Déception

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— Où est Yumi ?

Antje sursauta, elle n'avait pas entendu Saavati arriver.

— Partie. Avec un escadron d'amazones.

— Comment ça partie ? Quand ? Où ?

— Il y a trois jours. Je n'en sais fichtrement rien, elle a attrapé quelques effets et elle s'en est encourue. Une sorte d'expédition je suppose.

Saavati s'affala sur sa couchette, désapointée. Antje fronça les sourcils. L'ancienne nonce affichait une mine abominable. Sa pâleur cadavérique, les cernes profondes sous ses yeux, ses cheveux emmêlés, tout indiquait un état de fatigue extrême.

— Dis donc, fit-elle, tu as l'air d'un zombie.

— Un zombie ?

— Oublie. Un mort-vivant si tu préfères. Dans mon monde, c'est un zombie. Samaël ne t'a pas épargnée.

Saavati sourit faiblement.

— Nous n'avons pas beaucoup dormi ces derniers jours. Yumi t'a-t-elle laissé un message pour moi ?

— Non.

— ...

— Tu attendais quelque chose ?

— Pas vraiment. Mais je pensais qu'elle me ferait au moins savoir quand elle reviendrait.

— Laisse la respirer. Elle a besoin de bouger. Et de découvrir ce monde. Et toi, tu as besoin de te reposer, ajouta-t-elle en caressant le front de son amie.

***

— Un mariage Seigneur ? Mais...

Al Garci peinait à masquer sa surprise. Ou peut-être n'avait-il aucune envie de la dissimuler. Le Saigneur des Seigneurs abhorait tout ce qui aliénait les hommes ou les femmes. Esclavage, proxénétisme, abus des drogues, rien ne trouvait grâce à ses yeux. Pas même le mariage qui, selon ses dires, enchaînait les êtres les uns aux autres. Le prophète prônait l'amour libre et sans limite. Vautré dans un confortable canapé, Teixo les osbervait sans mot dire, une coupe de vin à la main.

— Fais ce que je te dis, reprit le maître du désert. Je veux un mariage royal, je veux que tu convies tous les clans, les nôtres bien sûr, mais aussi ceux de l'Hyperborée. Invite les notables d'Aquilata, de Nénamenzi et de Domina. Invite l'empereur lui-même, la Papesse et les Sénateurs, les membres du Consistorium.

Al Garci contemplait Samaël bouche bée.

— Mais très respecté Seigneur, ils ne viendront pas...

— Qu'importe ? Invite-les. Je veux que la Papesse voie de ses propres yeux mon union avec sa Nonce déchue. Et si elle ne daigne pas se déplacer, je veux que partout on répande l'histoire de Samaël et Saavati, je veux que tous sachent qu'elle porte mon enfant, anonçant un règne nouveau.

— Votre enfant ? Mais Seigneur... nous n'en savons encore rien. L'avez-vous seulement... fécondée ?

Samaël tourna vers lui un regard de braise.

— J'ai répandu en elle plus de semence que je n'en ai versé en une année dans le sable du désert. Elle porte mon fruit. Sois-en sûr.

— Mais Seigneur... encore faudrait-il qu'elle le mène à terme ! Et qu'elle survive.

Samaël soupira, fixant un horizon, au delà de la toile de tente, que lui seul pouvait voir.

— Elle survivra. Il le faudra. Et si ce n'était pas le cas, l'enfant naîtra. J'en ai la conviction.

Al Garci baissa la tête, résigné.

— Il sera fait selon vos désirs.

— Alors organise ce mariage. Dans cinq lunes, jour pour jour. Je veux qu'ils la voient grosse. Et laisse-nous maintenant.

Tandis qu'Al Garci s'éloignait, il se tourna vers Teixo.

— J'apprécierais grandement la présence d'un représentant de la Guilde Souveraine.

— Je crains, noble Seigneur, qu'elle ne me mandate et que vous devrez vous contenter de ma modeste personne. Après tout, je suis leur ambassadeur.

Samaël balaya l'air d'un revers de la main.

— Pas de slamayecs entre nous, Teixo. Cesse donc de me donner du "vous". La Guilde devra un jour ou l'autre choisir son camp. Celui de l'empire, de la répression de l'esclavage, ou le mien.

— La Guilde est bien au-dessus de ces considérations. En ce moment, il y a fort à parier que les membres de son Conseil observent tes gesticulations avec grand amusement. Peu leur importe l'issue de cette guerre à laquelle tu aspires, pour autant que les marchés restent ouverts et que les affaires reprennent. Et de tous temps, les guerres ont donné naissance à de nouvelles opportunités. Alors une de plus ou une de moins...

Samaël frappa du poing sur la table monumentale. Excédé.

— Alors peut-être devrais-je les inscrire eux aussi sur ma liste !

Teixo leva un sourcil.

— Ne dis pas de bêtise, mon ami. Rien ici ne se produira sans que la Guilde ne l'ait autorisé. Elle est intouchable et tu le sais. Lache donc du lest. Pourquoi t'obstiner sur la question des iŭga ?

— Dans mon royaume, tous sont égaux. Maître ou esclave, cette distinction n'a plus lieu d'être.

— Je ne te parle pas d'esclaves, mais de bétail.

Samaël s'emporta, élevant la voix.

— Du bétail ?

Il héla un des gardes, et l'enjoignit d'aller sur le champ chercher l'une des iŭga attachées à Teixo, avant de se tourner à nouveau vers ce dernier.

— Du bétail ? Vous les présentez comme du bétail pour appaiser vos consciences. Elles sont avant tout de la main d'oeuvre bon marché. Et contrairement aux esclaves, elles ne vous imposent ni obligations ni responsabilités !

— Elles n'ont pas de conscience. Pas plus qu'un chien ou un chat.

— Même un chien ou un chat mérite d'être traité dignement, s'emporta le géant. La vie est un cadeau. Le scorpion qui survit aux sables du désert mérite notre respect. La plante qui croît au bord d'un point d'eau est un cadeau. Une bénédiction !

Le soldat était de retour, Antje sur les talons. Samaël renvoya l'homme à sa garde et fit signe à la femme bleue d'avancer.

— Rappelle-moi ton nom, lança-t-il.

Elle s'agenouilla, tête baissée.

— Je me nomme Antje, Seigneur.

— Eh bien Antje, éclaire-moi donc. Qu'es-tu donc ?

— Seigneur ?

— Pourquoi vas-tu nue comme un ver, parée seulement des ce collier et de ces anneaux ? Es-tu une esclave ?

— Non Seigneur. Je suis une iŭgum. J'appartiens à Reg Teixo.

Samaël se tourna vers ce dernier, goguenard.

— Pour un chien, il s'exprime plutôt bien, non ? lança le géant à l'adresse du vieux guerrier.

Teixo ne répondit pas, le Saigneur des Seigneur se tourna à nouveau vers la jeune femme.

— Sous ma tente et dans mon campement, il n'y a ni esclaves ni iŭga. Tu es libre ésormais, et tu iras sous le nom d'Antje l'Azurine, fille de Samaël. Ma ville sera tienne aussi longtemps que tu voudras y rester et quiconque te touchera sans ton consentement devra me rendre des comptes.

Antje lança un regard terrifié à Teixo. Elle balbutia, tremblante.

— Ais-je fait quelque chose qui déplaise à mon Maître ?

Teixo souriait, amusé. Mais Samaël s'emporta.

— Ton maître ? Ne m'as tu point entendu. Tu es libre.

Elle se jeta aux pieds de Teixo, le suppliant de ne pas la répudier. Ce dernier, hilare, se délectait de la mine dépitée de son hôte.

— Vois par toi-même, lança-t-il. Elle a beau s'exprimer dans notre langue, elle est telle un chiot, attachée sans condition à son maître. Même les chats font preuve de plus d'indépendance.

Samaël fulminait. Il congédia la femme qui s'enfuit en trotinnant sans demander son reste. Le colosse lança un regard noir à Teixo.

— Le chemin est encore long, aboya-t-il. Mais nous y arriverons.

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