiration réactivent leur Fear of Death Activity, le temps de pondre un truc bien morbide qui ne plaît plus à personne.

Bref Tina n’a pas peur, bien que ce danger soit franchisé en mode réal. Elle respire calmement, l’esprit unifié, en pleine réalisation satori.

Soudain la voix d’Orass la fait tressaillir :

— Cook, les ailerons de ta queue se sont mis à pivoter de manière prématurée !

— Ta gueule !

— Cook, faut s’expulser !

Le pilote ouvre son ultracombi et en sort une bouteille, il boit une goulée d’un liquide or foncé.

Une voix de robote sensuelle répète : « Risque de désintégration imminente ! Prière d’envisager une évacuation adéquate ! »

— OK, les tourteaux, on va activer la solution de sécurité intégrée. Tenez, buvez un coup !

Et le valeureux Cook de partager gracieusement son Single Malt avec un scientifique fou et une pute hors de prix.

Dans la navette, le bruit est intense – preuve s’il en faut qu’une extraordinaire quantité d’énergie est libérée en très peu de temps…

Bien entendu, ce n’est pas parce que la peur de la mort a été pédagogiquement désactivée durant leur enfance qu’elle ne doit pas s’activer en mode d’urgence immédiate et de survie prioritaire. Orass et Tina regardent Cook avec une angoisse grandissante, mais celui-ci leur sourit gentiment.

— Serrez-vous près de moi. J’active la sphère !

Le système d’expulsion ultraperfectionné, un ballon cosmique de type collectif, MX 117'00, génération 3832, dont Cook a équipé la Plume de Feu, leur donne une autonomie de huit heures. Les trois voyageurs se retrouvent dans une boule pressurisée, partiellement rigide, fabriquée en matière synthéticorganique et en métal'Al. La boule de survie est évidemment équipée d’un système de communications, d’une protection au moins partielle contre les rayons cosmiques et aussi contre les micrométéorites ! Non, mais faudrait pas prendre Cook pour un guignol ! Tout ça, sans oublier que la bulle évacue dioxyde de carbone et vapeur d’eau expirés et qu’elle assure une protection thermique.

La sphère de survie est conçue pour trois personnes maximum. Et cela tombe bien vu qu’ils sont trois… Certes, ils sont un peu serrés, mais comme Cook a une bouteille de whisky et qu’il est d’humeur partageuse, c’est plutôt sympa.

— Monsieur Cook, vous êtes bien généreux avec votre liquide magique, s’enthousiasme Tina.

— Ouaip ! On l’a échappé belle, les tourteaux, concède Cook.

— Le risque ne sera jamais éliminé des systèmes à haut-risque, proclame Orass.

— Qui veut encore un coup de malt ? propose Cook.

— Moi, rétorquent Tina et Orass.

Tina n’a pas l’habitude de boire. Dans son travail, la tempérance est une question de survie.

— Y a le Cam qui démarre sa Casserole, il vient nous pêcher, il sera là dans moins d’une heure.

— Non, pas la Casserole…, gémit Tina.

— Bois un coup, dit Cook.

— À la Casserole ! À la Casserole ! chantonne le classieux Orass, déjà bourré à cause de ses gênes de poulpe qui ne supportent pas l’alcool.