Les lutteuses

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D'autorité, elles la dénudèrent. On lui passa autour des hanches un épais cordon de cuir agrémenté d'un pagne qui lui couvrait le sexe. Une des femmes, particulièrement charpentée, entreprit de nouer la grossière lanière au creux des reins de la terrienne. Elle serra si fort que Yumi poussa un cri. L'Amazone s'y reprit à deux fois avant de se montrer satisfaite de la solidité du noeud.

— Fais bien attention, lui enjoignit la colosse. Tu es autorisée à empoigner le cordon de ton adversaire, mais pas le pagne lui même, sous peine de disqualification.

Deux jeunes filles, bien plus menues, s'approchèrent. La première déposa un marche-pied au côté de la lutteuse tandis que la seconde s'y juchait avec légèreté. Elle portait une amphore qu'elle déversa sur le sommet du crâne de la jeune guerrière, la première fille étalant le contenu à pleines mains sur son corps. L'huile était tiède mais un brin malodorante. Les soigneuses semblaient mieux s'en accommoder que Yumi. Elles veillèrent à en enduire chaque parcelle de peau et s'attardèrent sur la ceinture de cuir et le pagne, qui dégoulinait maintenant du liquide ambré.

Aïcha les avait rejointes.

— Ça pue, fit Yumi en la voyant.

— C'est ta meilleure défense contre ton adversaire. Et le premier problème que tu devras surmonter, cette huile rend la préhension très compliquée.

La jeune fille affichait un air sombre.

— Ce n'est qu'un jeu, lança Aïcha.

— Peut-être. Mais la nuit touche à sa fin, je suis fatiguée et ce monstre doit peser deux fois mon poids. Cette petite peste de Xanthié va me le payer.

Aïcha pouffa. C'était bien la première fois que Yumi la voyait rire, si toutefois l'on pouvait qualifier de rire le discret gloussement dont l'amazone s'était fendue.

— Le monstre a un nom : Jallal. Elle commande une de mes escouades. C'est une farouche guerrière, mais elle a très bon cœur. Ceci dit, elle ne te fera pas de cadeau et je t'avoue m'être abstenue lors de la prise des paris.

— Quelle est ma côte ? demanda Yumi, un brin moqueuse.

Jallal n'est que rarement terrassée. La dernière fois, c'était il y a quelques lunes. Par Kalgur justement.

— Un de ces porcs qui se partageaient la petite Xanthié ? C'est lui que je devrais affronter !

— Justement, c'est elle, Xanthié qui fait un peu monter ta côte.

— Elle a parié sur moi ?

— Une pleine bourse, c'était à ses dires tout son avoir.

— C'était la seule, j'imagine ?

— Non. Deux hommes à Kulgur t'ont aussi accordé leur confiance. Mais ils sont saouls comme des mercenaires en ribote, ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient.

Elles éclatèrent de rire de concert. Yumi était maintenant ointe de la tête aux pieds, il fallait y aller. La capitaine se fendit d'un dernier conseil.

— Ne la laisse pas attraper ta ceinture, car c'en serait fini de toi.

La terrienne se dirigea vers le cercle, escortée de ses soigneuses. Aïcha les suivit, en retrait.

Les fêtards étaient encore fort nombreux, bien que la nuit fut maintenant très avancée. Ils riaient et criaient, à la lueur des feux de camp. Son adversaire l'attendait déjà, au centre de l'aire de combat. La jeune guerrière eut un instant d'hésitation. Jallal en imposait par sa stature, mais aussi par sa présence. Elle respirait la force et la détermination. La jeune femme déglutit en constatant que son adversaire pourrait probablement lui briser les os si les choses venaient à mal tourner. Elle inspira un grand coup et se dirigea vers le cercle. Quand elle y pénétra, la foule commença à se rassembler autour de l'arène improvisée. Yumi aperçut Xanthié, qui semblait lui crier quelque chose. Mais sa voix bien trop fluette était couverte par les acclamations des spectateurs.

L'arbitre s'était lancé dans de courtes explications, qu'elle n'entendit pas non plus. Face à elle, son adversaire, impassible, la toisait d'un coup d'oeil indifférent. Yumi devait lever la tête pour croiser son regard, tant la différence de taille était grande. L'arbitre frappa dans ses mains. Jallal entreprit de touner lentement autour de l'étrangère, se méfiant peu-être de cette guerrière que l'on disait venue d'un autre monde.

La première attaque fut grossière, imprécise. Yumi n'eut aucun mal à l'esquiver, si bien que l'amazone ne put pas même l'effleurer. Autour d'elles, les cris s'intensifèrent. Tous les sens de la jeune guerrière étaient maintenant en alerte, assaillis par une myriade d'informations. Les sons lui parvenaient avec une clareté absolue. De tintamarre, il n'était plus question. C'était comme si elle entendait distinctement chacune des voix qui lui chuchotait son message. Elle perçut celle, un peu cassée, de Xanthié dont le visage, curieusement, semblait hurler son nom. Elle entendait le crissement du sable sous les pieds de son adversaire, le crépitement des feux, percevait le scintillement des myriades d'étoiles, la pulsation de l'Univers, la vibration du sol d'Exo. La fluidité du sable sous ses pieds. Quand la géante fit mine de se jeter sur elle, Yumi s'étonna de la lenteur de ses gestes. Pourquoi donc se mouvait-elle au ralenti ? Elle fit un écart, contempla l'autre qui se jetait dans le vide, semblant happer l'air de ses bras là où elle, Yumi, se trouvait l'instant d'avant. Elle en profita pour balayer du pied son talon puis de toute ses forces, la poussa dans le dos.

Jallal vint s'écraser de tout son long hors du cercle,. Le sable gicla autour d'elle, aspergeant deux spectateurs au passage.

Il sembla à Yumi qu'il fallut un temps exagérement long pour qu'il retombe au sol. La foule était immobile, figée, tel un tableau de maître. Le silence était si dense qu'elle eut pu se croire seule au monde. Elle aperçut Xanthié, comme suspendue au temps dans une expression de joie mêlée de surprise, bouche grande ouverte. Mais aucun son n'en sortait.

Puis d'un coup, tout s'accéléra. Le silence se fit vacarme, la foule en liesse dansait, Xanthié exultait. La gagnante résista au réflexe qui lui enjoignait de clore les yeux et de se boucher les oreilles, juste pour pouvoir la percevoir à nouveau. L'harmonieuse vibration, la respiration de l'Univers.

Xanthié se jeta sur elle.

— Toi gagné, toi gagné ! criait-elle.

Aïcha les rejoignit.

— Eh bien, Yumi des Terres Sombres, il semblerait que l'inspiration ait manqué à celui qui t'a donné ce nom. Jamais auparavant je n'avais vu une lutteuse se déplacer si vite. Pour moi, tu seras désormais Yumi l'insaisissable. Mais je vais attendre un peu avant de t'affubler de ce nom, curieuse que je suis de découvrir tes autres talents. Car ce n'était qu'un jeu, pas un combat à mort.

Xanthié avait laissé choir la couverture dans laquelle elle était un instant plus tôt encore emmitouflée. Elle dansait nue autour d'elles, houspillant les spectateurs qu'elle croisait et parfois téléscopait.

— Yumi gagné, Yumi gagné ! Ça amie à moi, ça amie à moi, chantait-elle à tue-tête.

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